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Le professeur Joseph Paré passe du gouvernement à l’ambassade du Burkina Faso en France (2/2)

Publié le mardi 2 août 2011 à 02h29min

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La nomination du professeur Joseph Paré comme ambassadeur du Burkina Faso en France (avec en charge l’Unesco et la francophonie sans oublier, sans doute, le Saint-Siège - Paré est déjà ambassadeur pour la paix de la « Fédération des Chrétiens pour la Paix » mais j’avoue ne pas savoir ce qu’est cette fédération ni même si elle est bien en cour du côté de la Cité du Vatican) pourrait sembler quelque peu anachronique dans le contexte actuel.

Ce n’est ni un diplomate de carrière ni un politique ; ce n’est pas non plus un « communicateur » ; et, moins encore, un fan de l’économie et de l’entreprise (tout au moins à première vue). Mais la sémiotique littéraire - la spécialité de Paré - doit sans doute permettre de décrypter la signification de cette nomination en conseil des ministres du mercredi 27 juillet 2011.

Le parcours « intellectuel » de Paré ne doit pas faire oublier, cependant, qu’il a été, aussi, de longues années, un homme de terrain : président de l’Université de Ouagadougou de 2003 à 2005 et ministre de 2006 à 2011. C’est le 6 janvier 2006 qu’il a fait son entrée dans le gouvernement. Ernest Yonli était alors premier ministre. Paré se voyait attribuer les enseignements secondaire, supérieur et la recherche scientifique. C’était le premier gouvernement du quinquennat, Blaise Compaoré ayant été réélu quelques semaines auparavant à la présidence du Faso. Quand, au printemps 2007, Tertius Zongo prendra la suite de Yonli, Paré sera maintenu dans l’équipe gouvernementale. Avec les mêmes attributions. Le 16 janvier 2011, lors de la formation du nouveau gouvernement Zongo (reconduit à la primature à la suite de la réélection de Compaoré à la présidentielle 2010), Paré conservera les enseignements secondaire et supérieur mais perdra la recherche scientifique confiée (avec l’innovation) à Isaïe Konaté ; c’était la première fois que la recherche devenait ainsi un ministère plein au Burkina Faso. Mais les effets collatéraux de la nouvelle « affaire Zongo », les mutineries et autres exactions qui ont bouleversé le Burkina Faso, vont avoir raison non seulement du premier ministre (remplacé par Luc Tiao) mais aussi - parmi bien d’autres - de son ministre des enseignements secondaire et supérieur. Paré est remplacé, dans le gouvernement du 21 avril 2011, par un… professeur d’université : Albert Ouédraogo.

Les cinq années de Paré au gouvernement n’ont pas été « un long fleuve tranquille » ; les universités burkinabè auront été, pendant cette période, en ébullition permanente ; et, parfois, exploseront, provoquant grèves et manifestations, affrontements entre étudiants et forces de l’ordre. Sous la pression du nombre, les infrastructures se sont révélées notoirement insuffisantes tandis que les conditions de vie et d’études devenaient de plus en plus difficiles pour les jeunes Burkinabè. Paré aura beau appeler « l’ensemble des acteurs à être serein, sans surestimation de sa position ni de ce que chacun demande », la situation ne cessera d’être explosive ; plus encore dans un contexte de nécessaires réformes du système éducatif. Mais c’est le lot commun des ministres de « l’éducation » partout dans le monde. Il n’est pas certain, d’ailleurs, que le fait d’être un « enseignant » de carrière facilite la perception des problèmes d’éducation et de formation, même si cela aide à la compréhension d’un « système » toujours complexe.

La question se pose aussi pour les ambassadeurs. Débat universel ; et la tendance est, désormais, à la déprofessionnalisation de la diplomatie sans que, pour autant, des « politiques » soient promus. Ainsi, les ambassadeurs burkinabè nommés en conseil des ministres le mercredi 27 juillet 2011, dans trois pays significatifs sont professeur titulaire d’université (France), ministre plénipotentiaire (Arabie Saoudite) et administrateur des services financiers (Inde). Paré à Paris, c’est la réflexion comme mode d’action et l’irruption, sur la scène diplomatique africaine de la capitale française, d’une personnalité universelle ; un électron libre, même s’il a été patron de l’université et ministre plus de cinq ans (on n’est pas nommé à ces jobs par hasard). L’adéquation entre l’homme et la fonction, en ce qui concerne Paré, où se trouve-t-elle ? N’étant pas reconduit dans le gouvernement, il était disponible sur le marché du travail ; mais il n’était pas le seul dans ce cas et bien d’autres avaient, déjà, une expérience « diplomatique ».

Faut-il penser que dans la relation entre Paris et Ouaga - relation fondamentale - il fallait un homme neuf pour un Burkina Faso nouveau ? Le pays véhicule une image « virile » (c’est oublier que, dans ce pays, plus de 50 % des « hommes intègres » sont des femmes !). Depuis la chute de Maurice Yaméogo (il y a 45 ans !), le pouvoir a été exercé par des militaires : général Sangoulé Lamizana ; colonel Saye Zerbo ; commandant Jean-Baptiste Ouédraogo ; capitaine Thomas Sankara ; capitaine Blaise Compaoré. Et même si le pays a su évoluer du militaire au civil, il n’empêche que l’image du Burkina Faso est bien plus celle du « sabre » que de la « toge » universitaire (Yé, Bassolé, Sedogo,… perpétuent cette tradition). Ce n’est pas une critique - un militaire ouvert à la discussion vaut mieux qu’un civil borné -, c’est une constatation. Qui ne manque pas « d’impacter » l’image du pays ; même si nombre d’ambassadeurs burkinabè ont été ou sont des femmes (sauf à Paris) et si, dans la capitale française, la démonstration a été faite qu’un ambassadeur pouvait être, tout à la fois, homme de réflexion et homme d’action (et de communication). Le fait que l’actuel premier ministre soit l’ancien titulaire du job à Paris - ce qui laisse penser qu’il n’entend pas confier sa suite à n’importe qui - confère une signification particulière à la nomination de Paré ; mais c’est lui le sémiologue, pas moi.

