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Quel sera l’impact de la « famine » dans la nécessaire recomposition géostratégique de la corne de l’Afrique ?

Publié le mercredi 3 août 2011 à 21h11min

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Le mot refait la « une » de la presse internationale : « famine ». Et les images d’enfants dénutris réapparaissent sur les écrans de nos télés tandis que les ONG martèlent, jour après jour, leurs demandes de dons. Somalie, Ethiopie, Erythrée, Kenya, Ouganda, Djibouti… la liste s’allonge des pays touchés par un mal endémique sans que personne, jamais, ne relève que la corne de l’Afrique est un pôle démographique majeur : pas loin de 20 % de la population totale du continent africain pour les six pays aujourd’hui concernés par la « famine ».

Et que cette zone aride est, par ailleurs, incontestablement, celle de « tous les dangers ». Mer Rouge, golfe d’Aden, océan Indien sont le théâtre d’actes de piraterie tandis que la Somalie est un territoire « out of Africa » ; l’Ethiopie a été non seulement impliquée dans des conflits régionaux (Erythrée et Somalie) mais doit faire face à des rébellions internes (celle de l’Ogaden, à la frontière avec la Somalie, étant la plus connue, sans oublier les multiples organisations rebelles oromo - les oromo représentent au moins un tiers de la population éthiopienne mais sont totalement marginalisés) ; le Kenya et l’Ouganda sont loin d’être des havres de paix ; Ethiopie, Kenya, Ouganda ont une frontière commune avec le Sud-Soudan qui vient tout juste d’obtenir son indépendance ; l’Ouganda jouxte l’Est de la RDC et, sur sa frontière Sud, le Rwanda.

C’est dire que tous les ingrédients sont réunis pour que cette région ressemble à un ceinture d’explosifs dont le détonateur se trouve quelque part en Somalie. Ajoutons que Djibouti (confronté en 2008 à des tensions sur sa frontière avec l’Erythrée) ne manque pas d’être touché, également, par la « famine », alors que c’est un formidable camp retranché pour les « occidentaux » : Américains et Français en tête, mais aussi Japonais (impliqués dans la lutte contre la piraterie maritime) qui y installent une base navale permanente. C’est dire que ceux qui pensent que la « famine » préoccupe la « communauté internationale » se trompent ; sa préoccupation porte sur la recomposition géostratégique de la corne de l’Afrique ! Sauf que, bien sûr, les hordes d’affamés qui sèment leurs morts le long des routes de l’exode font désordre et sont une aubaine pour tous ceux qui ont entrepris de déstabiliser cette région pour en exploiter la position exceptionnelle à la confluence de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie.

La famine, dans la corne de l’Afrique, avait pris en 1984, disait-on alors, des « proportions bibliques » : 1 million de morts pour la seule Ethiopie. Michael Jackson avait composé « We are the World » et les jeunes Français chantaient « loin du cœur et loin des yeux, l’Ethiopie meurt peu à peu ». Depuis 2008, ONG et experts ne cessent d’alerter sur « la plus grave famine en Ethiopie depuis vingt cinq ans » (titre d’un article de Catherine Rebuffel dans La Croix du 24 septembre 2008) ; ce n’est là que l’aboutissement d’un long processus de dégradation de la situation alimentaire entamé déjà au début des années 2000 et qui n’ira qu’en s’amplifiant au fur et à mesure de la dégradation de la situation dans la Somalie voisine et de l’implication de Addis-Abeba dans la guerre. C’est dire que Éthiopie - 60 millions d’habitants - pourrait être, en amharique (Yaityopya), le mot employé pour désigner la « famine » !

En fait, tout s’est joué en 1991 ; il y a vingt ans. Le 27 janvier 1991, le général somalien Mohamed Siad Barré, au pouvoir depuis 1969, était renversé. Il avait pris pour « argent comptant » la symbolique du drapeau orné d’une étoile à cinq branches : Somalie britannique, Somalie italienne, Djibouti, Nord du Kenya et Ogaden éthiopien. Mais la Somalie, en 1960, lors de sa création, n’avait regroupé que les territoires britannique (le Somaliland, qui a proclamé son indépendance en 1991, à la suite de la chute de Siad Barré, mais n’est pas reconnu par la « communauté internationale ») et italien. En 1977, Siad Barré engagera la guerre contre l’Ethiopie pour conquérir l’Ogaden ; il la perdra et la République démocratique de Somalie deviendra, plus que jamais, une dictature.

