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Quand Robert Bourgi, l’éminence grise de l’Afrique noire, évoque le blanchiment d’argent des chefs d’Etat africains par l’Elysée et Matignon

Publié le lundi 12 septembre 2011 à 14h08min

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La photo de Dominique Galouzeau de Villepin occupe pratiquement toute la « une » du Journal du Dimanche de ce matin, dimanche 11 septembre 2011. En dessous, en vignette, les photos de Blaise Compaoré, Abdoulaye Wade, Laurent Gbagbo, Denis Sassou Nguesso et feu Omar Bongo Ondimba. 3 pages dans lesquelles « l’avocat Robert Bourgi raconte comment il a convoyé jusqu’à l’Elysée pendant des années les millions des chefs d’Etat africains ». « Un récit hallucinant des relations secrètes France-Afrique ».

On y croise le « Doyen » (Jacques Foccart), « Grand » (Jacques Chirac), « M. Chambertin » et « Camarade » (Bourgi), « Mamadou » (Villepin), « Papa » (Bongo) et quelques autres qui n’ont pas l’honneur d’avoir un « blaze ». Robert Bourgi nous raconte que « pendant trente ans, Jacques Foccart a été en charge entre autres choses, des transferts de fonds entre les chefs d’Etat africains et Jacques Chirac » et qu’en mars 1997, « le jour de l’enterrement de Foccart » - que Bourgi appelle son « maître » - Villepin lui a demandé de « reprendre le flambeau ». Voilà donc comment pendant dix ans (1997-2007), Bourgi a été le « porteur de valises de l’Elysée ». Les chefs d’Etat africains, les ministres et les ambassadeurs défilent et les millions d’euros (« en petites coupures ») aussi dans le coffre de la voiture de Bourgi. Bourgi trimballe tellement de sacs (et même des djembés, une idée, note Bourgi, de Blaise Compaoré « connaissant Villepin comme un homme de l’art » et de Salif Diallo !)contenant de l’argent qu’il en a « mal au dos ». Il lui est même arrivé de penser, dans ces moments-là, au général De Gaulle et d’avoir « honte ». Au passage, Bourgi joue les « tontons flingueurs » avec dans le collimateur une cible privilégiée : Villepin, et une cible secondaire : Alain Juppé.

A lire Bourgi, on a l’impression qu’il n’a jamais été qu’un « porteur de valises » et que « l’ingratitude » de Villepin à son égard résulterait justement du jour où, « la dernière semaine de septembre [2005] », celui-ci lui aurait affirmé : « L’argent de Sassou, de Bongo, de tous les Africains, sent le soufre. C’est fini […] Si un juge d’instruction vous interroge, vous met un doigt dans le cul, cela va mal finir ». Dans la foulée, Bourgi ira donc « voir Nicolas Sarkozy » qui lui dira : « Robert, là où je suis, tu es chez toi ». Cela tombe bien : Sarkozy va se retrouver à l’Elysée et demandera à Bourgi « de travailler pour lui, mais sans le système de financement par valises ». Formidable déballage dont, étonnamment, Bourgi ne sort pas avec le beau rôle. Il revendique même une amitié « de trente ans » avec Gbagbo mais se lamente dans le même temps que Juppé l’ait radié de la liste des invités pour « l’intronisation de Ouattara » ; drôle d’ami !

Ce n’est pas la première fois que cette éminence grise de l’Afrique noire cherche à sortir de l’ombre. Il s’était déjà « confessé » dans Le Nouvel Observateur (1er-7 mai 2008). Bel entretien : à la question de Jean-Baptiste Naudet : « Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il tiré vers la lumière cet homme discret qui sent le soufre ? », Bourgi répondait que « le président assume ses choix [et] qu’il a des couilles au cul » (cf. LDD France 0489 à 492 + Spécial Week-End 0333/Mardi 13 à Samedi 17-dimanche 18 mai 2008).

