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A Dakar, Abdoulaye Wade rêve d’une démocratie sans le peuple. Et sans partis politiques.

Publié le lundi 18 juillet 2011 à 01h07min

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Il n’y a rien de plus douloureux que d’assister, impuissant, à cette « incompréhension » qui, au fil des jours, des semaines, des mois, des années maintenant, a dressé un mur entre le président Abdoulaye Wade et la population sénégalaise. Que l’on ait été, par le passé, pour ou contre lui, qu’on soit pour ou contre la « politique » qui est la sienne aujourd’hui, il faut bien reconnaître que Wade a, incontestablement, marqué l’histoire de son pays et même de l’Afrique noire. Dans l’opposition comme au pouvoir.

Mais cette remarquable personnalité intellectuelle et politique est, il faut le dire, mal traitée par sa famille et par son proche entourage. Certes, il est président de la République et chef de l’Etat mais cela n’empêche aucun de ceux qui sont en « proximité » avec lui, à commencer par son épouse, Viviane, et son fils, Karim, de dire au « Vieux » jusqu’où il peut aller et comment il peut y aller. Il y a un gouvernement aussi ; avec un premier ministre. Des conseillers, plus que nécessaire, au palais de la République. Des « éminences grises » aussi. Sans parler de ses amis politiques étrangers. Il est grand temps que ces gens-là justifient leurs émoluments, non pas pour « faire la roue » ou « griotiser », mais pour dire les choses telles qu’elles sont : le Sénégal va dans le mur, non pas seulement pour des raisons conjoncturelles, pas même pour des raisons politiques, mais parce que ce pays n’est plus gouverné comme une République et qu’il est soumis au bon vouloir d’un clan qui entend instrumentaliser un homme excessivement âgé pour la tâche qu’il a à accomplir et les responsabilités qui sont les siennes. Ils ne l’aident pas ; ils s’efforcent seulement de s’accrocher au pouvoir coûte que coûte.

« Lorsqu’il pleut un peu trop à Dakar, je suis indexé ; lorsque le vent emporte le toit d’une maison à Pikine, je suis pointé du doigt ; lorsqu’un train déraille à Thiès, j’y suis pour quelque chose ; lorsqu’un accident survient sur la route, je suis vilipendé ». C’est la complainte que Karim Wade a rédigée le 3 juillet 2011 et rendue publique quelques semaines après les « événements 23 juin ». Sans jamais se poser la question de savoir pourquoi il suscitait autant de sentiments extrêmes. Sans jamais s’interroger sur cet amoncellement de titres qui sont les siens depuis que son père est au pouvoir : Conseiller spécial du président de la République, président du Conseil de surveillance de l’Agence nationale de l’Organisation de la conférence islamique (ANOCI), ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des infrastructures et de l’Energie, candidat (battu) à la mairie de Dakar. Ce n’est même pas une question de compétence ; c’est une question de décence. Rien de plus.

Les Sénégalais ne sont ni sourds ni aveugles ; et s’ils tendent à devenir muets (sauf lorsqu’ils en ont vraiment « marre »), c’est qu’ils n’ont vraiment plus « rien à foutre » des hommes politiques, des partis politiques, des élections et de la « démocratie ». Ils savent que les dés sont pipés ; et que les perdants ce sont eux et personne d’autre. Et il est dommage que ce soit la voix de l’avocat français Robert Bourgi (né au Sénégal) qui se fasse entendre pour dire qu’à 87 ans, Wade « ne peut plus prétendre représenter l’avenir d’un pays doté d’une population aussi jeune que celle du Sénégal » (entretien avec Christine Holzbauer, lexpress.fr, 11 juillet 2011).

Wade s’affirme « libéral ». Il est, intellectuellement, anti-marxiste, et ne cesse jamais de revendiquer ce positionnement (n’oublions pas qu’il appartient à une génération où les idéologies n’étaient pas « mortes » et où le marxisme-léninisme s’imposait encore comme une composante philosophique). Mais il devrait relire le « Manifeste du parti communiste » dans lequel Karl Marx et Friedrich Engels fustigeaient les intellectuels représentatifs d’un socialisme critico-utopique : « A l’activité sociale, ils substituent leur propre ingéniosité ; aux conditions historiques de l’émancipation, des conditions fantaisistes ; à l’organisation graduelle et spontanée du prolétariat en classe, une organisation de la société fabriquée de toutes pièces par eux-mêmes.

Pour eux, l’avenir du monde se résout dans la propagande et la mise en pratique de leurs plans de société ». Dans nos entretiens, Wade, toujours, a réaffirmé son opposition au principe marxiste « des lois de l’histoire », considérant que ce sont les hommes et rien que les hommes qui « font l’histoire ». Il rêve aujourd’hui d’une démocratie sans peuple et sans partis politiques. « une société fabriquée de toutes pièces par [lui]-même » si on m’autorise ce détournement de Marx-Engels. « Je suis le seul président en état perpétuel de grâce. L’usure du pouvoir ne s’applique pas à moi. C’est un phénomène spécial lié à ma personnalité, mon charisme ». C’est son leitmotiv. Il y a quelques semaines, son entourage lui avait laissé penser que le « coup » de la majorité à 25 % pouvait marcher.

