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Le premier ministre Luc Tiao se dit « bouleversé, étonné, écoeuré » par ce qui vient de se passer au Burkina Faso.

Publié le lundi 11 juillet 2011 à 18h02min

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Il était en visite d’au revoir et de travail en France, du 4 au 9 juillet 2011. Il est vrai que Luc Tiao, alors ambassadeur du Burkina Faso à Paris, avait quitté précipitamment la capitale française après avoir été nommé, dans une situation de crise majeure, au poste de premier ministre. Il lui fallait donc revenir sur ses pas pour saluer « diplomatiquement » ses partenaires (avec un crochet par le Vatican auprès duquel il était également accrédité) et ses compatriotes installés en France.

Francophonie, Coopération, Affaires étrangères et Européennes, Unesco sans oublier le conseiller Afrique du président Nicolas Sarkozy, Tiao a eu un programme chargé mené autant que cela se pouvait à la « burkinabè » : disponibilité, proximité, clarté, flexibilité, ponctualité… Marie-Claude Mellano, l’épouse (d’origine française) de Hermann Yaméogo, le leader de l’opposition, étant décédée à Paris, Tiao a pu être présent lors de la levée du corps. Son séjour parisien a été également l’occasion de compter ce qui restait d’amis au Burkina Faso de Blaise Compaoré après la tourmente du printemps 2011.

Jean R. Guion et Hubert Haddad, les « Dupont et Dupond » de la « Compaoré connection », autrement dit de l’Association France-Burkina Faso (AFBF), avaient donc mis « les petits plats dans les grands » pour recevoir à dîner, dans les salons de la Maisons des Arts et Métiers, à Paris, ceux qui depuis près d’un quart de siècle maintenant, suivent avec une attention particulière (et un intérêt plus particulier encore) le parcours de « l’homme de la Rectification » (pour reprendre le titre du livre que Guion avait consacré à Compaoré en 1991).

A Paris, le Burkina Faso a toujours su susciter l’intérêt non seulement des médias (cela a encore été le cas cette fois) mais également des personnalités politiques, du monde des affaires, de la sphère « humanitaire ». Certes, les derniers « événements » ont refroidi quelque peu l’enthousiasme de ceux qui avaient confondu compréhension et ostentation ; ils pensaient que Blaise était, pour toute éternité, installé sur un nuage au-dessus de la mêlée et que rien ne pouvait l’atteindre. C’était oublier que « les lois de l’Histoire sont plus fortes que les appareils bureaucratiques » ; ce dont se souvient Blaise qui, lui, a lu Lénine et Léon Trotsky (et Charles De Gaulle ne manque pas de rajouter Guion) et quelques autres auteurs « révolutionnaires ».

Voilà donc Tiao de retour à Paris en costume de Premier ministre du Burkina Faso. Avec ce qu’il faut - rien de plus - de protocole pour un chef de gouvernement ; et tout autant d’engagement dans la fonction et de détermination dans l’action que lorsqu’il était ambassadeur. S’il demeure le « militant » politique qu’il a été par le passé, de son passage dans la diplomatie il a retenu la nécessité de savoir rendre hommage à tous ceux dont son pays a besoin. A commencer par la coopération française ; et particulièrement les contributions financières de l’Agence française de développement (AFD) : 100 milliards de francs CFA débloqués au cours des cinq dernières années ! Les Français, ensuite, « peuple solidaire et généreux » dont les actions s’expriment notamment à travers la coopération décentralisée. Pas question, pour autant, de nier la réalité. D’emblée, il s’est dit « bouleversé, étonné, écoeuré » par ce qui s’est passé ces derniers mois dans son pays.

Il a réfuté l’idée que le Burkina Faso ait été « construit sur du sable », rendant hommage à un président « visionnaire » qui s’est « sacrifié pour la stabilité et la paix » et a entrepris « d’expérimenter et de développer la démocratie ». Alors que le pays est le « moins nanti » de la région, il a obtenu une croissance économique plus forte que ses voisins lui permettant de mettre en place des infrastructures sociales - éducation et santé - dans chacun des villages. « Avons-nous été trop idéalistes ? Sommes-nous victimes de notre succès ? », s’est interrogé Tiao.

Il n’a pas manqué de souligner que le taux de natalité demeurait élevé, empêchant du même coup que la pauvreté régresse autant que souhaité, tandis que 70 % de la population ayant moins de vingt ans, la jeunesse se trouve « déboussolée » face à une « crise économique » majeure accentuée par la persistance des tensions en Côte d’Ivoire, situation dont le Burkina Faso a « souffert ». Enclavement accentué par la rupture de la liaison avec le port d’Abidjan via le chemin de fer, sabotage des lignes HT provoquant des délestages, hausse des denrées de première nécessité et des produits pétroliers… des « facteurs exogènes et des facteurs internes » expliquent une crise à laquelle tout le monde a été confronté, y compris les militaires.