Rupture ou continuité, volonté de « ne pas injurier l’avenir », « hasard objectif »… les semaines et les mois à venir vont nous éclairer sur les raisons du débarquement de Paré à Paris. Avec une certitude : il y débarquera avec pour bagages textes et déclarations. On imagine mal qu’il soit homme à se déjuger et à abdiquer ses amitiés (intellectuelles). S’il n’est pas, stricto sensu, un « politique », Paré est un homme « engagé » qui sait « ce que parler veut dire ». Et Paris n’est pas, sur la scène diplomatique mondiale - et plus encore la scène africaine - n’importe quel partenaire. Or, selon moi, Paré est porteur d’un message sur l’évolution du monde d’aujourd’hui. « Ce dont il est question dans la mondialisation, a-t-il affirmé en 2004, ce n’est pas seulement de croissance, il est pleinement question du sort de la communauté humaine dans son entièreté, et par voie de conséquence, du destin même de notre continent, embarqué dans la même aventure que l’Europe depuis les confrontations coloniales et les deux grandes tragédies mondiales du siècle passé ». Faisant référence à l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, tout autant essentiel mort que vivant (l’assistante de l’ambassadeur du Burkina Faso à Paris est la belle-fille de cet éminent honnête homme) et à son dernier livre (« A quand l’Afrique ? », éditions de l’Aube, Paris, 2003) - Paré demandait que nous ne nous laissions « pas griser par les mirages de la mondialisation qui réduit le développement à une question « d’avoir » ou de « pouvoir économique » au détriment d’une vision holistique et humaine ». Il prônait une « maîtrise de la mondialisation », une « mondialisation dominée par l’importance de la culture et de la société et la politique comme principe d’arbitrage face à la diversité du monde ». Bien sûr, ceux qui « rament » au quotidien pour survivre, penseront qu’il y a d’autres priorités ; c’est certain, mais on ne parviendra pas à la mise en œuvre de ces priorités sans une réflexion sur la finalité de notre monde. Et Paré nous y invite. D’urgence !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 1er août 2011 à 20:34, par Tapsoba En réponse à : Le professeur Joseph Paré passe du gouvernement à l’ambassade du Burkina Faso en France (2/2)

    On ne finira jamais de se délecter de vos articles.Merci à “lefaso.net” de nous avoir toujours fait partager ces écrits aussi pertinents qu instructifs.

    • Le 2 août 2011 à 16:25 En réponse à : Le professeur Joseph Paré passe du gouvernement à l’ambassade du Burkina Faso en France (2/2)

      Bonjour M. TAPSOBA, la nomination de Monsieur Joseph PARE est une excellente nouvelle pour les burkinabé de sa juridiction.
      Le problème, c’est que nous avons commencé une belle aventure avec Monsieur Luc Adolphe TIAO. Nous n’avons pas eu le temps de terminer cette aventure que Monsieur PARE nous est donné.
      J’espère que nous aurons l’occasion d’initier de belles oeuvres avec ce nouveau ambassadeur pour le développement du Burkina. A condition qu’il soit disposé à nous écouter, lui le sémiologue.

  • Le 2 août 2011 à 00:33, par Anlan En réponse à : Le professeur Joseph Paré passe du gouvernement à l’ambassade du Burkina Faso en France (2/2)

    Je vais ajouter à votre prodada que le langage de la diplomatie quelque soient les contours pris pour l’exprimer ne pourrait échapper à un sémiologue de la langue française. Comme on le dit chez nous, les paroles vierges, les paroles enceintées, les paroles "viens je vais te dire" s’écoutent avec le cerveau. Paré a le cerveau pour écouter. Il devra tout de même se défaire du clanisme et de « l’ethnicisme » qui est entrain de gagner beaucoup de ses frères.

  • Le 2 août 2011 à 02:10 En réponse à : Le professeur Joseph Paré passe du gouvernement à l’ambassade du Burkina Faso en France (2/2)

    Ce sont toujours les mêmes sous le règne COMPAORE depuis plus de deux décénies : Ministres, DG, Député, Ambassadeur et que sais je encore. C’est un jeu de chaise musicale et y a fohi.

  • Le 3 août 2011 à 15:09 En réponse à : Le professeur Joseph Paré passe du gouvernement à l’ambassade du Burkina Faso en France (2/2)

    Compte tenu de ses performances en tant que Ministre des Enseignements secondaires, Supérieurs et de la Recherche scientifique, nous avons tous pensé que le Professeur Paré Joseph ne méritait pas un débarquement si abrupte. Mais sans doute Blaise Compaoré devait parer au plus pressé compte tenu de la situation sociale très difficile à laquelle il devait faire face. C’est donc un juste retour des choses par lequel on reconnait à l’homme ses hautes qualité de probité et d’ardeur au travail. Certes, il n’est pas diplomate de carrière, mais combien de diplomates de carrière ont été nommés à cette Ambassade sensible compte tenu des rapports particulier entre la France et notre pays ?. Nul doute que de par son caractère tranquille, son amabilité, son verbe modéré et sa capacité à apprendre vite et bien, il saura être un bon diplomate à Paris.
    KideKissan

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