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Cameroun : Paul Biya où l’art et la manière de se maintenir au pouvoir sans jamais paraître l’exercer.

Publié le lundi 10 octobre 2011 à 14h28min

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Le Cameroun fait illusion. Croissance soutenue ; inflation contenue ; quelques entreprises significatives au plan sous-régional ; des hommes d’affaires (toutes sortes d’affaires) à profusion. Mais une vie politique atone. Le pays ne manque pas de leaders ; mais les leaders manquent de troupes, ils n’ont que des clients. Et dans ce schéma, pour avoir de la clientèle, il vaut mieux être au pouvoir, derrière le comptoir, que dans l’opposition, à la porte de la boutique. Le génie camerounais est tel que le pays donne l’impression de tourner. En rond !

La production pétrolière est en chute libre depuis vingt ans, l’activité industrielle se résume, pour l’essentiel, à la production de bière et d’aluminium ; l’agriculture seule parvient à tirer son épingle du jeu grâce à une réelle diversification des productions : cacao, café (y compris arabica), coton, hévéas, bananes, etc. Si on ajoute à cela l’élevage, l’exploitation forestière, la pêche, on constate que le Cameroun a été un pays béni des Dieux. Mais les Dieux, depuis la création de ce pays, ont foutu le camp en courant, effaré par le mode de production politique de Monsieur le président de la République, Paul Biya, et la crainte d’être embastillés pour cause de mauvaise conjoncture.

Peut-on imaginer que cet homme, né le 13 février 1933 (78 ans !), a été premier ministre du 9 avril 1980 au 4 novembre 1982 et que, depuis cette date, il préside aux destinées du Cameroun, un pays de 20 millions d’habitants ? Héritier constitutionnel de Ahmadou Ahidjo, il a été élu en 1984, réélu en 1987, en 1992, en 1997, en 2004 et se présente à nouveau, aujourd’hui, dimanche 9 octobre 2011, pour un nouveau mandat. Avec la certitude d’être réélu !

Etonnant Cameroun où un chef d’Etat, quasi inexistant sur la scène politique nationale et la scène diplomatique continentale et internationale, qui ne tient pas de conseils des ministres, dont le parti est, tout au plus, une caisse de répartition des fonds publics, parvient sans drame majeur à se maintenir au pouvoir tandis que l’économie enregistre des taux de croissance qui, sans être exceptionnels, ne sont pas catastrophiques. Sous Ahidjo d’abord, sous Biya ensuite, les Camerounais ont appris à « supporter l’insupportable et à accepter l’inacceptable ». Jusqu’où ? Jusqu’à quand ?

« Un homme insaisissable, qui fuit les contacts et les combats » (Jacques Foccart), « Un homme fade, sans grande envergure ni charisme » (Maurice Robert, un des liquidateurs français de l’UPC, le parti indépendantiste qui s’était engagé, dès après la Deuxième guerre mondiale, dans l’opposition armée à l’administration française puis à Ahidjo), « Un remarquable connaisseur de la Bible ; un très médiocre chef d’Etat » (Léon Yehoudah Askenazi, un des maîtres de la pensée juive, mentor de Biya fasciné par Israël), « Trop peureux ; trop introverti ; trop timoré ; trop peu entreprenant » (Claude Marti, en charge de la communication de Biya après la tentative de coup d’Etat de 1984).

Les commentaires sur Biya sont sans appel ; il n’est personne pour penser qu’il est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Et, pourtant, il est sur le devant de la scène politique camerounaise depuis plus de 30 ans ! Sans faire trop de vagues à l’international (la situation, vue du Cameroun, est bien plus dramatique ; et ceux qui pensent que le régime Biya est, tout au plus, despotique, ne savent pas ce que dictature veut dire), à l’instar d’un Ben Ali tunisien dont la chute brutale a secoué toute l’Afrique du Nord.

Depuis son indépendance, le Cameroun n’a connu que deux présidents. L’ancien séminariste, Paul Biya, successeur constitutionnel, a mis du temps à trouver ses marques (et plus encore ses « marquis » puisqu’il n’y a plus de « barons » au Cameroun ; que des gens de cour dont la tâche essentielle est l’enrichissement personnel permettant, au mieux, une redistribution « ethnique » des subsides publics) après avoir déglingué la vieille UNC au profit d’un RDPC (qui rassemble bien plus les pilleurs que le peuple camerounais), fait valser les gouvernements et les ministres (parfois même les avoir fait emprisonner sans les juger) et, surtout, avoir résisté à tout : la tentative de coup de force d’Ahidjo en 1984, le multipartisme, les « villes mortes », la crise économique, la crise sociale, la fronde sécessionniste des anglophones, etc.

Pendant toutes ces années de braises, de feu et de cendres, au sein de la classe politique camerounaise, quelques hommes (parmi les plus sincères ; il y en a, malgré tout, au Cameroun) avaient pour mot d’ordre : « Il faut sauver le soldat Biya » afin d’empêcher la nation de sombrer dans l’affrontement ethnique. Aujourd’hui, il est devenu évident à tous que le principal risque d’affrontement, c’est l’entêtement de Biya à vouloir rester au pouvoir ; même si, dans le même temps, le régime instrumentalise la peur de « l’après-Biya ».

Les maquis de l’UPC, des années 1950 à 1970, ont laissé des traces dans le subconscient camerounais : on craint, plus que tout, la violence ! La violence politique, car pour ce qui est de la violence économique et de la violence sociale, le Cameroun n’est pas loin de décrocher une médaille d’or. C’est la sacro-sainte règle de « l’avantage comparatif » : on laisse les « hommes politiques » s’occuper tranquillement de leur ragoût électoralo-clientéliste (sans oublier, malgré tout, de les « sponsoriser » ; normal, ils ont des frais !) tandis que les « hommes d’affaires » s’occupent tranquillement d’un business dont le mode de production a permis l’émergence d’une nouvelle catégorie « d’entrepreneurs » : les « faymen » ; partout ailleurs, on dit « mafieux » !

Le mode de production économique est tellement imprégné de corruption « institutionnelle » que l’on pourra dire un jour, paraphrasant l’historien du XIXème siècle P.E. Lémontey (s’exprimant alors sur le despotisme) que « la corruption est partout et les corrupteurs nulle part ». Reste à savoir, dans ce schéma, qui contrôle qui ?

Il y a, au Cameroun, une étroite imbrication entre le politique et l’économique, ce qui permet aux uns et aux autres d’avoir la mainmise sur « l’administration » qui touche ses commissions un coup des uns, un coup des autres, les plus brillants (Dieu sait que les Camerounais savent l’être) faisant payer les deux en même temps. Dans ce pays où le président ne préside pas grand-chose, où le gouvernement ne gouverne rien, où l’administration n’administre que son propre profit, Biya n’est que le plus grand dénominateur commun ; rien de plus. Quand il y a, au moins quarante voleurs, Ali Baba n’est jamais loin.

Ahidjo étant encore au pouvoir avait eu cette exclamation magnifique : « Si un jour je meurs ». Que Biya pourrait reprendre à son compte puisque, désormais, il vient de reculer les limites d’un pouvoir quasi éternel et peut penser que « si un jour il meurt » ce sera au pouvoir, ce qui pourrait être, pour lui, une consolation ou une consécration. A l’instar d’un Félix Houphouët-Boigny (le « sage » de l’Afrique noire francophone, selon Paris et quelques autres capitales, est quand même resté au pouvoir pendant plus de 33 ans !) ; ce qui n’a pas été la meilleure des choses pour la République de Côte d’Ivoire.