Hier, jeudi 14 juillet 2011, il proposait une « élection présidentielle anticipée » ne craignant pas de pouvoir être battu, non pas par « un excès d’optimisme » mais à la suite d’une « lecture correcte des rapports de forces ». Dans le même temps, il a lancé cet avertissement aux manifestants : « A présent, nous sommes avertis pour faire face aux velléités de déstabilisation de notre pays. Je vais donner des instructions fermes aux forces de sécurité dans ce sens, pour que force reste à la loi ».

Son « message à la nation » hier, jeudi 14 juillet 2011, annoncé et attendu depuis plusieurs jours, aura laissé les Sénégalais, au mieux, dans l’indifférence, au pire, avec un sentiment non pas de frustration mais d’humiliation. Alors que la population est confrontée à de multiples difficultés économiques et sociales, le président de la République a fait un show à l’intention exclusive de son clan, les élus de la majorité présidentielle réunis, pour l’occasion, à l’hôtel (ex-Méridien) des Almadies : je fais ce que je veux, quand je le veux, comme je le veux, parce que je suis Wade et que les autres ne sont rien. C’est, en substance, ce que les Sénégalais ont perçu à l’écoute d’un « message à la nation » qui n’était pas même adressé depuis le palais de la République mais depuis un hôtel. « C’est, déjà, une injure faite aux Sénégalais dans la forme », me confiait une de mes correspondantes à Dakar ; « dans le fond, il n’y a aucune réponse aux questions que nous nous posons au quotidien ». Dégagez, y’a rien à voir. « Fuite en avant présidentielle » commentait ce matin le quotidien Kotch.

Jusqu’où ? Il n’y a plus au Sénégal aucun levier politique sur lequel agir. Le palais de la République est une prison pour Wade. Le premier ministre est contesté y compris dans les rangs de la majorité présidentielle. Le pouvoir législatif est, à l’instar du pouvoir judiciaire, aux ordres. L’opposition, entravée par les ambitions personnelles des uns et des autres, est inefficace. La « société civile » est dans un embrouillamini qui ne lui permet aucune action politique et sociale cohérente. « Désormais, il y a un avant et un après 23 juin », écrivait Karim dans sa « lettre ouverte aux Sénégalais ». Il ajoutait : « Nous avons la profonde conviction que la démocratie sénégalaise en sortira toujours grandie et renforcée […] Ce message ne peut être ignoré ni par le pouvoir, ni par l’opposition. Notre formation politique, le PDS, et nos alliés ne peuvent faire autre chose que de consolider les acquis démocratiques de Léopold Sédar Senghor, d’Abdou Diouf et de Me Abdoulaye Wade ».

Wade a été celui qui a rendu possible l’alternance politique. C’était en 2000. C’était l’aboutissement d’un processus auquel les Sénégalais s’étaient, majoritairement, associés (et au cours duquel Wade avait payé de sa personne). Il y a longtemps. Très longtemps ! Nul ne sait aujourd’hui - surtout pas Karim - ce que sera « l’après 23 juin ».

JEAN-PIERRE BEJOT
LA DÉPÊCHE DIPLOMATIQUE

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Vos commentaires

  • Le 20 juillet 2011 à 12:07, par Gjau En réponse à : A Dakar, Abdoulaye Wade rêve d’une démocratie sans le peuple. Et sans partis politiques.

    le Senegal a un moment de son évolution historique et politique a su donner à son peuple et au monde entier les sillons d’une démocratie et d’alternance apaisées. Du Feu Léopold Sédar SENGHOR à Abdou DIOUF et d’Abdou Diouf à Abdoulaye WADE , champion du "sopi". C’est vraiment regrettable que cet intellectuel et opposant politique qui était adoré par son peuple, pense aujourd’hui qu’il peut tout faire sans ce peuple.Les récents évènnements survenus le 23 juillet sont les signes palpables que le président WADE est en déphasage avec les aspirations actuelles de son peuple.C’est l’occasion pour moi de rendre hommage aux partis politiques senegalais et à la société civile qui ont opposé une fin de non recevoir à ce ticket assasin doublé d’une fourberie dont l’objectif principal est de confisqué le pouvoir.Si il est bien vrai qu’en Afrique l’âge avancé d’un homme est souvent signe de sagesse il en demeure pas moins que des exeptions existent.Le cas de WADE est un exemple palpable qui illustre bien cet état de fait.C’est vraiment dommage que nos opposants d’hier ,une fois au pouvoir se métamorphosent en caméleon et prennent leur peuple en otage.J’ose espérer que la démocratie du peuple l’emportera sur la démocratie des présidents à vie.

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