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Union Européenne : A Ouagadougou, le diplomate français Alain Holleville prend la suite de l’Italien Amos Tincani comme ambassadeur.

Publié le lundi 18 juillet 2011 à 01h06min

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Il avait fait ses adieux le 3 juin 2011. Et lors du dîner avait réjoui les convives en jouant un jeu auquel les diplomates se prêtent rarement : celui de la vérité. « Durant ces trois ans et demi, avait-il déclaré alors, j’ai appris un peu de la terminologie burkinabè : « ça va aller », qui veut dire : « je n’ai aucune idée de comment faire, mais on va improviser quelque chose et garder les doigts croisés pour que cela marche ».

Le silence a aussi un signification. Il veut dire : « vous soulevez une question importante mais embarrassante, donc je vous réponds par le silence ». J’ai une longue liste de ministres qui ont choisi de ne pas répondre à mes lettres qui soulevaient un problème sérieux mais embarrassant ! ». Amos Tincani est parti. Et les Burkinabè auront autant de regrets que lui qui disait ce soir-là : « J’aurais voulu rester ici pour la mise en œuvre des réformes annoncées par le premier ministre Tiao. C’est maintenant que la période excitante commence […] Moi, j’ai attendu trois ans et demi mais c’est vous qui allez vivre la saison des réformes de près ». Il ajoutera pour faire bonne mesure : « Une démocratie repose sur l’équilibre des trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. La restauration de la primauté du pouvoir judiciaire dans le fonctionnement de la IVème République s’impose. Le Burkina Faso, pays des hommes et des femmes intègres, se doit de respecter la promesse qu’il a faite à son peuple en se nommant ainsi. Il y a aujourd’hui une indiscutable exigence pour une justice intègre et efficace. L’actualité nous le rappelle sans faute ».

Tincani est italien. Ce n’était pas l’Italie de Silvio Berlusconi qu’il représentait à Ouaga mais l’Union européenne. D’où cette habilitation à faire la leçon en matière de justice. D’autant plus que l’UE a financé le Programme d’appui au renforcement du processus démocratique, l’Etat de droit et la bonne gouvernance (PADEG). C’était, me semble-t-il, un programme lancé lorsque Boureima Badini était ministre de la Justice, garde des sceaux (cf. LDD Burkina Faso 037/Vendredi 23 juillet 2004). Tincani quitte donc le Burkina Faso en une période cruciale et, comme il le dit : « c’est maintenant que la période excitante commence ». Ce sera à Alain Holleville de la gérer, pour le compte de l’UE (qui traverse, elle aussi, une « période excitante »).

A.A.A. (Alain, André, Aurélien) Holleville est né le 9 décembre 1953 à Saint-Valéry-sur-Somme, en Picardie. Fils d’un couple de fonctionnaires, il a fait ses études à Abbeville, Amiens puis Paris (Louis-le-Grand). Agrégé de lettres, licencié d’anglais, IEP-Paris, ancien élève de l’Ecole normale supérieure (rue d’Ulm), il a débuté en 1978 dans l’enseignement (après avoir épousé, le 2 septembre 1977, une enseignante, Catherine Le Faou, avec laquelle il a quatre enfants) comme professeur de lettres au lycée Janson-de-Sailly, à Paris. Après son service national (1979-1980), il sera stagiaire du cycle préparatoire au concours interne d’entrée à l’ENA et incorporera la promotion « Solidarité » (1981-1983). A sa sortie, il sera administrateur civil au ministère des Transports, de l’Urbanisme et du Logement (1983), puis au secrétariat chargé de la Mer (1983-1987) notamment en tant que chef du bureau des affaires internationales à la direction de la flotte de commerce (1985-1987).

