LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Berlin veut « ouvrir un nouveau chapitre » dans les relations de l’Europe avec l’Afrique (2/3)

Publié le mardi 4 octobre 2011 à 19h08min

PARTAGER :                          

Guido Westerwelle, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, développait jusqu’à présent une ligne d’action diplomatique toute imprégnée des fondamentaux des libéraux allemands : l’économie plutôt que la géopolitique ; le privé plutôt que l’Etat. Jusqu’à ce que l’Afrique du Nord s’embrase : Tunisie, Egypte, Libye ; et que le Proche-Orient pose problème.

Tant que l’évolution du continent africain n’avait pas d’effets collatéraux sur l’évolution de l’Allemagne, Berlin se préoccupait peu - pour ne pas dire pas du tout - de ce qui pouvait s’y passer. Otto Bismarck, qui a formaté la diplomatie prussienne au XIXème siècle autour de « l’Entente des trois empereurs » (Allemagne, Autriche, Russie), se refusant à toute initiative coloniale autre que l’organisation de la conférence de Berlin qui se voulait, seulement, la reconnaissance du caractère incontournable de la médiation prussienne dans les affaires européennes, avait déjà affirmé que la politique africaine de l’Allemagne devait être subordonnée à sa politique européenne et à ses intérêts commerciaux. Ce que Kurt Von Morgen (cf. LDD Allemagne 007/Vendredi 30 septembre 2011) exprimait ainsi : « Il s’agit de sauvegarder les intérêts du commerce allemand contre tout préjudice ». En répartissant le territoire africain entre les puissances coloniales européennes, Berlin entendait avoir, partout, en Afrique, un interlocuteur (qui ne soit pas un « nègre ») avec lequel pouvoir négocier et, le cas échéant, pouvoir se retourner quand ses intérêts commerciaux n’étaient pas « sauvegardés ».

La perte des possessions allemandes d’Afrique, au lendemain de la Première guerre mondiale, ne sera pas un traumatisme politique ni même social. Et tout au long du règne des nazis, la question coloniale ne se posera pas ; c’est vers l’Est de l’Europe que le Reich entendait étendre son « espace vital ». L’Afrique n’apparaîtra dans l’horizon diplomatique allemand qu’à la suite de la création de la Communauté économique européenne (CEE) et de l’instauration du Fonds européen de développement (FED), une concession que Bonn fera à Bruxelles et Paris. Les chanceliers allemands laisseront le président de la République, quand celui lui convient, aller traîner du côté de l’Afrique : c’est du domaine du protocolaire ; rien d’essentiel. En Afrique, les Allemands se reposaient alors sur leurs alliés US, britanniques et français. Economiquement, il n’y a pas plus d’intérêt et les investissements directs allemands en Afrique (exception faite de l’Afrique du Sud) sont quasiment inexistants. La réunification allemande ne changera guère la donne (malgré la connexion de la RDA avec des pays africains, dans l’orbite « idéologique » de Moscou). Ce désintérêt de l’Allemagne pour l’Afrique fait que le pays (qui a été loin d’être un modèle lorsqu’il était un colonisateur) tend à bénéficier, sur le continent, d’une image positive, liée à cette « efficacité » qui est le symbole du travailleur allemand et à cette quasi absence de tout souvenir « colonial » allemand qui soit un traumatisme (bien que la répression de la révolte des Héréro, dans le Sud-Ouest africain allemand - aujourd’hui Namibie - soit considérée comme le premier génocide organisé en Afrique noire).

Il est vrai, aussi, que la configuration fédérale de l’Allemagne ne facilite pas son implication dans les « affaires africaines ».