Siad Barré « out », ses vainqueurs se déchireront et la guerre civile, déclenchée le 17 novembre 1991, va achever de ruiner le pays et d’y installer durablement chaos et famine. Face au désastre, le 9 décembre 1993, ce sera l’opération « Restore Hope » dans laquelle les USA - « Papa » Bush étant à White House - vont s’embourber. L’ONU prendra la relève le 4 mai 1993 tandis que Washington, humilié, rapatriera ses « marines ». L’ONU se retirera à son tour le 2 mars 1995. Le territoire somalien devient la proie des seigneurs de la guerre et des mafieux : un « Etat failli ». L’Union des tribunaux islamiques va conquérir Mogadiscio où elle s’installera le 5 juin 2006 après avoir battu les troupes de l’Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme, soutenues et armées par les USA.

L’année où Siad Barré était viré du pouvoir, Mengistu Hailé Mariam, président de la République démocratique populaire d’Ethiopie, était lui aussi défait par des mouvements rebelles issus du Tigré (FPLT) et de l’Erythrée (FPLE). Nous sommes le 21 mai 1991. Mais, là encore, les rebelles ne se rassemblent pas : Meles Zenawi (FPLT) s’installe à Addis-Abeba tandis que l’Erythrée obtiendra son indépendance le 24 mai 1993. Cinq ans plus tard, ils se feront la guerre (mai 1998-juin 1999). Confronté à une rébellion intérieure et à l’insécurité sur ses frontières, Addis-Abeba va profiter du chaos qui règne à Mogadiscio pour s’impliquer dans le conflit somalien. « Nous y avons été forcés par les circonstances » plaidera Meles Zenawi dont l’aviation bombarde son voisin du Sud (et, au passage, la rébellion de l’Ogaden, la province éthiopienne qui jouxte la Somalie) ; ce n’est qu’en 2009, après deux années d’opérations militaires, que l’Ethiopie - soutenue par Washington - se retirera de Somalie. Echec.

Tout est, dès lors, en place pour que puisse se jouer le drame de la corne de l’Afrique. Au nom de la lutte contre le « terrorisme islamique » et la « piraterie maritime », les « Occidentaux » vont s’y ancrer militairement. Tripoli et Asmara ont soutenu les Tribunaux islamiques contre Addis-Abeba… soutenu par Washington et les « occidentaux » qui forment des soldats somaliens en… Ouganda (camp de Bihanga) et à Djibouti ; des Somaliens qui, rentrés chez eux, désertent et vendent armes et équipements. Kampala, capitale de l’Ouganda, sera ainsi la cible (11 juillet 2010) d’un attentat revendiqué par les islamistes somaliens (74 morts) ; il est vrai que Kampala a fourni le plus gros contingent de soldats à l’Amisom, la force de la paix de la Mission initiale de l’Union africaine en Somalie qui intervient sur mandat des Nations unies.

Dans ce contexte diplomatico-militaire, les populations vivent un drame « humanitaire ». Somalie, Ethiopie, Kenya, Ouganda, Djibouti et Sud-Soudan sont des zones arides pastorales (la configuration géo-économique est identique dans la zone sahélo-saharienne, elle aussi touchée par l’insécurité ; même chose pour la Libye d’aujourd’hui). La situation conflictuelle qui prévaut dans la région depuis plusieurs décennies ajoute ses effets à une sécheresse déjà meurtrière.

Près de 150 millions de personnes sont concernées. L’implication militaire des « Occidentaux » n’a pas résolu les problèmes ; elle n’a fait que les aggraver. Au nom de leurs intérêts géostratégiques et au détriment des intérêts des populations concernées. On peut même redouter que la « famine » ne soit instrumentalisée pour reconfigurer le rapport de forces dans la sous-région ; sans perdre de vue que la péninsule arabique se trouve de l’autre côté de la mer Rouge et du golfe d’Aden, une zone, elle aussi, en ébullition. On n’a pas fini de mourir de faim dans corne de l’Afrique !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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