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Production et distribution des semences améliorées : Le “oui… mais” des acteurs de terrain

Publié le mardi 5 juillet 2011 à 02h27min

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L’Etat a entrepris ces dernières années de mettre à la disposition des producteurs, des semences améliorées. Lentement et sûrement, ces semences ont conquis les cœurs de nos braves paysans. Ils sont très nombreux en effet à abandonner les semences traditionnelles au profit des nouvelles proposées par le gouvernement. Mais au-delà de cet enthousiasme certain, des préoccupations demeurent. Sidwaya qui a sillonné trois régions du pays (le Nord, le Centre-Sud et le Sahel) pour rencontrer les acteurs et les bénéficiaires vous livre son constat.

« Les semences améliorées s’ancrent petit à petit dans les habitudes culturales des producteurs. Pour ce qui est de la région du Nord, l’engouement pour ces semences est certain. Il reste maintenant qu’il faut permettre à tous les producteurs de se les procurer… ». Ces propos sont du vice-président de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) du Nord, Idrissa Dominique Barry. C’était au cours d’un échange à battons rompus que nous avons eu avec des producteurs le jeudi 2 juin 2011 à Ouahigouya. Cela fait maintenant quelques années que le gouvernement met à la disposition des producteurs de façon gratuite, à chaque campagne, des semences améliorées.

Cette politique est fortement appréciée par les bénéficiaires parce qu’elle leur permet d’augmenter leur rendement. « Nous avons laissé les semences traditionnelles au profit de celles que l’Etat met à notre disposition car elles nous permettent de doubler, voire multiplier notre production… », avoue Abdoulaye Ouédraogo, président départemental des producteurs du Yatenga pour justifier leur choix. Un sentiment partagé par ses pairs dans les régions du Centre-Sud et du Sahel. « Grâce à ces semences, nous arrivons à produire suffisamment pour notre alimentation et même régler certains besoins… », reconnaît Elisabeth Zoungrana, productrice de riz et vice-présidente de la Chambre régionale d’agriculture du Centre-Sud. Elle est soutenue par Johanny Bouda et André Nikiéma. Le dernier cité est membre de l’Union des producteurs de Manga. « La distribution gratuite des semences améliorées par l’Etat aux producteurs est une très bonne initiative qu’il faut saluer à sa juste valeur. Au Zoundwéogo, nous avons totalement adhéré à cette politique parce qu’elles produisent plus que les semences traditionnelles… », note-t-il.

Abandon des semences locales

Pour Hama Yéro Dicko, président de l’Union communale des producteurs de Bani dans le Sahel, la rareté des pluies a amené les producteurs de cette partie du Burkina à se tourner vers les semences améliorées. « C’est la famine surtout qui a contraint les producteurs du Sahel à abandonner les semences locales qui ont un cycle long (150 jours) pour les nouvelles semences (70 jours) proposées par le gouvernement… », affirme-t-il, même si Dicko Issoufou et Ali Diallo, tous deux producteurs semenciers à Dori, estiment que certains ne sont toujours pas convaincus de la nécessité des semences améliorées dans un contexte où les pluies n’arrivent pas à terme. C’est ce que relève Harouna Zoromé du Yatenga qui affirme que dans certaines exploitations familiales de la région, des producteurs sont encore réticents à adopter les semences améliorées parce qu’elles ne connaissent pas leur rendement. A entendre ces producteurs, l’autosuffisance alimentaire serait assurée si tout le monde s’engageait à utiliser ces nouvelles semences. Seulement, ils sont tous unanimes à déplorer l’arrivée parfois tardive et la quantité insuffisante de ces semences. Certains pensent que l’Etat doit revoir les critères de choix des bénéficiaires. « Seuls les plus démunis y ont droit et l’on ne retient que 40 personnes par village.

Et les autres ?... », s’interroge Abdoulaye Ouédraogo. « Le choix devient plus corsé cette année car il est dit que le bénéficiaire doit obligatoirement avoir une fosse fumière… », précise le secrétaire régional des producteurs semenciers du Nord, Inoussa Sawadogo. Elisabeth Zoungrana, membre du groupement des producteurs de riz de Louré dans la commune de Manga, souligne pour sa part que les semences livrées à son groupement par l’Etat sont insuffisantes. « Chaque membre a seulement 25 kg. Ce qui amène souvent des bagarres… », indique-t-elle.

