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Indicateurs économiques émergents : Le « bonheur national brut » en question

Publié le mercredi 20 juillet 2011 à 04h10min

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Depuis dix ans, le Produit intérieur brut (PIB) du Burkina Faso est en constante évolution. On assimile souvent ce taux de croissance à la richesse individuelle et donc au niveau de vie des habitants. Cependant, les récents bouleversements qu’a connus le pays tendent à montrer le contraire. Certains indicateurs économiques préfèrent laisser les théories capitalistes classiques de mesure du développement de côté pour se concentrer sur le bien-être citoyen. Le « Bonheur national brut » (BNB) en est la parfaite illustration.

La majorité des experts s’accorde à dire que la vitalité économique du Burkina Faso évolue positivement : l’exploitation des mines bat son plein, l’industrie agroalimentaire est en pleine diversification, le secteur du Bâtiment et des travaux publics (BTP) est florissant, les exportations de haricot vert et de coton se portent bien, ... En corollaire, le Produit intérieur brut (PIB) du pays, bien qu’encore peu élevé par rapport à la moyenne mondiale, connaît, depuis près d’une décennie, une croissance quasiment constante. Cet indicateur économique présume qu’en augmentant les échanges de biens et de services, de capitaux, en maximisant la compétitivité, en favorisant les entreprises d’un point de vue fiscal, le niveau de vie des citoyens ne pourra que s’améliorer ; et leur sentiment de bien-être croître par la même occasion.

Ceci présume que la société considère la richesse comme l’accumulation de biens, sans faire mention aucune de valeurs comme la compassion, la solidarité, l’entraide, la gratuité,… - et la mesure comme telle. Cependant, force est de constater que la population pâtit des évènements qui frappent le pays de plein fouet, que la richesse du peuple s’érode. En témoignent l’augmentation du coût des produits de première nécessité, les fréquents délestages, les mutineries, les manifestations contre la vie chère, l’insécurité, etc. La joie, le plaisir et la félicité s’invitent de moins en moins dans les foyers burkinabè. Dès lors, pourquoi ne pas envisager une alternative à ces indicateurs économiques qui font la part belle aux performances industrielles ?

A l’heure actuelle, les entreprises et même les pays dans leur entièreté sont soumis à un impératif de croissance infini. Or, ce phénomène va à l’encontre des plus élémentaires principes naturels : les seuls organismes se multipliant de manière exponentielle sont les cellules cancéreuses, qui finissent toujours, en s’autodétruisant, par faire mourir le corps qui les abrite... A défaut d’échapper à son destin, il semble moins risqué de profiter de son existence terrestre en s’organisant un cadre de vie des plus agréables : cette tâche incombe autant, si pas plus, aux institutions étatiques qu’au citoyen isolé, limité dans son champ d’action par les contraintes que lui impose la société. Le PIB ne prenant pas en compte les inégalités sociales, les ponctions faites dans le capital des ressources naturelles ou encore la dette que nous créons et qui devra être assumée par les générations futures, il est du devoir du gouvernement de prendre en compte ces données et de veiller au bien-être de ses administrés. Un concept alternatif pourrait, à cet effet, s’immiscer dans les conversations des dirigeants du pays : celui du « bonheur national brut » (BNB).

Le Bhoutan en précurseur

Depuis 1972, sous l’impulsion de son défunt roi Jigme Singye Wangchuck, le royaume asiatique du Bhoutan, situé sur les flancs de l’Himalaya, est à la constante recherche du bonheur de ses sujets. A cet effet, le gouvernement bhoutanais, trouvant que le PIB ou l’Indice de développement humain (IDH) ne rendait pas réellement compte du niveau de bonheur en vigueur dans le pays, décida de mesurer ce dernier grâce à une échelle innovante, basée sur les valeurs spirituelles prônées par le Bouddhisme tibétain, le BNB.