Expression de cette « complexité » fédérale dans la mise en œuvre des prises de décision liées à l’international : les tensions entre le KSK (forces spéciales de la Bundeswehr) et le GSG-9 (unité de contre-terrorisme de la Bundespolizei) dans les opérations (l’une et l’autre avortées) « Desert Fox » (libération de touristes allemands pris en otage à la frontière de l’Egypte et du Soudan) et « Hansa-Stavanger » (porte-conteneurs de Hambourg capturé par des pirates somaliens le 4 avril 2009). Les Allemands, toujours quelque peu traumatisés dès lors que leur armée prend des initiatives, subordonnent l’emploi de militaires allemands à l’étranger à un vote du parlement bien évidemment difficile à obtenir dans un « délai raisonnable » en cas de crise ; depuis novembre 2008, le GSG-9 est donc prioritaire en cas de prise d’otages de ressortissants allemands. Cette concurrence n’est sans créer de la défiance entre militaires et policiers. Et Berlin n’est pas, en matière d’opérations extérieures, dans le schéma français où Nicolas Sarkozy, président de la République, chef de l’Etat et chef des armées, peut dialoguer directement, sans relais, avec l’officier commandant une opération sur le terrain.

C’est de cela qu’il s’agit : la réactivité aux crises. Guido Westerwelle l’a dit, récemment : « Nous souhaitons ouvrir un nouveau chapitre des relations avec notre continent voisin ». La raison de ce subit intérêt pour l’Afrique ? C’est que ce « continent voisin » vit une « époque de bouleversements et de renouveau dans le voisinage immédiat de l’Europe » et que ces bouleversements sont « la manifestation peut-être la plus fascinante du monde en mutation dans lequel nous vivons ». Dans cette perspective de renouveau des relations entre l’Allemagne et l’Afrique, le cabinet fédéral a adopté, le 15 juin 2011, une « stratégie » qui résulte de la réflexion de dix ministères, des groupes parlementaires, des associations économiques, des fondations politiques, des ONG, des Eglises, des syndicats, des instituts spécialisés… Objectif « assurer la cohérence de la politique africaine du gouvernement fédéral » dans la perspective d’instaurer la bonne gouvernance en Afrique parce que « là où la gouvernance est juste et fiable, l’économie et les investissements sont aussi florissants ». « Nous voulons soutenir, dans un effort commun [avec l’Union européenne] les sociétés et les Etats d’Afrique dans leur cheminement vers la liberté, la démocratie et l’Etat de droit ». Pour cela, l’Allemagne veut sortir du vieux schéma « donateur-bénéficiaire » pour un « partenariat d’égal à égal » dont le modèle serait, a précisé « WW », le partenariat axé sur l’énergie et les matières premières conclu avec le Nigeria qui vise à « assurer l’approvisionnement allemand en matières premières et en énergie, mais aussi à faire profiter les populations de la richesse en ressources naturelles de leur propre pays ».

« La stratégie du gouvernement fédéral » est un document de 44 pages (hors glossaire) qui entend miser sur « les chances et le potentiel de ce continent et de ses habitants » à travers des « objectifs prioritaires » dans « six domaines de la politique africaine de l’Allemagne, tous d’importance équivalente : la paix et la sécurité ; la bonne gouvernance, l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’homme [chapitre qui met l’accent sur la « discrimination structurelle des femmes », l’abolition de la peine de mort mais aussi la « discrimination à raison des orientations sexuelles »] ; l’économie ; le climat et l’environnement ; l’énergie et les matières premières ; le développement, l’éducation et la recherche ». Ce document souligne notamment que « c’est à la lumière des bouleversements en Afrique du Nord que se révèle particulièrement clairement l’importance capitale de la bonne gouvernance, de l’Etat de droit, de la démocratie, des droits de l’homme et de leur réalisation. Le gouvernement fédéral est aux côtés des mouvements démocratiques en Afrique du Nord : c’est le sens du « partenariat pour la transformation » qu’il propose dont les projets concrets de consolidation de la société civile et de l’Etat de droit tendent à rendre irréversible le processus politique en cours dans les pays concernés - actuellement la Tunisie et l’Egypte [on notera que le document fait, en juin 2011, l’impasse sur la situation en Libye] - en améliorant les perspectives de réussite personnelle des populations ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique