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Côte d’Ivoire 2011 : Difficile résolution de l’équation militaire (2/2)

Publié le mardi 12 juillet 2011 à 14h24min

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La guerre, c’est ce qui reste possible comme relation entre groupes humains antagonistes (ou qui se perçoivent comme tels) quand tout le reste a échoué. C’est un constat d’échec ! L’échec des nécessaires révolutions. C’est pourquoi elle ne se décide pas ; elle s’impose. La Côte d’Ivoire en fait l’expérience.

Echec de « l’houphouëtisme-historique » façon Félix Houphouët-Boigny ; échec de « l’houphouëtisme-clientéliste » façon Henri Konan Bédié donnant raison à Karl Marx (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ») ; échec de « l’houphouëtisme-bonapartiste » façon général Robert Gueï ; échec de « l’houphouëtisme-populiste » façon Laurent Gbagbo (avec un - gros - zeste de messianisme évangélique). Nous voici arrivé au temps de « l’houphouëtisme-ouattariste » dont nul ne sait encore ce qu’il sera dans l’histoire du pays mais qui présente l’indéniable avantage (même si c’est un avantage douloureux) d’avoir des fondations faites de chair et de sang.

Houphouët avait accédé au pouvoir au temps de l’indépendance. Bédié, c’était le temps de la survivance : les Ivoiriens pouvaient penser qu’il serait le continuateur ; il a été le liquidateur. Gueï aurait pu être le président du temps de la repentance (vis-à-vis de « l’ivoirité » prônée par son prédécesseur) ; il a préféré être celui de la déchéance. Et Gbagbo a été par excellence président de l’alternance ; une espérance… trahie ; il venait de l’opposition, il a terminé dans le chaos. Ouattara est, d’ores et déjà, le président du temps de la souffrance. Crise politique, crise économique, crise sociale, crise culturelle (où sont passés les intellectuels ivoiriens ?), la Côte d’Ivoire n’est plus que le fantôme d’elle-même. Formidablement élu par la population lassée des « houpouëtismes » du passé qui ont conduit à la guerre des chefs, ADO n’a aucun point d’appui lui permettant de soulever l’enthousiasme des Ivoiriens si ce n’est de donner, rapidement, satisfaction aux attentes de cette même population. Il en a les moyens (nationaux et internationaux) ; reste à pouvoir les mettre en œuvre. Et, pour cela, il lui faut instaurer la sécurisation du pays. Immense défi… !

« La première cause d’insécurité ce n’est pas l’ambition de puissance mais la « panne des Etats » ici, leur inadéquation ailleurs. Ce n’est pas l’excès mais le manque d’Etat qui fait le malheur des peuples et les désordres internationaux », a écrit Louis Gautier dans un livre fantastique (Face à la guerre - éditions La Table Ronde, Paris, 2006), faisant référence, dans le même temps, à P. Delmas - Le bel avenir de la guerre, éditions Gallimard, Paris, 1995 - et F. Fukuyama - State building, gouvernance et ordre du monde au XXIème siècle, éditions La Table Ronde, Paris, 2005). Il me faut citer l’intégralité du texte qui suit cette citation car il exprime parfaitement la situation à laquelle est confrontée la Côte d’Ivoire*. Mais je reviens tout d’abord à la situation qui a conduit Gbagbo et l’opposition à Gbagbo, à compter de 2002, à penser que la militarisation du pays était la réponse à « la panne de l’Etat » alors qu’elle devait être, justement, un questionnement sur la faillite de sa gouvernance (et de l’opposition à cette mal gouvernance).

Ouattara doit recomposer une armée unique à partir de groupuscules militaires, nébuleuses animées par des chefs ayant une vision « perso » de leur mission et rien à envier, en matière de prévarication, aux « seigneurs de la guerre » qui se sont illustrés au sein des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN). Point d’appui de cette recomposition : le général de division Michel Gueu Gondi. Promu chef d’état-major particulier du président de la République, on le dit « brillant et intelligent ». Originaire de l’Ouest, du pays des Dan, il s’est trouvé à ce titre proche de Gueï ; ce qui lui vaudra dix-sept mois de prison militaire avant d’être radié des cadres de l’armée lorsque l’ex-chef d’état-major aura été destitué par Bédié après l’affaire du « coup d’Etat de 1995 ».

