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Réhabilitation de l’Abattoir Frigorifique de Ouagadougou : En attendant les bouchers

Publié le lundi 11 octobre 2004 à 07h11min

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L’Abattoir frigorifique de Ouagadougou (AFO) a fait peau neuve mais les bouchers se font attendre. La crise, dite des bouchers qui s’est déclenchée en 2001, n’a que trop duré. Mais enfin, n’a t-on pas vendu la peau de la bête avant de l’avoir tuée ? Nous avons fait un tour à l’Abattoir frigorifique de Ouagadougou. Un constat : l’ampleur de la réhabilitation qui en impose n’a d’égal que le vide, pardon la faiblesse de l’activité qui s’y déroule.

Le visiteur qui arrive à l’Abattoir frigorifique de Ouagadougou est frappé par le silence qui y prévaut. Les lieux semblent même désaffectés, le panneau indicatif défraîchi et le sentier qui y mène d’apparence oublié. Et pourtant, au fond de la cour, on s’affaire autour de ce qui ressemble plus à une aire d’abattage de porcs ; là au moins, il y a de la vie.

Fort heureusement, l’intérieur du bâtiment principal de l’infrastructure se passe de tout commentaire. Il tranche même d’avec l’aspect extérieur des lieux. Les équipements qu’on y voit sont d’une telle "jeunesse" que l’on est pratiquement sidéré. Visiblement, la réhabilitation a permis à l’établissement de se refaire une nouvelle santé. On y dénombre deux files d’abattage pour grands animaux (bovins, chevaux, dromadaires) pouvant traiter chacun 25 bêtes à l’heure. A côté, il y a une file, d’abattage pour petits ruminants (moutons, chèvres) pouvant traiter 120 bêtes à l’heure et une file d’abattage de porcs d’une capacité de traitement de 25 bêtes à l’heure. Ce qui donne une capacité "théorique" d’abattage estimée à 1560 bêtes par jour soit 486 720 têtes par an (plus de 20 000 tonnes de viande).

"Ce potentiel peut être accru dans le cadre de la manifestation à la hausse de la demande locale ou étrangère par une augmentation du temps de travail. N’empêche que déjà, il est largement supérieur à l’ensemble des abattages contrôlés (319 000 têtes en 2003) de la ville de Ouagadougou", précise Mme Jocelyne Bountoulougou, directrice de l’Abattoir frigorifique. Parallèlement, l’établissement s’est vu doter d’équipements de conservation : 10 chambres froides pour la conservation des carcasses ; 02 chambres froides pour les abats et 01 chambre de congélation, et d’équipements de transport de viande (01 camion frigorifique et un camion isotherme de 5 tonnes chacun).

Des installations complémentaires ont aussi vu le jour. Il s’agit d’une salle de découpe climatisée, un hall de vente de viande chaude de 260 m2, un groupe électrogène de relais, un forage avec château d’eau, une station de prétraitement des effluents de l’abattoir et des installations de traitement du sang. "Avec cette réhabilitation, l’Abattoir frigorifique s’est mis réellement aux normes d’un établissement moderne dans le domaine", indique un technicien spécialiste en hygiène sanitaire. "Tout ce qu’il y a de plus moderne dans le domaine dans notre sous-région", ajoute un cadre de l’abattoir qui laisse entendre que l’expérience a séduit le Mali qui a d’ores et déjà saisi l’entreprise qui a exécuté les travaux à Ouagadougou en vue de la modernisation de l’abattoir frigorifique de Bamako.

Mais les bouchers se font attendre ...

"Tout l’équipement qui était là en 1969 à l’ouverture de l’abattoir a été renouvelé. Ce qui nous permet de travailler dans les meilleures conditions possibles et d’assurer la sécurité de la viande pour la population de Ouagadougou et aussi pour l’exportation", estime Mme Bountoulougou. En attendant, ce sont environ une dizaine de bovins qui sont abattus chaque jour à l’Abattoir frigorifique à la demande de l’hôpital, de l’armée et des super-marchés (Marina Market, Palais des viandes, etc.).

