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La mort de Christian Dutheil de La Rochère, ambassadeur de France à Abidjan au temps de Henri Konan Bédié.

Publié le mardi 2 août 2011 à 14h30min

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En 1993, en trente-trois années d’indépendance, la République de Côte d’Ivoire n’avait connu que quatre ambassadeurs de France. Deux d’entre eux, Jacques Raphaël-Leygues et Michel Dupuch, étaient restés en poste, au total, plus de trente ans. Et un seul des quatre (Léon Brasseur - 1961-1963) était un diplomate de carrière. La nomination de Christian Dutheil de La Rochère avait donc été un événement ; plus encore dans le contexte de l’époque.

C’est le mercredi 17 novembre 1993 que ce Breton de Brest sera agréé par Abidjan comme ambassadeur de France. Mais sa nomination ne sera publiée au Journal officiel que le 24 décembre 1993 et il ne présentera les copies figurées de ses lettres de créance que le 3 janvier 1994. Agréé, officiellement, par Félix Houphouët-Boigny, il gagnera son poste alors que c’est Henri Konan Bédié qui était devenu président de la République : le « Vieux » était mort entre temps, le 7 décembre 1993 (né un mardi - kouadio en baoulé - il ne pouvait mourir officiellement qu’un mardi). La Côte d’Ivoire n’était pas une découverte pour le nouvel ambassadeur ; il y avait séjourné avant l’indépendance, en 1958, alors qu’il était étudiant à l’ENFOM, l’Ecole nationale de la France d’outre-mer, autrefois « La Colo ».

Fils de Régis Dutheil de La Rochère, officier de marine, et de Thérèse de David Beauregard, le nouvel ambassadeur a tout juste soixante ans quand il débarque à Abidjan. Chacun sait que son séjour ivoirien n’ira pas au-delà de l’âge de la retraite. Né le 1er janvier 1934, il est titulaire d’une licence en droit. Il est, surtout, breveté de l’ENFOM où il était entré en 1957 pour en sortir administrateur en 1960, l’année des indépendances des pays africains francophones. C’est donc au sein du Quai d’Orsay qu’il va alors mener sa carrière. Après deux années passées « sous les drapeaux », il intégrera, en 1962, l’administration centrale où il sera nommé quelques mois au chiffre avant de recevoir sa première affectation outre-mer. En l’occurrence : Canberra, Australie, où il sera affecté comme deuxième secrétaire . il y demeurera jusqu’en 1966 ayant été, entre temps, le 16 avril 1964, intégré dans le corps des conseillers et secrétaires des Affaires étrangères. Il quittera l’Australie pour le Maroc.

Le voilà deuxième secrétaire à Rabat puis, en 1958, premier secrétaire. Un long séjour dans le royaume chérifien : ce n’est qu’en 1971 qu’il recevra une nouvelle affectation. Loin des terres africaines. Il est nommé premier secrétaire puis deuxième conseiller à Varsovie, en Pologne. Il y obtiendra, le 6 juin 1973, le grade de chevalier de l’ordre national du Mérite mais ne regagnera Paris - après plus de treize années « d’expatriation » - qu’en 1975. Il est alors nommé chargé de mission au secrétariat général de la présidence de la République. Bref séjour du côté de l’Elysée : en 1976, il regagne l’administration centrale étant affecté à la direction des affaires africaines et malgaches alors dirigées par Guy Georgy ; il y est délégué dans les fonctions de sous-directeur (1976-1977) avant d’être nommé sous-directeur à part entière (1978-1982). Il obtient alors son premier agrément comme ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. C’est à Brazzaville, au Congo, sous la présidence de Denis Sassou Nguesso.

Nommé le 4 janvier 1982, le comte Christian Dutheil de La Rochère va débarquer dans un Congo qui s’adonne aux joies de la lutte anti-impérialiste et au combat pour le socialisme. Cela ne va pas le perturber. Trois ans plus tard, le 27 février 1985, il sera nommé ambassadeur à N’Djamena, sous la présidence de Hissène Habré. Les relations franco-tchadiennes ne sont jamais simples ; sous Habré, elles étaient particulièrement compliquées. Il fallait prendre en compte, aussi, les ambitions de Mouammar Kadhafi et celles du GUNT de Goukouni Weddeye. La guerre reprendra entre le Tchad et la Libye et Kadhafi va devoir battre en retraite face aux troupes de Habré qui, rapidement, va devenir le héros de l’Afrique noire. La tâche de Dutheil de La Rochère sera compliquée par l’instauration, en France, de la première cohabitation (1986-1987) puis le retour des socialistes au pouvoir. Il va rester au Tchad jusqu’en 1989.