C’est le 1er octobre 1987 qu’il sera détaché auprès du ministère des Affaires étrangères et sera affecté à l’administration centrale, Affaires économiques et financières (1987-1989). Il rejoindra la présidence de la République (1989-1990) - au temps de François Mitterrand - avant d’être nommé chef de cabinet du ministre (socialiste) délégué aux Affaires européennes, Elisabeth Guigou (1990-1992). Il sera, par la suite, deuxième conseiller à Washington (1992-1995) puis à Budapest (1995-1998). Il est alors nommé à Rabat (Maroc) comme conseiller culturel, scientifique et de coopération (1998-2000). C’était sa première incursion en Afrique. Qu’il va approfondir à… Paris : il est nommé secrétaire général de la XXIIème conférence des chefs d’Etat d’Afrique et de France (2002-2003). Il convient de rappeler que cette XXIIème conférence, organisée à Paris les 19-20-21 février 2003, au lendemain de la signature des Accords de Marcoussis (Laurent Gbagbo ne participera pas au sommet France-Afrique) avait été l’occasion pour Jacques Chirac de décréter la « fin du temps de l’impunité, le temps où l’on justifiait la force » pour ceux qui ne respectent pas les droits de l’homme et la menace « d’être sanctionnés par la Cour pénale internationale » pour les « auteurs » de violence.

Holleville sera ensuite chargé de mission à l’administration centrale du Quai d’Orsay. Par décret publié au Journal officiel du jeudi 25 septembre 2003, il sera nommé ambassadeur à Lomé. Il aura à gérer, au Togo, la difficile succession du président Gnassingbé Eyadéma et la mise en place au pouvoir de Faure Gnassingbé. Puis les négociations entre le chef de l’Etat et l’opposition sous les auspices du « médiateur » Blaise Compaoré. C’est dire qu’il s’est habitué aux situations tordues et qu’il va trouver à s’employer, une fois encore, en la matière lorsqu’il sera nommé ambassadeur à Niamey, au Niger. De quoi regretter les rivages de l’Atlantique y compris quand y souffle le vent mauvais de Mamy Watta. C’est que, débarquant dans la capitale du Niger fin 2007, « l’affaire Areva » y était l’arbre qui cachait la forêt. La présidentielle 2009 se profilait à l’horizon alors que l’ex-premier ministre Hama Amadou, considéré comme le dauphin du président Mamadou Tandja, avait été mis sur la touche ; la « rébellion touarègue » entendait bien négocier, elle aussi, un avenant au contrat Areva et ne cessait de répéter, d’ailleurs, que le « dossier uranium », qui avait fait chuter Hamani Diori en 1974, pourrait bien faire chuter Tandja avant l’échéance présidentielle. En fait, Tandja va dégringoler tout seul après avoir voulu s’agripper plus longtemps que prévu au fauteuil présidentiel. C’est Holleville qui va devoir gérer, entre Niamey et Paris, tout ce bazar sans oublier les multiples affaires d’otages (dont certaines mortelles pour les « captifs ») qui vont dramatiser la relation entre les deux pays.

C’est hier, mercredi 13 juillet 2011, à l’occasion du conseil des ministres, que le gouvernement a donné son agrément à l’accréditation de Holleville en qualité d’ambassadeur, chef de la délégation de l’Union européenne auprès du Burkina Faso avec résidence à Ouagadougou. Clin d’œil de l’histoire : à l’occasion de ce même conseil des ministres, il a été procédé à un gigantesque coup de balai dans le milieu judiciaire burkinabè qui aurait sans doute ravi Tincani. Luc Tiao, le très volontariste premier ministre, aurait pu reprendre, à cette occasion, les mots de Chirac lors du sommet France-Afrique de 2003 (cf. supra) : « c’est la fin du temps de l’impunité ». Après les atermoiements des derniers mois post-élection présidentielle (tout autant la présidentielle burkinabè que la présidentielle ivoirienne), les responsables politiques burkinabè donnent l’heureuse impression d’avoir renoué avec l’activisme qui a caractérisé, pendant de longues années, la présidence du Faso.

Ouaga 2000 se réveille (il faut espérer que ce sera un réveil durable) et constate que pendant son endormissement les choses ont été à vau-l’eau, les dégâts étant autrement plus considérables que lors du déluge du « mardi noir » (1er septembre 2009). Tiao le disait, récemment, à Paris (cf. LDD Burkina Faso 0260/Lundi 11 juillet 2011) : « Le président du Faso a appris beaucoup de choses qu’il ignorait » à la suite des derniers événements.
Good Morning ! Bon réveil.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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