Bourgi n’est pas un nouveau venu sur la scène franco-africaine. D’origine libanaise, né à Dakar, cet enseignant de droit public en Afrique (particulièrement en Côte d’Ivoire) pendant une quinzaine d’années, a prêté serment d’avocat en 1993 (il avait alors 48 ans) et s’est, dès lors, positionné sur la scène franco-africaine. Son nom seul suffit : son père, Mahmoud Bourgi, le « brave Bourgi », était l’honorable correspondant de Foccart en Afrique de l’Ouest. « Bob » (comme l’appelait Foccart), quant à lui, va s’illustrer, au début des années 1990, comme go-between entre les « chiraquiens » et Mobutu au temps du mitterrandisme finissant, avant de diversifier ses pôles africains quand Chirac s’installera à l’Elysée. Les pérégrinations africaines de Bourgi sont innombrables, mais « Bob », jusqu’à ces dernières années, entendait rester dans l’ombre. Sarkozy à l’Elysée, l’ombre va se dissiper : c’est le nouveau président de la République qui, le 27 septembre 2007, lui remet la Légion d’honneur.

A Paris, Abidjan, Dakar, Libreville, Ouaga, etc. parler de Bourgi est, je l’ai maintes fois constaté, dérangeant. On minimise son impact et, pourtant, il demeure omniprésent dans les affaires franco-africaines. Sous Sarkozy comme il l’était sous Chirac. L’évocation de son nom dans les « affaires ivoiriennes » au temps de Gbagbo me vaudra, le 15 septembre 2004, une mise en examen par le juge Patrick Ramaël, Bourgi considérant que, le présentant « comme le fondateur en Côte d’Ivoire d’un pôle de regroupement pour les « africanistes » parisiens de l’ultra droite » et « suggérant que certains éléments extrémistes de la communauté ivoiro-libanaise seraient tentés, en liaison avec cette ultra droite, d’utiliser le terrorisme à des fins politiciennes », s’estimait diffamé. Après l’audience du 11 octobre 2005, il sera déclaré « irrecevable en son action et en toutes ses demandes » (dont 50.000 euros de dommages et la publication du jugement dans Le Figaro).

Depuis, Bourgi vit en pleine lumière et multiplie entretiens et prises de position. Ce qui ne lui facilite pas la vie du côté de l’Elysée. Philippe Bernard, dans Le Monde daté du 5-6 décembre 2010 (au moment des révélations par Wikileaks des télégrammes diplomatiques US), évoquait les points de vue des « officiels » des affaires africaines à l’Elysée au sujet de Bourgi : « Un mercenaire seulement préoccupé par son bien être, un opportuniste, un lobbyiste indépendant qui tente d’améliorer sa valeur commerciale en grossissant le rôle qu’il prétend jouer au moyen de fuites organisées dans les journaux économiques » (Rémi Maréchaux) ; « Le premier objectif de Bourgi est de faire sa propre promotion en vue de son enrichissement personnel [et il] ne représente pas le gouvernement français » (Romain Serman). Son entretien dans le JDD de ce matin ressort de la même démarche : se rendre indispensable aux côtés de Sarkozy - malgré les réticences de l’entourage du chef de l’Etat - en ciblant ceux qu’ils pensent être les « ennemis » du président : Chirac et Villepin. Rien d’autre qu’un « tonton flingueur ». « A 66 ans, déclare-t-il à Laurent Valdiguié, j’en ai assez des donneurs de leçon et des leçons de morale. J’ai décidé de jeter à terre ma tunique de Nessus [= « un présent funeste »], cet habit qui me porte malheur et que je n’ai jamais mérité ». Une explication particulièrement absconse.

On notera cependant que Valdiguié, l’interviewer de Bourgi, ancien journaliste au quotidien Le Parisien (de 1992 à 2007), rédacteur en chef à Paris-Match (2007-2008), rédacteur en chef au JDD depuis le 18 décembre 2008 en charge de sujets « investigation et société », est l’auteur d’un livre sur les relations de Chirac avec l’argent (« Notre honorable président ») publié en février 2002, mais également de deux livres sur « l’affaire Clearstream » et « le procès Villepin » (en collaboration avec Karl Laske, ancien journaliste de Libération qui, depuis mai 2011, a rejoint Médiapart ; il est l’auteur par ailleurs d’un livre sur « l’affaire Elf » : « Ils se croyaient intouchables »). Valdiguié s’est illustré, en mars 2011, par son interview de Kadhafi sponsorisé par Ziad Takieddine, « intermédiaire » libanais mis en cause dans plusieurs affaires (et actuellement dans le collimateur du fisc) : Takieddine, revenant de Tripoli avec les journalistes de JDD, avait été placé en garde à vue au Bourget : il avait sur lui 1,5 million d’euros en liquide… Des valises continuent de circuler ! Reste à connaître le montant des commissions pour les « porteurs ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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