Sans affectation, il lui faudra attendre 1993 - et son départ pour Abidjan - avant de retrouver le devant de la scène diplomatique. Il arrive dans la capitale ivoirienne avec à son revers le ruban de chevalier de la Légion d’honneur obtenu le 13 juillet précédent. Et un problème à gérer : la dévaluation du franc CFA. La France est entrée, une fois encore, dans le temps de la cohabitation (c’est la deuxième). Edouard Balladur est à Matignon et entend tourner une page dans les relations de la France avec ses anciennes colonies africaines. A Abidjan, il considère que Michel Dupuch, l’ambassadeur de France, est en poste depuis trop longtemps (4 janvier 1979 !). C’est Michel Roussin, alors ministre de la Coopération qui obtiendra son départ. Jacques Foccart considérera cela « inconvenant et inopportun ». Le 7 décembre 1993, alors que Dupuch a bouclé ses bagages et fait ses adieux (il doit quitter Abidjan le 8 décembre 1993), le « Vieux » meurt. Du même coup, l’ambassadeur de France défait ses valises et reste quelques jours encore à Abidjan pour assurer la gestion d’une succession effectivement délicate. A Abidjan, comme à Paris, on épiloguera longtemps sur son rôle.

Nommé par un gouvernement de droite sous la présidence de François Mitterrand, Dutheil de La Rochère, demeurera en place lorsque Jacques Chirac, le mercredi 17 mai 1995, prendra ses fonctions de président de la République française. Deux mois plus tard, les vendredi 21 et samedi 22 juillet 1995, Dutheil de La Rochère accueillera dans la capitale ivoirienne le nouveau chef de l’Etat. Jacques Chirac entamait, par Abidjan, sa tournée en Afrique noire francophone (il arrivait du Maroc ; il se rendra, ensuite, au Gabon et au Sénégal). Le chef de l’Etat français va débarquer à Abidjan alors que l’élection présidentielle de 1995, consacrant l’élection de Bédié jusqu’alors seulement « héritier constitutionnel », s’étai déroulée sans figures majeures de l’opposition. Un coup pour rien.

Face à Bédié, Alassane Ouattara, ancien premier ministre de Houphouët-Boigny, apparaissait alors comme l’incontournable challenger. Mais le débat sur sa « nationalité » était, déjà, à l’ordre du jour tandis que se développait la campagne sur « l’ivoirité ». Aussi les déclarations de l’ambassadeur de France à Abidjan, dans le quotidien gouvernemental Fraternité-Matin, du jeudi 20 juillet 1995, prendront une dimension particulière. « Ce que les gens comprennent très facilement dans le système démocratique, expliquait Dutheil de La Rochère, c’est le processus électoral. Mais il y a tout un aspect moins visible mais aussi important : le respect des minorités, le respect de l’Etat de droit, le civisme y compris le civisme fiscal ». Le 9 décembre 1996, Dutheil de La Rochère sera élevé à la dignité d’ambassadeur de France. Le 5 janvier 1998, il sera nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Monrovia, au Liberia, avec résidence à Abidjan. Quand il quittera la capitale ivoirienne, fin 1998, il partira à la retraite. Et n’imaginait sans doute pas qu’un an plus, Bédié serait renversé par un coup de force militaire, le premier dans l’histoire de la Côte d’Ivoire.

Le comte Christian Dutheil de La Rochère est mort le 30 juillet 2011. Il avait été « envoyé spécial français » à Lomé, au lendemain des événements de septembre 2002 en Côte d’Ivoire, alors que Gnassingbé Eyadéma tentait une médiation entre Laurent Gbagbo et les « rebelles ». Cela a été, me semble-t-il, sa dernière incursion dans les affaires ivoiriennes.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 2 août 2011 à 16:52, par Joukov En réponse à : La mort de Christian Dutheil de La Rochère, ambassadeur de France à Abidjan au temps de Henri Konan Bédié.

    Son role ne fut pas joli ce fameux mardi 07/12/1993. Car à peine Bedié a pris le pouvoir à la television comme un putchiste en demandant aux ivoiriens de se mettre à sa disposition, quelques minutes plus tard, lui accompagné de l’ambassadeur Us et deux autres ambassadeurs saluaient et adoubaient le nouveau chef d’etat alors que ceux qui savaient savaient qu’il n’etait pas à la hauteur de la tâche. Conduire un pays ce n’est pas seulement construire des routes et electrifier les villes et villages. Celui qu’il ne voulait pas comme predisent l’est aujourdui avec un gachi humain considerable.

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