« L’armée est fidèle et républicaine » a souligné Tiao ; jamais le pays n’est resté stable aussi longtemps sans que la vie politique soit bouleversée par un coup d’Etat militaire. Mais la crise couvait et un « fait divers » a provoqué l’explosion, permettant de prendre conscience que le recrutement de soldats avait été trop massif, la formation insuffisante et le commandement déconnecté de sa base. S’ajoute à cela un problème global de gouvernance, la population étant « convaincue que la corruption est rampante dans le pays ». Il soulignera cependant l’exemplarité de la gestion de la crise : compréhension que si certains groupes sociaux « se révoltent » c’est qu’ils ont « des raisons » à cela ; et que ce n’est pas « la répression » qui peut répondre à leur attente mais « le dialogue ».

Il a cependant justifié l’intervention musclée pour réprimer les actions des mutins à Bobo-Dioulasso. « C’était la première fois qu’une intervention de ce type était mise en œuvre ; mais c’était aussi la première fois que des éléments de l’armée s’en prenaient à la population avec des armes de guerre ». Cette intervention, a-t-il souligné, a été « une bouffée d’oxygène » pour le pays ; « elle a redonné de l’autorité à l’Etat et tout est rentré dans l’ordre ». Il n’était pas possible, face à ce qui se passait, de « rester les bras croisés ».

« Le président du Faso a appris beaucoup de choses qu’il ignorait » à cette occasion, a souligné le premier ministre, réfutant tout « confusion dans l’analyse » : ce n’était pas un « soulèvement populaire » et l’appel à la démission de l’opposition était « contraire à la Constitution » ; d’ailleurs la « marche » qu’elle a organisée a été un « flop », ce qui tend à démontrer que la population refuse toute « action aventuriste ». « Cette crise est, pour le gouvernement, une opportunité afin de changer ce qui est perçu comme insuffisant », a précisé Tiao. « Il faut retrouver nos valeurs, l’intégrité devant être au centre de nos préoccupations », « engager des réformes », « renforcer les institutions », « réformer la justice », « améliorer la gouvernance ». Pas d’impasse sur le fameux article 37 : « Le président du Faso entend laisser évoluer le débat sur cette réforme ; et s’il n’y a pas de consensus, il en tiendra compte. Il n’est pas question pour lui de s’imposer au peuple ». Il conseille d’ailleurs à l’opposition de se préparer pour 2015 plutôt que de pérorer sur une éventuelle candidature du chef de l’Etat.

Sa priorité est de « résoudre coûte que coûte le problème de la jeunesse ». Elle a « besoin de rêver » ; elle a le « droit de rêver ». Conscient que les « fondamentaux sont là, que le Burkina Faso reste le Burkina Faso » et qu’il dispose d’un « capital humain », Tiao a annoncé des « réformes économiques courageuses » afin de rendre le pays « plus attractif » et promouvoir un « environnement apaisé ». C’est pourquoi il veut un gouvernement « incorruptible » et des ministres « exemplaires ». Pas de « châteaux » pour les ministres quand il n’y a pas « l’eau potable » dans les quartiers a-t-il affirmé. Pour le reste, a-t-il souligné, « le Burkina Faso a toujours fait front aux défis, il n’entend pas abandonner cette fois encore ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 11 juillet 2011 à 18:46, par Burkind’lum En réponse à : Le premier ministre Luc Tiao se dit « bouleversé, étonné, écoeuré » par ce qui vient de se passer au Burkina Faso.

    J’ai cru que c’est un certain Oumar Wigo qui avait organisé cette réception puisque le PM l’a remercié publiquement ...
    En fait c’est Dupont et Dupond comme vous dites.
    Belle soirée dans tous les cas, et c’est le plus important !
    Burkind’lum

  • Le 11 juillet 2011 à 20:07, par Justice En réponse à : Le premier ministre Luc Tiao se dit « bouleversé, étonné, écoeuré » par ce qui vient de se passer au Burkina Faso.

    Monsieur le PM si comme tout le monde,nous avons été bouleversés,écoeurés par les évènements de ces derniers mois,il n’y a pas de quoi jouer aux étonnés car c’était prévisible mais la seule interrogation était quand ça aura lieu.Donc tout comme en Tunisie,ça commence par un fait divers qui n’est pas banal comme vous vouliez bien sous entendre et tout s’embrase.Et comme vous le dites,c’est dû à la corruption rampante qui n’est pas une conviction,une vue d’esprit de la population mais des faits avérés puisque nous nous connaissons ici au Faso et nous savons qui est qui.Alors il est tout de même inadmissible,intolérable qu’une certaine catégorie d’individus spolient les biens du peuple et vivent en toute impunité sans être inquiété par la justice à l’inverse de ces petits voleurs de poulets qui croupissent à la maco.Donc là où il n’y a point de justice,il n’y a point de république et même si vous n’aimez pas le terme,je me l’approprie en disant bien que le Burkina ait été construit sur du sable avec une illusion d’optique en trompe oeil.Il faudra que tout cela change et en profondeur parceque nous voulons un Faso juste pour toutes et tous.Merci

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