Celui-ci repose sur quatre piliers : la croissance et le développement économique responsable, la conservation et la promotion de la culture bhoutanaise, la sauvegarde de l’environnement et la garantie d’une bonne gouvernance. Ces quatre piliers sont eux-mêmes subdivisés en huit domaines, qui sont la santé, le bien-être psychologique, l’écologie, l’éducation, la culture, le niveau de vie, l’utilisation rationnelle du temps et la vitalité des communautés. Chacun de ces domaines se développe en soixante-douze indicateurs pondérés, censés évaluer le niveau d’excellence atteint par chaque problématique. Ainsi, le domaine psychologique inclut des notions comme la relaxation, la prière, la générosité ou encore, le sentiment de jalousie… Ces indices, bien que subjectifs, ont néanmoins le mérite de s’atteler à dresser un constat plus élaboré que celui fourni par le PIB, qui se borne à ne quantifier que les flux de productions, de revenus et de dépenses.

Il serait cependant mal venu de considérer le Bhoutan comme idyllique, le BNB se révélant davantage être un principe directeur qu’une initiative concrète. Malgré des progrès certains en matière de protection de l’environnement, de soins de santé, de couverture du réseau routier ou encore d’augmentation de l’espérance de vie, le pays connaît de nombreux dysfonctionnements. La jeune démocratie parlementaire bhoutanaise – qui n’a remplacé la monarchie absolue qu’en 2008 - n’a pas réussi à résoudre certains problèmes concernant, notamment, l’économie et la liberté. Alors que l’autosuffisance s’érige en leitmotiv de la philosophie du BNB, le Bhoutan est encore fortement dépendant des aides internationales. Plus graves sont les nombreuses entraves faites à la démocratie. Certaines catégories de citoyens comme les moines, les personnalités religieuses et les détenus, se sont vu refuser le droit de vote, les manifestations ne sont pas autorisées et l’activité syndicale est fortement découragée par les autorités.

Depuis l’avènement du Bhoutan dans le « grand bal » communicationnel mondial, concomitant à l’apparition de la télévision dans le pays, ainsi que la paupérisation galopante et l’augmentation des inégalités qui touche le monde entier, le BNB a fait des émules à l’étranger.

Des intérêts internationaux

La première conférence internationale traitant du « Bonheur national brut » et réunissant plus de 300 acteurs internationaux s’est tenue en 2004 à Thimphu, la capitale du royaume. Le forum a, depuis, été réitéré dans de nombreux pays occidentaux. Certains d’entre eux n’ont cependant pas attendu la conférence pour développer leur propre indicateur de bien-être alternatif au PIB, répondant aux impératifs sociaux et environnementaux en vigueur dans leurs frontières. Hormis le célèbre - bien que rudimentaire - Indice de développement humain (IDH), publié chaque année par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui fait la moyenne des trois indicateurs que sont le PIB, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’instruction, on constate l’apparition d’une multitude d’indices.

Plusieurs sortent du lot, comme, par exemple, l’« Indicateur de santé sociale » du Foldham Institute qui est une sorte de résumé des grands problèmes sociaux contemporains, comme l’usage de drogues, la pauvreté des plus de 65 ans, les inégalités de revenus, etc. ; l’« Indicateur de bien-être économique » des Canadiens Osberg et Sharpe qui comparent les flux de consommation, les stocks de richesses (économique, humaine et environnementale), les inégalités, la pauvreté et l’insécurité économique ; ou encore le Genuine Progress Indicator (GPI), l’ « Indicateur de progrès véritable », qui s’inquiète des effets sur le développement durable qu’entraînent certains comportements dictés par les impératifs de productivité et de consommation aux Etats-Unis. De telles initiatives sont une réponse créative à la réalité que dresse, par exemple, le triste constat stipulant que si la population mondiale consommait autant qu’un Américain moyen, il faudrait quatre terres supplémentaires pour le supporter…

On observe cependant certaines limites à ces indices de développement alternatifs. La principale critique qui peut leur être formulée est la difficulté de quantifier la qualité de vie par rapport à une échelle unique de valeurs, la notion de bien-être n’étant fondée sur aucune base rationnelle.

Et au Burkina ?

Malgré de récents progrès - comme la constante augmentation de l’extraction professionnelle aurifère, qui est désormais la principale source de revenu liée à l’exportation au Burkina Faso, ou encore les révisions législatives de 2004 visant à rendre le pays plus attractif aux yeux des entreprises internationales -, une grande partie du peuple burkinabè se débat dans les affres de la pauvreté. Une industrie encore balbutiante, peu de ressources naturelles par rapport à certains de ses voisins, une agriculture – occupant 90 % des forces de travail actives – prise en otage par les sécheresses annuelles, un taux de chômage s’élevant à 77 % de la population active, plus de 40 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté,… toute une série de critères - publiés par le CIA World Factbook - qui ne plaident pas vraiment en la faveur d’un niveau de « bonheur national brut » acceptable au Faso…

Il faut toutefois saluer les récentes mesures prises par le gouvernement, visant à rendre le niveau de vie de ses concitoyens plus acceptable : les consultations entreprises entre les acteurs institutionnels et les divers secteurs de la société, la suppression de la Taxe de développement communal (TDC), la réduction de 10 % de l’Impôt unique des traitements et salaires (IUTS), la baisse des prix de certains produits de première nécessité ou encore l’abandon de la tarification des actes médicaux. Malgré ces progrès certains, beaucoup de secteurs sont encore à optimiser, comme, entre beaucoup d’autres choses, l’optimisation du système électrique, la mise en place de réseaux de traitement des déchets et d’égouttage performants, l’accès aux soins et aux médicaments, la promotion de la culture et des traditions, l’amélioration des institutions démocratiques, l’accessibilité à l’enseignement, … Il est à parier que les décideurs du pays œuvreront, dans le futur, à débloquer des solutions aux nombreux problèmes qui empêchent le Faso tout entier de profiter du bonheur, d’atteindre un relatif confort.

Car le progrès social – trop souvent occulté par le conformisme idéologique ambiant qui érige encore les indicateurs traditionnels, comme le PIB et les indices boursiers, en seuls modèles fiables du niveau de développement - est la condition sine qua non à l’instauration d’un Burkina Faso véritablement émergeant. Le mot de la fin revient à John Maynard Keynes, économiste britannique de renommée mondiale, fondateur de la macroéconomie moderne et instigateur du système portant son nom, qui, déjà en 1930, déclarait : « Ne nous exagérons pas l’importance du problème économique, ne sacrifions pas à ces nécessités supposées d’autres affaires d’une portée plus grande et plus permanente » .

Jérémie MERCIER (jeremie.mercier01@gmail.com)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 20 juillet 2011 à 08:26, par RG En réponse à : Indicateurs économiques émergents : Le « bonheur national brut » en question

    Le grand obstacle au bonheur,c’est de s’attendre à un trop grand bonheur mais comme nous avons pris conscience très tôt que nous n’attendons rien de personne et surtout pas de nos dirigeants pour nous sortir de la misère,c’est pour cela que nous "émergeons" dans le bonheur lol.Qu’est ce qu’il ne faut pas faire pour berner les gens avec des théories à la con en essayant de nous consoler comme des enfants

  • Le 20 juillet 2011 à 16:33, par Zouré En réponse à : Indicateurs économiques émergents : Le « bonheur national brut » en question

    le PIB est en nette croissance depuis une dizaine d’années et cette croissance signifie que la richesse économique du pays est en augmentation. Mais il faut cependant relativiser :
    1. Il faut mettre en relation cette croissance économique avec l’augmentation de la population. en tenant compte de ce facteur, on se rendra compte que la croissance économique net est très modérée.
    2. Il faut aussi voir quelles sont les domaines d’activités qui tirent la croissance. Et au Burkina il semblerait que ce soit le secteur aurifère. Cependant dans ce domaine d’activité la richesse créée même si elle est créée au Burkina est « exportée » pour la quasi-totalité, du fait que les investisseurs soient étrangers ainsi que la bonne majorité des employés. Donc la manne que retire le pays dans ce domaine n’est pas à la hauteur des attentes.
    D’autre part l’indicateur du Bonheur National Brut serait parfait si c’était réaliste.. . comment peut –on quantifier le niveau de jalousie ??? Pour être plus réaliste le PNUD propose un indicateurs assez adapté IDH (Indice de Développement Humain), qui retrace tant bien que mal le niveau et l’évolution du bien être dans les pays. Et selon cette indicateur le Burkina est loin de briller malgré les « progrès économique ».
    Pour que la croissance économique économique soit profitable réellement au pays il faut que cette croissance soit endogène.

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