Quand, fin 1999, Gueï prendra le pouvoir, le colonel Gueu prendra la tête du Groupement de la sécurité présidentielle (GSP) puis du Centre de collecte et d’exploitation des renseignements (CCER) que Gbagbo dissoudra. Gueu se retrouvera commandant en second de la région militaire de Bouaké. C’est là que les événements de 2002 vont le trouver. Il basculera aussitôt, officiellement, du côté de la « rébellion » qui le fera général et inspecteur des FAFN ; mais, surtout, son éminence grise (il a été le conseiller militaire de Guillaume Soro à la primature) loin des plateaux télé, des « blazes » ridicules adoptés par les sous-off promus « com-zone », interdisant que, face à la vacance du pouvoir au lendemain du deuxième tour de la présidentielle, les mafieux en armes qui noyautent les FAFN, ne puissent faire barrage à une résolution républicaine de la crise et à l’affirmation de la légitimité de Ouattara. Je rappelle qu’en 2003, au lendemain de Marcoussis, Gueu, commandant des opérations militaires du MPCI, s’était opposé à Soro, porte-parole du MPCI, et à Louis-André Dacoury-Tabley, coordinateur aux relations extérieures du MPCI, exigeant que les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur soient attribués à la « rébellion », menaçant alors de reprendre l’offensive. Défense et Intérieur resteront en suspens ; Gueu, quant à lui, sera ministre des Sports et Loisirs.

Soumaïla Bakayoko, chef d’état-major des FAFN, prend la place de Philippe Mangou, à la tête des armées. Il était, depuis 2007, son alter ego au sein du Centre de commandement intégré (CCI). Venu lui aussi, tout comme Gueu, des FANCI, promu général par la « rébellion », il a été de toutes les négociations politiques qui ont jalonné l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis 2002. Il a eu à gérer les ruptures et déchirures qui ont marqué les FAFN (affaires Sawadogo Zakari dit Zacharias Koné, Issiaka Ouattara dit Wattao, Ibrahim Coulibaly dit IB, etc.). Ouattara vient, par ailleurs, d’en faire un général de division. Bakayoko a un CEMA-adjoint qui vient des FDS pro-Gbagbo : le général Firmin Déto Létho qui avait rejoint Ouattara dès le début de la bataille d’Abidjan ; il était jusqu’alors commandant des forces terrestres, poste attribué au général de brigade Sékou Touré. Le commandement des Forces aériennes passe entre les mains du colonel-major Jean-Jacques René Ouégnin, le commandement de la marine nationale au capitaine de vaisseau major Djakaridja Konaté, le commandement supérieur de la gendarmerie nationale au colonel-major Gervais Kouakou Kouassi (qui remplace le général de corps d’armées Edouard Tiapé Kassaraté) ; il sera secondé par le colonel Vako Bamba. Le directeur général de la police nationale ne change pas de titulaire : l’inspecteur général Brédou M’bia est maintenu. C’est, par ailleurs, le général Nicolas Kouakou qui est nommé chef du cabinet militaire de Soro.

* « Dans une perspective historique marquée par un double mouvement en sens inverse de globalisation et de fragmentation économiques, culturelles et sociales, l’époque pousse à la multiplication des revendications et des antagonismes identitaires. Par ailleurs, la violence privée se diversifie et dissémine à la surface du globe, obéissant à toutes sortes de logiques sans unité ni principe directeur mais puissamment corrélées entre elles. Il s’agit de « violences moléculaires » qui ont tendance à proliférer dans les zones d’ombre de la mondialisation. Ces zones d’ombre s’étendent là où le monopole légitime de la violence appartenant à l’Etat - selon l’expression de Max Weber - est affaibli, contesté ou combattu. On assiste alors à une privatisation de la violence et de l’usage de la force. Dans ces zones, ce n’est pas la conquête du pouvoir, perçue comme un enjeu insuffisant, mais la débilité du pouvoir qui est recherchée par des acteurs transnationaux ou infra-étatiques (sociétés multinationales, cartels, sectes, organisations terroristes, groupes para-militaires). Plutôt que de gérer l’Etat, ce qui est généralement compliqué et peu rémunérateur, mieux vaut tenir l’Etat à distance, le cantonner pour permettre les trafics, les activités illicites, l’accaparement des ressources naturelles. Pour y parvenir : l’intimidation et la corruption, la privatisation de la violence et de la force » (Louis Gautier, op. cité, pages 220 et 221).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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