« Après moi le chaos » pensera sans doute Biya à l’instant du dernier soupir. Sauf que le chaos est déjà bien organisé et que la question qui se pose aujourd’hui, et se posera plus encore demain, est de savoir qui en émergera. Ce sera nécessairement un homme à poigne s’appuyant sur une force organisée qui ne sera pas politique. Autrement dit un militaire. La seule inconnue, aujourd’hui, est de savoir si l’armée prendra le pouvoir, à Yaoundé, avant ou après la mort de Biya. Il y a tellement longtemps qu’elle en rêve !

Une double certitude aujourd’hui : Biya a d’ores et déjà gagné la présidentielle 2011 ; mais les Camerounais ont, une fois encore, perdu la partie. Et plus encore leur âme. Même leur équipe de football n’est pas qualifiée pour la CAN 2012 ! C’est dire…

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 10 octobre 2011 à 16:53 En réponse à : Cameroun : Paul Biya où l’art et la manière de se maintenir au pouvoir sans jamais paraître l’exercer.

    Monsieur le journaliste,après avoir dit tout cela sur le Cameroun,vous n’avez rien dit ou du moins vous ne nous avez pas appris grand chose puisqu’à l’exception de quelques rares pays africains à savoir le Ghana,l’Afrique du Sud,le Mali,le Bénin,tous les autres chefs d’Etat africains sont pareils:des despotes,des magouilleurs,des pilleurs,des corrompus.Pire,ils font tout pour ne pas organiser des élections propres et c’est le cas des dernières élections présidentielles qui se sont déroulées ici au Faso,sont bien la preuve d’un triomphe sans gloire et qui finit par ronger l’intérêt même des consultations électorales.A quoi sert d’organiser des élections à coup des dizaines de milliards cfa si on connait ,à l’avance celui qui va les remporter ?Nous les peuples africains,nous ne sommes pas sortis de l’auberge d’autant qu’il ne faut jamais dire à un homme d’Etat africain qu’il a su préparer sa sucession car pour lui faire vraiment plaisir,bornez vous à prédire qu’après lui,ce sera le chaos.Mais que ces gens sachent que nous avons un destin commun :à savoir la mort et donc nul n’est éternel.A bon entendeur,salut !

    • Le 11 octobre 2011 à 07:20 En réponse à : Cameroun : Paul Biya où l’art et la manière de se maintenir au pouvoir sans jamais paraître l’exercer.

      Bejot est un journaliste, un [professionnel intelligent, qui respecte donc l’ intelligwence des autres. Puisque tu en sais deja autant sur les autres chefs d’ ; etat africains, il, Bejot, est bien eduque. Il n’ a pas voulu faire insulte a ta brillance. Il parle donc de ce qu’ il veut. A toi aussi de completer.
      Bejot, continue comme ca. Tu es un vrai citoyen du monde, pret a eclairer. Tu es aux francakis ce que Sacre Cheydou est aux Burkinabe. Sache qu’ on t’ adore uici et on t’ en redemande chaque jour davantage. Il est un peu trop tard pour moi. inon j’allais em reconvertir en journalisme. Pour toi. Grace a toi. Avec ta joyeuse mais veridique plume. Tu plais. Sauf aux nabots de tout genre.

      LOP

  • Le 11 octobre 2011 à 00:41, par Vagabond En réponse à : Cameroun : Paul Biya où l’art et la manière de se maintenir au pouvoir sans jamais paraître l’exercer.

    avant de parler du Cameroun, parlons du Burkina Faso ! 2015, sin rien n est fait, on impose Blaise et y a fohi !!!

  • Le 11 octobre 2011 à 07:12, par Sidgomde En réponse à : Cameroun : Paul Biya où l’art et la manière de se maintenir au pouvoir sans jamais paraître l’exercer.

    Mr le journaliste, President Biya n’est pas eternel, qu’il aille l’art ou les bonnes manieres de se maintenir au pourvoir, il s’etiendra un jour.
    Vanite des vanites, tout est vanite !

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