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Bourgi n’est pas qu’un « porteur de valises ». C’est surtout un acteur de la « diplomatie parallèle » de l’Elysée et d’ailleurs ! (4/5)

Publié le vendredi 16 septembre 2011 à 20h31min

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Antoine Glaser, directeur de La Lettre du Continent - nous nous connaissons depuis le début des années 1970 - me dira que l’avocat de Robert Bourgi l’avait informé de ma probable mise en examen avant même que je n’ai eu le contact avec le juge. Celui-ci ne me convoquera que le 13 août 2004 (alors que l’info sur cette affaire avait été publiée par La Lettre du Continent le 17 juin 2004) pour présentation à son cabinet le 8 septembre 2004 (reportée au 15 septembre 2004) ; ce juge, c’était Patrick Ramaël, chargé de la disparition en Côte d’Ivoire de Guy-André Kieffer. Il me signifiera ma mise en examen pour diffamation publique envers un particulier.

Un particulier très… particulier ; avocat, certes, mais d’abord éminence grise de l’Afrique noire. Ramaël avait, me semblait-il, une vision « Françafrique » de Bourgi et de moi-même. Nous avons évoqué mon parcours professionnel en Afrique ; il en retiendra que mes relations avaient « toutes du sang sur les mains ». Ce n’étaient pas, pourtant, des juges français (la peine de mort, en France, n’a été abolie que le 9 octobre 1981) mais des personnalités africaines qui ont été des amis personnels (et, parfois, plus que cela) de nos présidents de la République, de Charles De Gaulle à Jacques Chirac (nous sommes en 2004), en passant par Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, et qui ont traîné derrière eux un long cortège « d’affaires » pas claires et, parfois, particulièrement sombres.

Bourgi-Béjot. Ramaël fait l’amalgame entre l’avocat qui n’a jamais endossé sa robe pour plaider mais « a le privilège de pouvoir garer sa Maserati Quattroporte [plus de 100.000 euros], warnings en marche, en face du portail de l’Elysée » et le « vieux » journaliste (40 ans d’activité) qui emprunte RER et métro. Y compris en Afrique, nous ne jouons pas dans la même catégorie bien que fréquentant les mêmes territoires et les mêmes acteurs.

Il se pointera au tribunal avec une « grande pointure » du barreau de Paris, karatéka amateur de Bach et de Barbara, soucieux de « ses chiens et de ses chats » (fiche Who’s Who) : William Goldnadel ; qui aime à se faire appeler Gilles-William (Goldnadel est d’ailleurs un pseudo : il s’appelle William, Gilles, Gérard Golnadel, sans le « d » qui vaut de l’or). Il préside l’Association France-Israël, est membre du comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France, a été avocat de « l’Angolagate » (« La personnalité des protagonistes, l’opulence des uns, l’orientation politique d’un autre étaient considérées dans l’inconscient collectif judiciaire et médiatique comme consubstantiellement synonymes de culpabilité »), pourfendeur de la « dérive antisémite de l’extrême gauche », ami de Benyamin Netanyahou, soutenant que « dans le conflit israélo-arabe, on est […] dans le fantasme […] Entre la réalité et le fantasme, il y a un phénomène qui s’appelle l’antisémitisme ». Goldnadel a aussi publié ses « Réflexions sur la question blanche » (éditions Jean-Claude Gawsewitch, Paris, 2011) dénonçant les « clichés paresseux de la gauche bien-pensante », défendant « une intégration qui ne soit pas complaisance à l’islamisme », fustigeant l’image « du Français moyen réduit à une caricature de brute coloniale » (commentaires de Alexandre Adler, Le Figaro du 15 février 2011).

