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Gestion des terres dans le Bazèga : Un différend foncier divise le village de Kierma

Publié le mercredi 10 août 2011 à 02h20min

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A Kierma, village situé à quelque 10 km à l’Est de Kombissiri, chef-lieu de la province du Bazèga, deux familles se querellent un lopin de terre. L’affaire opposant le chef du village, Naaba Tigré et Oumarou Kabré, est actuellement entre les mains de la justice. Elle a la charge de trouver une solution à ce différend qui divise la communauté villageoise.

Les litiges fonciers sont légion au Burkina. Presque toutes les régions du pays en connaissent. A Kierma, un village de la province du Bazèga, à environ 10 km à l’Est de Kombissiri, c’est le chef, Naaba Tigré et un de ses sujets, Oumarou Kabré, qui se disputent un même espace terrien. Le jeudi 23 juin 2011, partie à la rencontre des protagnistes, l’équipe de Sidwaya a été surprise de la mobilisation de la population. Chacun des deux belligérants ayant derrière lui, des partisans, nous comprendrons un peu plus tard, les raisons de cette grande moblisation : des représentants de la justice étaient attendus. "Cette terre nous appartient.

Elle était jadis exploitée par nos ancêtres. Aujourd’hui, nous cultivons tous à Rassemkandé, un village voisin...", nous confie d’emblée, le chef, avant de nous faire la genèse de l’affaire qui divise toute la communauté villageoise de Kierma.
Selon lui, le père d’Oumarou Kabré serait venu voir le sien, il y a environ 30 ans, pour solliciter l’espace querrellé, afin de l’exploiter. Son père n’aurait pas trouvé d’inconvénient à le lui céder. Seulement, la condition était qu’il puisse un jour, s’il en avait besoin, le récupérer. Le père d’Oumarou ne trouva pas d’objecttion à cette condition et l’affaire fut ainsi, conclue, en présence de principaux témoins de chaque côté.

"Aujourd’hui, les principaux témoins sont morts, mais d’autres personnes ayant assisté à cette transaction vivent toujours et se souviennent encore de cette affaire. Oumarou refuse d’admettre que nous sommes propriétaires de cet espace. Pourtant, les tombes, les ruines des maisons et des lieux de fétiches sont des traces palpables que nos ancêtres ont habité ici. D’ailleurs, Oumarou ne peut même pas ramasser une seule noix des arbres à karité ni cueillir les fruits des nérés de cet espace. C’est moi qui récolte tout...", affirme le chef. Des ruines nous ont été montrées. Certaines, surtout les tombes, sont devenues de petits amas de terre où poussent des buissons touffus, en ce début d’hivernage. "Oumarou tente à dessein, de faire disparaître ces traces...", explique Naaba Tigré.

Des rites coutumiers pour trancher le litige

L’ancêtre de Kierma viendrait de Mogdogo, selon Naaba Gnounga, chef de cet autre village voisin. "Notre ancêtre a installé ici, l’ancêtre de Kierma. Au départ, le village s’appelait Koul lenga, en langue nationale mooré (ce qui signifie rivière peu profonde). La grand-mère d’Oumarou est la soeur de mon défunt père. Le chef de Kierma et moi sommes descendants du même ancêtre. Des liens de sang nous unissent tous les trois. J’aurai préféré les voir s’entendre que de se disputer. Des rites coutumiers pouvant déterminer qui est le vrai propriétaire de cet espace existent. Si l’on effectue l’un de ces rites tout de suite ici, l’imposteur sera démasqué. Malheureusement, Oumarou et ses partisans sont très allergiques à l’évocation de ces rites, arguant que leur foi religieuse (ils sont musumans) les interdit de se livrer à des pratiques relèvant, selon eux, de l’athéisme...", souligne le chef de Mogdogo, qui précise que l’actuel chef de Kierma est le 13e de ce village.

Issaka Nikièma fait partie des personnes ayant été témoins de la transaction dont a parlé le chef. Il explique que le nom du village a changé, lorsque l’ancêtre d’Oumarou est arrivé. Cette venue n’était pas, selon lui, acceptée par toute la communauté du village qui qualifiait leurs hôtes de belliqueux. Aussi, le chef, pour contenter tout le monde, aurait dit à celui-ci de s’installer juste à côté avec son monde, en lui montrant un endroit. "Kérémsi bilfou n zindi", en langue nationale mooré (cela signifie en français : bouger juste un peu pour vous installer). D’où le nom du village Kierma. "Notre ancêtre s’appelait Tinnoaga. La pemière tombe que nous vous avons montrée est la sienne. Nous avons cultivé ici, avant d’aller à Rassamkandé...", indique Issaka Nikièma.

