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Berlin veut « ouvrir un nouveau chapitre » dans les relations de l’Europe avec l’Afrique (1/3)

Publié le lundi 3 octobre 2011 à 14h29min

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C’est la défaite de l’Allemagne, en 1918, qui a changé la donne en Afrique noire. On oublie trop souvent - bien que ce soit à Berlin qu’ont été répartis entre les puissances coloniales européennes les territoires africains - que l’Allemagne a été présente à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle en Afrique de l’Ouest (Togo), en Afrique centrale (Cameroun), en Afrique australe (Sud-Ouest Africain, aujourd’hui Namibie), en Afrique de l’Est (Tanganyika devenu Tanzanie depuis sa fédération avec Zanzibar ; Ruanda-Urundi, aujourd’hui Rwanda et Burundi).

Tous ces territoires ont été conquis, ensuite, par des troupes essentiellement ouest-africaines commandées par des officiers français et anglais au cours de la Première guerre mondiale ; parfois à l’issue d’opérations militaires longues et coûteuses en hommes. La colonisation allemande avait ceci de spécifique, c’est qu’elle a été menée, pour l’essentiel, dans une stricte perspective de « sauvegarde des intérêts du commerce allemand contre tout préjudice » (selon les mots mêmes de Curt Von Morgen, « inventeur » du Kamerun) ; ce sont, principalement, les firmes de Hambourg et de Brême qui ont financé les expéditions coloniales.

Exclus du continent africain par les armes, les Allemands feront donc l’économie des conflits de la colonisation et de la décolonisation que vont connaître les autres Européens (Français, Anglais, Portugais et, dans une moindre mesure, Espagnols, sans oublier les Sud-Africains blancs du temps de l’apartheid ainsi que les Rhodésiens blancs). Cette absence va durer près de quatre-vingt ans. A la fin des années 1990 Berlin va faire une poussée de fièvre africaine : les échanges commerciaux de l’Allemagne avec l’Afrique vont littéralement exploser. La chancelière Angela Merkel pronostiquera, au printemps 2007 (l’Allemagne présidant alors le G8 et l’Union européenne), que « ceux qui choisissent l’Afrique comme lieu d’investissement sont appelés à en toucher les fruits très rapidement », Berlin s’engageant alors à doubler son aide financière à l’Afrique avant 2010. Mais, hormis l’Afrique du Sud, le continent ne motivera guère les entreprises allemandes. Angela Merkel décidera l’envoi (temporaire), dès 2006, en RDC, de 780 soldats de la Bundeswehr (présente marginalement dans la Corne de l’Afrique et au Soudan). Les motivations de Berlin justifiant ce regain d’intérêt (tardif) pour l’Afrique noire étaient simples : immigration ; matières premières ; sécurité (un colloque organisé à Berlin par la Fondation Konrad Adenauer au printemps 2007 avait pour intitulé : « L’Afrique, un continent oublié ? »). Illustration de cette vision « sélective », la Lufthansa (qui a des intérêts dans Swiss et Brussels Airlines) cible principalement les destinations desservies dans le golfe de Guinée vers les cités pétrolières : Abuja, Port Harcourt, Luanda, Malabo… que la compagnie qualifie de « destinations liées au secteur énergétique », parce qu’elles concernent les hommes d’affaires allemands mais aussi les cadres des pays « pétroliers ».

Les élections législatives du 27 septembre 2009, en obligeant Merkel à gouverner avec une coalition de droite dans laquelle le FDP (« démocrates libres », en fait des libéraux très proches de l’ultra-droite française dite aujourd’hui « droite populaire ») jouera un rôle capital, a mis l’Afrique au rancart. Jusqu’à ce que l’Afrique du Nord se réveille et s’insurge.