Conséquence, seule la file 01 des bovins est ouverte pour le moment. Et même que là, elle est vraiment sous-exploitée. Les autres files attendent car... on ne désespère pas de voir les bouchers revenir. Un sujet qui ne semble pas faire l’unanimité dans le milieu des bouchers. Tandis que les uns pensent que le retour est nécessaire, les autres trouvent qu’il n’est tout simplement pas souhaitable. Cette dernière catégorie est même très active notamment dans les aires d’abattage et demande la construction d’abattoirs de quartiers à leurs emplacements actuels, quitte à les faire contribuer et la spécialisation de l’AFO dans l’exportation. Ils auraient un soutien de taille en la personne de la Ligue des consommateurs qui pensent que la ville mérite plusieurs abattoirs. Ceux qui sont pour le retour sont emmenés par le "Koosnaaba", (le chef des bouchers) de Ouagadougou.

Autorité morale désignée par le Mogho Naaba dans la corporation, le "Koosnaaba" est respecté et écouté dans le milieu. Lui-même, dit toujours abattre ces bêtes à l’Abattoir frigorifique depuis de longue date pour des questions d’hygiène et de commodités de service. "La viande est une denrée extrêmement fragile qu’il convient de la manipuler avec précaution. Autrement, on court vers des ennuis de santé. Or l’abattoir permet d’obtenir une bonne qualité de viande avec le minimum d’efforts. Et depuis, la réhabilitation, l’établissement est vraiment au top", soutient le "Koosnaaba" qui invite instamment les bouchers à réintégrer l’Abattoir frigorifique. Toute la corporation et la nation en profiteront. En tout état de cause, conclut-il, "s’il plaît à Dieu, ils réintégreront".

Moussa Tiendrébéogo, un membre du bureau des bouchers croit que ses pairs gagneraient à s’accorder sur l’essentiel : profiter des performances de l’Abattoir frigorifique modernisé. Il profite répondre à certaines rumeurs tendant à faire croire aux musulmans que les bêtes sont abattus par une machine. Ce qui serait contraire à leur religion.

Ainsi, rapporte M. Tiendrébéogo, "les animaux sont justes étourdis au "pistolet" avant que le musulman les égorge. La machine prend ensuite le relais, pour le dépeçage et la découpe. C’est dire, que toutes les exigences sont respectées".

Une opportunité d’organiser la filière

Selon la direction de l’AFO, le projet de réhabilitation est plus qu’une simple opération de modernisation de leur établissement, du moins pour ce qui concerne les équipements. Elle devrait marquer la professionnalisation de la filière. C’est pourquoi, l’Etat a prévu d’impliquer les acteurs de la filière dans la gestion de la structure et la société de patrimoine qui doivent voir le jour. Malheureusement, les acteurs manquent de structure faîtière à même de favoriser leur insertion dans cette dynamique.

En effet, les bouchers et les vendeurs de bêtes ont chacun leur association et les éleveurs, leur fédération.

Mme Bountoulougou cite en exemple le Sénégal où les bouchers ont non seulement réussi à faire leur union mais à prendre des actions au sein de la société qui gère les abattoirs de ce pays. Mieux dit-elle, la profession a gagné dans ce pays en s’organisant tant et si bien que les tâches sont bien reparties : les chevillards abattent, les grossistes se chargent de ravitailler les détaillants installés directement dans les marchés ou leurs box climatisés car il n’est pas question de laisser la viande exposée à tout vent. Ainsi, le grilleur de viande est-il différent de celui qui abat. Ceci explique -t-il cela, les responsables des Abattoirs frigorifiques de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso ont effectué un voyage d’étude à Dakar pour s’inspirer de l’expérience. Cette mission qui était élargie aux bouchers aurait vu ceux installés dans les aires d’abattages se retirer du voyage au dernier moment.

Concernant leurs arguments pour ne pas réintégrer l’AFO, Mme Bountoulougou pense que son établissement peut satisfaire tout le monde pour peu que les bouchers s’organisent à l’instar du Sénégal. "La capacité actuelle calculée sur un volume de 8 h 00 de travail par jour dépasse largement le nombre de bêtes abattues à Ouagadougou. Pour ce qui est de l’éloignement supposé de l’abattoir de la ville, je voudrais dire que l’établissement est même au centre ville, surtout lorsqu’on se réfère à son emplacement en 1969.

Du reste, cette question peut être résolue avec les moyens de transport dont disposent l’abattoir. Quant à la multiplication d’abattoirs, je voudrais signaler que même si le contexte de libéralisation l’autorise, il ne faut pas perdre de vue la spécificité du domaine. Des villes comme Dakar, Bamako et bien de capitales de pays voisins ont un et un seul abattoir. D’ailleurs, la ville de Bobo ne dispose que d’un abattoir. Il n’y a pas d’aires d’abattages mais les bouchers qu’ils viennent de Lafiabougou ou de Colma tirent leur épingle du jeu", foi de Mme Bountoulougou.

