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Liberté contre silence : A ma fille Gloria

Publié le vendredi 22 juillet 2011 à 03h09min

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C’est un carnet de voyage, mais il n’est pas exclu que quelqu’un tombe là-dessus et se mette à le déchiffrer de manière indiscrète, goulûment comme s’il avait entre les mains un best-seller. En effet, il se peut que je tombe malade au cours de ce voyage, que j’égare ce carnet, ou qu’il me soit simplement dérobé. De ce fait, il convient d’écrire un vrai texte avec de faux personnages et une localisation si ambiguë que pour la comprendre il faille renverser la carte de l’Afrique. Lorsque l’agent des douanes prenant soigneusement le sac confié à moi par mon voisin absent, m’a demandé courtoisement de le suivre jusque dans le bureau de son Chef, moi, j’étais loin d’envisager la suite de mon voyage de cette façon-là. L’homme, après avoir fouillé une dizaine de sacs s’était, en fait, comporté comme s’il venait de trouver un trésor tant recherché.

- C’est vraiment votre sac ? me demanda-t-il pour se rassurer.
- On vous a déjà dit que le propriétaire est descendu au village précédent et n’est plus remonté, insistai-je.
- Je n’avais pas assez compris, s’excusa-t-il.
- En fait c’est moi qui en assure la garde, avançais-je. Mais je ne puis vraiment en être responsable.
- Veuillez me suivre quand même ! Le temps de franchir les cinquante mètres qui séparent l’aire de stationnement au poste frontalier, je cherchais à comprendre en quoi la garde de ce sac me valait une visite au Chef. Il fut, on ne peut plus, fourbe.
- Ce sera peut-être pour une formalité. Tout compte fait, gardez votre calme. Après tout je suppose que vous connaissez le nom de ce voyageur insolite.
- Borin. Brow Eki qu’il s’appelle.

Le Chef était justement dans ce bureau-là dans l’attente de situations difficiles à gérer. Aussi, lorsque l’agent poussa la porte, il toussota en guise de bienvenue. C’était un monsieur douillet qui avait acquis l’art du mépris, à en juger par le grognement qu’il émit en guise de réponse à mon salut. Je me rendis à l’évidence que d’une certaine façon j’étais mise en cause par le contenu du sac de Brown.
- Chef, il y a le cas de cette dame à voir. Déposant le sac sur le bureau, il ouvrit la fermeture-éclair, exposant le contenu. Le Chef, familier de situations du genre, ne se laissa point impressionner. Seul un sourire maigrichon s’empara du bout de ses lèvres. Grâce à son fauteuil de modulable, il bascula sans peine vers la chose dénoncée.

A dire vrai, seul son thorax s’inclina ; sa bedaine lourdement calée au fond du fauteuil resta inerte telle une pièce sculptée. Comme la veste qui la recouvrait jouait le jeu du mouvement respiratoire, je ne pouvais m’inquiéter outre mesure. La main du Chef palpa une denrée à base de plantes, soigneusement conservée dans un sachet plastique transparent, qui une fois déchirée, laissa échapper des émanations de paille pourrie et de bouse de vache brûlée. Du moins, je dus associer des senteurs connues pour me représenter cette odeur âcre qui dès lors prit possession du bureau. La question du Chef se fit entendre.

- Vous connaissez ça ?
- Pas du tout ! avouai-je en posant sur le contenu de sa paume un regard de fillette effrayée.
- Ne faites pas ça, madame, m’interdit-il. Ton talent de comédienne ne peut pas intéresser un homme qui travaille avec les trafiquants de drogue. A propos du lapsus du Chef, je concédai intérieurement qu’en tant qu’homme, il jouissait de ce droit à l’erreur de langage exempt de sa responsabilité. Mais il n’était pas fou pour autant. La preuve, il décida de réfléchir, et se retira suivi de son collaborateur. Sac en main !
- Minute, me dit-il. J’étais dans le pétrin ; ça n’arrive qu’à ceux qui n’ont pas la bonne clef de lecture de l’homme. Ils étaient allés se chuchoter des idées à mon égard, sur ma présomption d’innocence dans le cas de figure, mon appartenance sociale, ma capacité de gérer la suite qu’ils viendraient à donner à ce que j’assumais du coup. Je me vis partie pour une « Affaire Auby », qui me présenterait à l’opinion plutôt comme une dealeuse.

Une grosse goutte de sueur froide, partie de la naissance du cou, se laissa drainer par l’épine dorsale jusque à ma ceinture. Cependant ma poitrine, s’humectait tout aussi sûrement que mes aisselles…Bientôt le signal que l’angoisse me possédait fut cette sueur qui perlait partout des parties visibles de mon être. Il y avait également ce tambour à la place de mon cœur, qu’entendrait quiconque assis à moins de deux mètres de moi. Déconcertante, la question me fit perdre mon latin lorsque les douaniers revinrent de leur conciliabule.
- Madame, comme ça vous envisagiez passer la frontière avec une sacoche de trois kilos de cocaïne ?
- …
- Expliquez-vous donc !

J’avais pris place sur le siège du fond, dans le but de mettre ma solitude à contribution pour faire des calculs. J’en avais tant besoin. Par ce printemps de manifestations sur fond de crise sociopolitique, le gouvernement a pris des mesures arbitraires sur les prix des produits de grande consommation. Calculette en main, calepin sur les genoux je simulais les prix en même temps que quelques astuces pour duper les services de contrôle quand nous arrivâmes à Markanda. Après une escale presque inutile, nous redémarrâmes avec à bord de nouveaux passagers. Brown, bon chic bon genre, se dirigea droit vers moi, tel un envoyé. Il portait en bandoulière une sacoche de cuir qui ne contiendrait pas plus que deux tenues. Sa poignée était lourde d’un téléphone de la taille d’un talkie-walkie.

Prenant place à ma droite, il me salua galamment, se montra désolé pour son haleine de cigarette, ajoutant qu’il s’en voulait amèrement d’indisposer une citoyenne qui ne demandait qu’à jouir d’une bonne santé. Puis s’empressa de se présenter : Brown Eki, homme d’affaires de son état, ciseleur d’ongles en temps de vaches maigres. Je ne résistai pas à lui rendre le sourire qu’il m’offrait déjà, grâcieusement. De fait, je ne pouvais qu’être enchanté de cette rencontre si inattendue. Au demeurant, je ne pouvais m’inquiéter des professions d’un inconnu trouvé au hasard d’un voyage. A défaut de connaître la texture de son ensemble trois pièces, j’en jugeai la qualité du parfum. Je reconnus chez Brown la spontanéité des gens aisés lorsqu’il me glissa une carte de visite.

Je regardais cette carte avec tant d’intensité quand le Chef me demanda instamment ce qui s’était passé.
- Je ne sais comment vous faire comprendre que je ne comprends pas ce qui m’arrive, lui répondis-je désolée.
- Je ne peux pas non plus dire à mes supérieurs que cette affaire dont ils attendent un traitement exemplaire est sans explication. En plus, ne me prends pas pour un con. (Ainsi, du vouvoiement il passa brusquement au tutoiement. La chance de la courtoisie était gâchée.) En fait, de carte de visite, j’avais eu droit à un bout de papier barré de trois lignes d’écritures : nom et prénom, profession, numéro de téléphone.
- C’est l’adresse de l’autre ? m’interrogea-t-il en fixant le fichu bout de papier coincé entre mes doigts.

- Si vous parlez de Brown, je dirais oui. C’est tout ce que j’ai comme renseignement sur sa personne. Je vous prie d’entendre les quelques passagers, ils témoigneront que je ne connais pas ce monsieur.
- Madame, si tu ne connais pas ce gars, pourquoi tu ne dis pas monsieur quand tu parles de lui ?
- C’est une question d’éducation, vous savez.
- Je comprends, tu veux te foutre de la loi. Nous, on est formé pour rééduquer des gens comme toi. A ces mots je sentis sur ma tête comme le poids du ciel. Je m’effondrai. En larmes, les coudes sur le bord du bureau, le coude droit en contact avec la sacoche de malheur.

- Vas libérer le bus et ramener les effets de cette femme, ordonna le Chef à son collaborateur resté longtemps debout derrière moi. Au rythme du martèlement de ses chaussures lourdes sur la terrasse, je devinai l’empressement de celui-ci. Combien de secondes ai-je cherché le bon bout de l’incident avec Brown ? L’exercice dura le temps de dessiner une flaque de larme, de salive, et de morve à l’endroit où ma tête et mes bras formaient un triangle sur le bureau. Puis, relevant la tête :
- On m’a piégée Chef, murmurai-je, plutôt par obligation que pour vaincre.
- Tu entres dans un deal, on te prend et tu dis qu’on t’a piégée, chargea le Chef, sourire en coin.

- Monsieur Eki n’a pas fait vingt kilomètres qu’il a demandé à descendre au prochain village pour un besoin. Et voilà ce qu’il m’a dit : « Madame, je vous serai reconnaissant de me garder cette sacoche le temps d’aller aux toilettes. Effectivement, une fois descendu, il s’est fait accompagner par un gamin vers des WC publics. Trente minutes après, nous en étions à klaxonner en vain. Comment aurais-je pu ouvrir sa sacoche sous les regards soupçonneux des autres voyageurs ?
- Tu dis que vous avez longuement échangé ? s’enquit le Chef.
- Nous avons un peu parlé, de famille, de travail…
- De quel pays est-il ?

- Benin, dit-il, mais il parle avec un fort accent anglophone, son nom pourrait indiquer d’ailleurs qu’il est du Nigeria.
- Sa destination ?
- A propos, il m’a dit : « Madame, je franchis la frontière pour faire business dans ton pays. Après, je prends l’avion pour le Kenya ».
- Continue le récit, m’ordonna mon interlocuteur.
- En retour, je lui ai indiqué mon domicile à Mondré. Il connaît apparemment la ville.
- Madame, je commence à te croire, me tranquillisa-t-il avant de poursuivre. Voilà ! A la fin de cet entretien, je vais vous demander de jurer sur l’honneur que toutes vos déclarations sont vraies et sincères. Attention ! Madame, je vous signale que j’ai dans un tiroir ouvert un dictaphone qui enregistre tout ce qui se dit dans cette maison. Je vous conseillerais volontiers de prendre les choses un peu plus au sérieux.

- Je suis prête à jurer sur mon honneur. Foi de femme bien éduquée ! Je tiens quand même à remarquer le changement de ton intervenu entre-temps dans ce que j’estimais être un interrogatoire et qui s’avéra être un entretien.
- Je voudrais savoir ce que vous êtes allée chercher au Benin, avança-t-il.
- Rencontrer mon fournisseur. Je vends de l’huile de cuisine.
- Soit ! je veux des documents qui attestent ce que vous dites. A l’instant-même, je ne cachai pas ma fierté de lui exhiber ma carte professionnelle de commerçante, mon passeport, des quittances, et le dernier contrat de livraison que je venais de signer. Il s’y intéressait vraiment, posant de menues questions ennuyeuses.

- Madame, allez un instant dans le hall, je vais discuter un peu avec mes responsables. Je vous prie surtout d’être discrète. Ne parlez pas de ce qui vous arrive, ni à un inconnu, ni à vos connaissances qui vous appelleront, soyez réservée. OK ?

C’est un hall des plus animés, qui vous écrase avec l’écho de la rumeur quand les voix entremêlées heurtent le toit de tôle. Le paradoxe, c’est qu’il faut s’approcher de l’autre pour se faire entendre à haute et intelligible voix et en retour, l’écouter au mieux. De temps à autre, un monsieur chargé de l’ordre s’armait d’une matraque flexible, tout en donnant de la voix pour évacuer un effectif impressionnant de marchands ambulants et autres vendeuses de friandises. Leur cohorte poussée vers l’aire de stationnement des engins, guettait une arrivée dans chacun des deux sens contraires de la voie. Une auto nouvellement stationnée était leur otage, un passager descendu se voyait écartelé par une infinité d’offres.

Cette agressivité me déplut a priori dès mon arrivée, mais sortant du bureau du Chef, je me mis à la tolérer en tant que style de marketing adapté à cet environnement où, partant du profit, tout revient à l’argent. Ce marketing-là découlait d’un pragmatisme franc. L’on allait et venait en tout sens, gênant parfois la vue à une poignée de personnes intéressées par un poste téléviseur frappé d’un mutisme dû à la cohue. L’horloge, deuxième commodité installée dans ce hall indiquait 16 h. Choisissant ma place sur un fût isolé, je composai le numéro de téléphone auquel Brown était censé réagir. L’opérateur me signifia sans autre forme de procès que le numéro composé n’était pas listé. Je dus reprendre moult fois l’opération, mais en vain, Brown fut injoignable. A 16h30, un garçonnet pansu me souffla : « Y a le Chef là-bas qui vous appelle. » Parvenue dans le bureau du chef, je découvris plutôt un personnage accueillant qui me demanda si j’avais un peu décompressé, qui voulut savoir si je n’étais pas mal en point à cause des tracas.

Interloquée, je demeurai muette. Et pour en venir au dénouement souhaité par lui, il laissa tomber cette phrase pour le moins ridicule : « C’est l’administration qui complique les choses, sinon tout peu s’arranger facilement. » L’arrangement, j’en convins après un échange de contacts téléphoniques et une promesse ferme de n’en piper mot à personne. Il me faut cependant en rendre compte à Brown ; il vient de m’appeler d’un numéro anonyme. Le bandit attendait sa chose à Mondré, dans un restaurant que je connais.

Aimé A. H. BEOGO E-mail : aimerbeogo@yahoo.fr

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