En matière de relations internationales, l’événement majeur résultant de cette entrée du FDP dans la coalition de droite a été l’accession de son leader, Guido Westerwelle, au poste de ministre des Affaires étrangères avec, par ailleurs, le titre de vice-chancelier. Longtemps considéré comme « le clown de la classe politique allemande » (Les Echos du 29 septembre 2009), né en Rhénanie, à Bonn (en 1961, l’année de la construction du mur de Berlin), avocat, amateur de beach-volley, défenseur du capitalisme familial (le Mittelstand, fondement autrefois de la bourgeoisie allemande, aujourd’hui de la classe moyenne, obsession de « WW »), affichant publiquement son homosexualité (ce qui ne choque pas en France, au sein de la classe politique, mais épouvanterait toujours les conservateurs allemands, plus encore quand son compagnon, Michael Mronz, patron d’une société spécialisée dans l’événementiel, semble être partie prenante des opérations de promotion du ministère et, surtout, du FDP, parti dont la réputation « clientéliste » est déjà forte), Westerwelle a une vision peu « diplomatique » des relations internationales. Une vision essentiellement ethnocentrique, l’Allemagne étant le modèle que le reste de l’Europe devrait suivre ; au-delà de l’Union européenne, il n’est d’ailleurs pas certain que « WW » ait une idée très claire de ce qui s’y passe. Son biographe, Majid Sattar, note qu’il « n’est pas très déterminé idéologiquement. Il est moins motivé par la politique que par le métier de politicien, le risque, le jeu du pouvoir » (cité par Marion Van Renterghem, Le Monde daté du vendredi 25 septembre 2009)

« Compétitivité », « responsabilité » - et, en fin de compte, « sanctions » pour ceux qui ne sont ni dans l’un ni l’autre schéma - sont ses mots d’ordre. Ainsi, en ce qui concerne la question de la dette des pays membres de l’UE, son discours est très clair (même si Angela Merkel, plus pragmatique, fait ce qu’elle pense devoir faire) : « Nous ne demanderons plus d’efforts aux Allemands pour les autres […] Celui qui investit en espérant gagner de l’argent ne peut pas transférer ses risques sur le contribuable […] Il n’y a pas de crise de l’euro, mais une crise de la dette dans les Etats nationaux » (entretien avec Frédéric Lemaître - Le Monde daté du 29 janvier 2011). Considéré comme un « brillant tribun » quand il s’agit de parler de l’Allemagne, il est moins performant sur les sujets internationaux ; ses déplacements hors de la République fédérale sont surtout l’occasion d’amener dans son sillage des flopées de patrons.

Pas de se confronter à la géopolitique. Sur la Chine, il dit : « Il y aura bientôt en Chine une classe moyenne de plusieurs centaines de millions de personnes qui veulent consommer des produits de qualité européens et souhaitent des investissements européens, et notamment allemands. Et quand la classe moyenne se développe, le niveau de formation progresse également et peu à peu les citoyens prennent conscience de ce qu’ils sont ». Il n’omet pas de rappeler que l’Allemagne est présente, militairement, au Soudan, au Liban et dans l’océan Indien et que si Berlin n’a pas pris part aux opérations de l’OTAN en Libye cela « ne signifie pas que nous soyons neutres. En Libye, les possibilités militaires sont limitées, expliquait-il alors. Une solution durable ne peut être que politique ». Notons encore qu’il s’affirmait en faveur de « la création d’un Etat palestinien » résultant « d’une négociation entre les deux parties concernées […] et non d’une initiative unilatérale » (entretien avec Frédéric Lemaître - Le Monde daté du 1er juillet 2011).

« WW » a une vision « concrète » de l’action diplomatique quand la France, principal partenaire de l’Allemagne au sein de l’Union européenne, en a une vision « symbolique ». Il prône d’ailleurs une UE qui ne soit pas « occidentale » ; ainsi, sa première visite de ministre des Affaires étrangères n’a pas été pour la France (qui s’en est irritée) mais pour la Pologne. Il soulignera même, à cette occasion, que ce n’était pas là « un hasard de calendrier, mais un vrai signal » (le contrat de coalition, qui a fixé les orientations du gouvernement issu des législatives du 27 septembre 2009 pour les quatre années à venir, consacre autant de place à la relation entre Berlin et Varsovie qu’à celle entre Berlin et Paris). Notons encore que ce contrat de coalition impose au gouvernement de laisser la porte ouverte à une adhésion de la Turquie à l’UE.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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