Bourgi avait débarqué chez Ramaël avec Goldnadel. J’étais venu les mains dans les poches. Ce qui ne manqua pas d’étonner le juge qui, semble-t-il, malgré le dégoût qu’il ne manquait pas d’exprimer pour mes relations professionnelles, se faisait du souci pour mon avenir. Il envisagea même de me faire attribuer un avocat d’office. Tout cela me semblait bien déplacé. Mais Ramaël avait du lire Le Figaro Magazine du 30 avril 2004 qui avait publié un dossier sur « Les 50 qui comptent ». Sur ces « 50 », six faisaient l’objet d’une présentation particulière. Dont Bourgi. Le « degré d’influence » et « la puissance de ses interventions » étaient mesurés par des fils de marionnettes (joli symbole de l’influence !). Le degré « d’opacité », « notamment vis-à-vis du grand public », était mesuré par des masques. Degré d’influence de Bourgi : 4 sur 5 ; degré d’opacité : 5 sur 5. Aucun des 49 autres ne faisait mieux. Le Figaro écrivait alors : « Le territoire de prédilection de cet avocat chiraquien, que l’on dit très proche de Dominique de Villepin, reste avant tout l’Afrique. Là-bas, Robert Bourgi tutoie une quinzaine de chefs d’Etat […] Bourgi est au cœur du système d’informations dominé par Michel de Bonnecorse, le patron de la cellule africaine de l’Elysée ». Chirac, Villepin, Bonnecorse sont aujourd’hui les cibles de Bourgi !

Dans une première procédure, qui n’avait pas pu aboutir judiciairement, Bourgi me réclamait 150.000 euros de dommages et intérêts et la publication du jugement à intervenir dans La Dépêche Diplomatique, Jeune Afrique, Afrique Asie et Le Figaro (pour un coût « qui ne saurait être inférieur à la somme de 15.000 euros »). S’ajoutaient à cela 15.000 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale. On m’avait prévenu : l’objectif était de me « laminer ». A ce tarif-là, j’étais même totalement désintégré !

Dans leur requête, Bourgi-Goldnadel considéraient que je présentais « Monsieur Robert Bourgi comme le fondateur en Côte d’Ivoire d’un pôle de regroupement pour les « africanistes » parisiens de l’ultra-droite et qu’on suggère que certains éléments extrémistes de la communauté ivoiro-libanaise seraient tentés, en liaison avec cette ultra-droite, d’utiliser le terrorisme à des fins politiciennes ».

Mis en examen le 15 septembre 2004, j’étais renvoyé devant le Tribunal correctionnel de Paris le 8 novembre 2004. La partie civile avait, entre temps, ramené ses exigences financières de 150.00 à 50.000 euros et limitait la publication du jugement au seul quotidien Le Figaro. Ooouuufffff… !

Ironie de l’affaire. Ramaël et Bourgi vont se trouver, à nouveau, dans la même « charette ». J’ai signalé, déjà, que Ramaël avait été chargé de l’enquête sur la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer. Affaire (toujours pas résolue) qui mettait en cause l’entourage de Laurent et Simone Gbagbo. Le 26 novembre 2007, Ramaël sera informé que la brigade criminelle de Paris était dessaisie de l’enquête. Dans Jeune Afrique (23 novembre 2007), Christophe Boisbouvier écrira au sujet des « hypothèses » pouvant justifier cette décision : « Paris a voulu freiner l’action du juge afin de normaliser ses relations avec Abidjan. Le 23 août, Nicolas Sarkozy a reçu la famille Kieffer à l’Elysée, en présence de Jean-David Levitte, son conseiller diplomatique. Il a promis qu’il n’y aurait « pas de normalisation avec la Côte d’Ivoire tant que ce dossier ne sera pas réglé ». Mais depuis, les choses ont bougé. Sarkozy et Laurent Gbagbo se sont rencontrés à deux reprises. Et, dans l’ombre, deux hommes sont à la manœuvre : Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, et Me Robert Bourgi, un conseiller à la présidence ivoirienne. Le 27 septembre, l’avocat a reçu la Légion d’honneur des mains de Sarkozy. Sur proposition de… Guéant »*.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

* Au sujet de Bourgi, Guéant avait déclaré à ses biographes, Christophe Duplan et Bernard Pellegrin (Claude Guéant, l’homme qui murmure à l’oreille de Sarkozy - éditions du Rocher, Paris, 2008) : « Oui, je le vois. Il apporte une vue des choses différente. Il a une très grande compréhension de la psychologie africaine. Et c’est utile ».

Ce matin (vendredi 16 septembre 2011), dans Libération, Guéant dit qu’il voyait Bourgi « environ tous les mois » quand il était secrétaire général de l’Elysée ; il ajoute : « Il est arrivé que le Président le voie, oui, bien sûr […] Parce que c’est un bon connaisseur de l’Afrique. Il pouvait apporter des éclairages intéressants sur des évolutions politiques. Il nous apportait une dimension sociologique et culturelle sur l’évolution des pays. Cela ne veut pas dire que ses points de vue dictaient notre politique africaine, loin de là. Mais ils méritaient d’être entendus ».

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