L’occupant actuel de l’espace, Oumarou Kabré, soutient fermement, qu’il a hérité cet espace de son père. "Je suis âgé aujourd’hui, de 51 ans. Mon père est décédé, il y a neuf ans. C’est lui qui m’a montré les limites cet espace, il y a 42 ans de cela. Je suis encore jeune. Mais, des vieux présents ici dont l’un a plus de cent ans, peuvent vous retracer l’histoire de Kierma...", relève Oumarou, en précisant que le chef de Kierma est son neveu. "Sa mère est de notre famille, donc ma tante", indique-t-il.

Des vélléités d’en découdre

Du côté du chef de Kierma, on rétorque que cela ne date pas d’aussi longtemps. "Si l’on considère ce qu’il dit, cela veut dire qu’il avait neuf (9 ans), quand son père lui montrait les limites de cet espace. A cet âge-là, on ne peut pas se souvenir des choses qui se sont passées il y a plus de quarante ans...", souligne un vieux du côté du chef de Kierma. Des propos que réfutent les partisans d’Oumarou.
Et Noufou Tapsoba semble être le plus âgé d’entre eux. C’est d’ailleurs lui qu’Oumarou désigne comme ayant plus de cent ans. Age que lui dénie le vieux Tenga Ouédraogo, un partisan du chef. "Tu sais très bien que tu n’es pas plus âgé que moi. Pourtant, je n’ai pas cent ans. Tu es de mauvaise foi.

C’est pourquoi tu rejettes l’idée des rites coutumiers pouvant, aider à la manifestation de la vérité...", lui fait remarquer celui-ci. Mais, l’air malicieux, ignorant cette remarque, Noufou Tapsoba affirme tout de go, que la terre appartenait à Zoundou, le grand-père d’Oumarou. "Oumarou a hérité cet espace de son père Rasmané. Le chef de Kierma ne peut donc pas prétendre à cette terre. D’ailleurs, le Baloum Naaba de Kombissiri est déjà venu trancher le problème en faveur d’Oumarou. Nous ne comprenons pas pourquoi ce différend, qui n’aurait pas dû naître entre Oumarou et le chef, soit de nouveau, un sujet à débats...", relève-t-il, tout en indiquant que le vrai chef de ce village est le "Kerm Nabiiga"", titre honorifique attribué aux princes "Nakomsé" chez les moossé. "Les habitants de Kierma sont des sujets du chef de Kombissiri, y compris moi-même. Mais, Kierma est sous mon autorité...", soutient Boureima Kabré répondant effectivement au titre de "Kerm Nabiiga". Il poursuit en martelant, furieux : "Nous attendons des juges, pas des journalistes. Je ne sais même pas pourquoi j’ai accepté de parler". Il s’offusque lorsque nous lui demandons pourquoi lui et les autres refusent que l’on effectue les fameux rites coutumiers pour trancher, de façon traditionnelle, le litige.

Avec lui, les partisans d’Oumarou protestent menaçants, car dans le camp adverse l’on est favorable à cette éventualité qui, selon eux, aurait pu régler le problème depuis longtemps. La tension monte d’un cran. Nous avons alors du mal à calmer les ardeurs car, de chaque côté, les vélléités d’en découdre étaient perceptibles.
L’atmosphère apaisée, Oumarou Kabré se fait le devoir, à son tour, de nous montrer les limites du terrain, résolument convaincu qu’il en est le propriétaire. Il nous montre les limites du terrain, matérialisées par des épineux. "C’est le chef de Mogdogo qui a planté ces épineux. Il exploite l’espace voisin au mien...", souligne-t-il. Les ruines d’une maisonnette nous avaient été présentées par le chef comme étant une ancienne habitation.

Oumarou nous explique que ce sont les ruines d’une cabane d’un pêcheur. "Mon père a cédé cette petite partie à un pêcheur pour en faire une cabane, il y a de cela 25 ans...", explique-t-il. L’espace querrellé est bordé en effet, à son côté Est, par une retenue d’eau, réalisée par un projet de développement, il y a seulement quelques années. A en croire les partisans du chef, contrairement à ce qu’affirme Oumarou, la retenue d’eau n’existait pas à l’époque qu’il évoque pour expliquer la présence des ruines de la cabane du pêcheur. Balayant du revers de la main ce que les autres considèrent comme des incohérences dans ses dires, celui-ci nous confie : "A cause de la retenue d’eau, la terre est devenue très favorable à la culture maraîchère. Je fais des oignons sur cette parcelle. Cela suscite des envies...".

Les deux parties ont confié leur différend à la justice. Gageons qu’elle parviendra à résoudre ce litige qui préoccupe, depuis quelques années, les habitants de Kierma.

Etienne NASSA

Sidwaya

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