Dans tous les cas avertit-t-elle, l’émiettement et la division ne peuvent qu’être préjudiciables aux bouchers qui gagneraient à fédérer leurs forces pour conquérir d’autres parts de marché.

"La réhabilitation valorise la filière sans compter que l’abattoir, contrairement à ce que pense une certaine opinion, est devenu un important centre de création d’emplois et de revenus", renchérit Mamoudou Ouédraogo, conseiller de l’AFO.

Le gouvernement mis au banc

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les différentes parties campent sur leurs positions. Et ce depuis le déclenchement de la crise en septembre 2000, bien avant le démarrage des travaux de réhabilitation (2001 - 2003).

Au départ, c’était juste un mouvement d’humeur d’une frange des bouchers qui protestaient contre les velléités de la direction de l’AFO d’augmenter les frais de 2 200 F CFA (pratiqués depuis 1979) à 5 000 F CFA. Les frondeurs quittent l’abattoir et s’installent sur les aires où les prix d’abattages de bovins sont alors fixés à 1 000 F CFA par bête. Le gouvernement est aujourd’hui accusé de négligence pour n’avoir pas su ramener les frondeurs à la raison ou tout au plus faire respecter la loi. Le comble, c’est que l’augmentation de taxes ne fut même pas confirmée.

Une reculade qui encouragera ceux qui restaient encore à l’AFO à faire leurs "malles". "Le gouvernement a failli" reconnaît le "Koosnaaba". "Il a laissé faire", estime un boucher qui pense qu’il saura se racheter sur ce feuilleton qui tarde à prendre fin. "On nous avait même dit à l’époque que la viande des aires d’abattages n’accédérait pas aux marchés. C’est tout le contraire qui s’est produit." , ajoute-t-il.

D’après des rapports des services d’hygiène de Ouagadougou, les aires d’abattage sont insalubres et parfois l’eau manque pour un bon nettoyage de la viande. Des rapports qui recommandent des mesures palliatives énergiques si on persiste à les garder en activité pour éviter certains problèmes de santé publique.

Peu de mesures ont été prises jusqu’à ce jour. Pire, le contrôle vétérinaire est confronté à un problème sur toutes ces aires : l’absence de locaux de saisie. Et pratique courante, l’usage de faux est malheureusement fréquent dans ces aires notamment en ce qui concerne les tampons. Sous nos yeux, des bouchers ont à plusieurs reprises appliqué des tampons sur leurs carcasses sans autre forme de procès.

Alors faut-il arrêter l’inspection comme le suggèrent certains milieux ?

Le ministre du Commerce, Benoît Ouattara s’inscrit lui, dans la logique de la fermeture de ces aires d’abattages. Il l’a dit au dernier point de presse du gouvernement. Quand et comment ? On l’ignore.

En attendant, révèle Mme Bountoulougou, "à la reprise, on sera sans doute obligé de revoir les prix d’abattages pour permettre à l’établissement de vivre. Du reste, depuis 1979, tous les facteurs de production (eau, électricité, carburant) ont augmenté ainsi que le prix de la viande. Il est tout à fait normal qu’on réajuste les choses. D’ailleurs, dans les pays voisins, les taxes tournent autour de 5 000 F CFA".

Pour l’instant, elle croise les doigts et fait des projections. "Si nous arrivons à avoir 70% des bêtes abattues à Ouagadougou, notre chiffre d’affaires qui est actuellement de 18 millions s’envolerait à plus de 550 000 000 millions de F CFA". C’est dire que le salut de l’AFO viendra du fort taux d’abattage si l’on veut que la structure modernisée à 2,7 milliards de F CFA survive.

En effet, avec ses 73 agents, sa masse salariale d’environ 7 millions de F CFA par mois... l’AFO est viable si... tous les acteurs de la filière (autorité, bouchers, consommateurs) l’acceptent et le désirent. Alors, ... peut-être assisteront-ils bientôt à son inauguration. Au début des travaux, il y a eu une cérémonie. Respecter de parallélisme des formes, serait à n’en pas douter, un signal fort.

Victorien A. SAWADOGO (visaw@ yahoo. fr)
Sidwaya

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