Pour mettre suffisamment les semences améliorées à la disposition de tous les producteurs, l’Etat a sollicité la contribution d’autres personnes pour les multiplier à partir des semences de base. La condition : il faut disposer au minimum de 3 à 5 ha de superficie, se faire encadrer par les inspecteurs techniques de l’agriculture. Ils essaient tant bien que mal de respecter leurs engagements mais sont confrontés à la fin à un certain nombre de difficultés qui se résument essentiellement au manque de matériel aratoire et de fonds pour l’acquisition des semences de base afin de produire en quantité suffisante. « Il faut que l’Etat nous accompagne… », laisse entendre le secrétaire régional Inoussa Sawaodogo. « Nous n’avons pas souvent les fonds nécessaires pour acheter les semences de base. Moi, je les achète à Farakoba au coût de 1 500 francs CFA le kg. Si l’on ajoute 250 francs CFA pour le transport, cela me revient à 1 750 francs CFA le kg. J’ai commandé par exemple 150 kg de semences de base de riz à 265 000 francs CFA. Vous voyez qu’à ce coût, il est difficile de se lancer dans plusieurs spéculations si vous n’avez pas de fonds », explique Gérard Yerbanga du groupement Namanegbzanga du Zoundwéogo dans le Centre-Sud.

Une situation déplorable

De plus, ils soutiennent que l’Etat ne paie pas vite les producteurs auprès desquels ils achètent les semences améliorées au profit des bénéficiaires « Le gouvernement met du temps avant de nous payer. Par exemple, la production de la campagne écoulée n’a pas été réglée jusqu’à présent (9 juin 2011). Parfois c’est au moment où nous récoltons que l’on vient pour nous régler l’argent. Nous sommes en train de préparer cette campagne et nous n’avons encore rien reçu du gouvernement. C’est difficile si tu n’as pas de fonds pour acquérir les semences de base… », déplore Johanny Bouda, producteur dans la commune de Manga. Dicko Hama Yéro de l’Union communale des producteurs de Bani dans le Sahel n’est pas content lui aussi. « Notre production de la saison dernière n’a pas été totalement réglée. Seulement trois de nos membres ont été satisfaits… », soutient-il.
Cette situation est déplorée par les producteurs . L’Etat devra revoir sa copie, à entendre certains d’entre eux. C’est le sentiment en tout cas du président de la Chambre régionale d’agriculture du Centre-Sud, Jonas Yogo, producteur semencier dans le Nahouri. « C’est une situation déplorable. Mais je pense que vendre notre production à l’Etat ne doit pas être un objectif pour les producteurs. Nous devons travailler à créer notre propre marché. Par exemple, moi je ne vends pas ma productionà l’Etat », relève celui-ci. Produire, à partir des semences de base, des semences améliorées de qualité demande des compétences.

A ce sujet, les producteurs sont tous unanimes, car ils sont très bien encadrés et respectent les normes techniques. « Je pense qu’il n’ya pas de doute à se faire sur cette question. Tous les producteurs sont suivis sur le terrain… », soutient Adama Ouédraogo, un vétéran dans la production des semences améliorées dans la province du Bazèga. Impliqué depuis 1999 dans ce secteur, il est directeur d’une entreprise de production et de commercialisation des semences améliorées. Il dispose d’ailleurs d’une boutique de semences à Kombissiri, chef-lieu de la province. Le directeur régional de l’Agriculture et de l’Hydraulique du Centre-Sud, Patindé André Nonguierma est de cet avis. « Le suivi technique sur le terrain est très rigoureux. Des semis jusqu’à la récolte en passant par le séchage, il y a des normes à respecter. Si ces conditions ne sont pas remplies, les semences ne peuvent pas être certifiées par les inspecteurs techniques… », affirme-t-il.
Seulement, il revient que cette qualité est mise à rude épreuve par des pratiques frauduleuses de certains producteurs et dénoncées par bon nombre d’entre eux.

La qualité mise à rude épreuve

En effet, des producteurs mélangent à leurs semences certifiées, des semences non homologuées après le passage des inspecteurs techniques afin de gonfler leur tonnage. Très remonté, le député Salam Ouédraogo dit "docteur", président de l’Association professionnelle des maraîchers du Yatenga, producteur semencier dans la filière oignon, reconnaît que c’est « une pratique malsaine » à combattre énergiquement. Pour Hama Yéro Dicko, la pratique est courante. « Nous les combattons.

D’ailleurs avec l’arrivée de la loi semencière, la pratique va désormais être sévèrement punie… », soutient-il. Et Jonas Yogo n’est pas tendre avec le département en charge de l’Agriculture à ce sujet, car pour lui, il y a une certaine complaisance dans cette affaire. « S’il y a une volonté politique, la pratique peut être éradiquée rapidement. Seulement, il faut la volonté… », note-t-il. Patindé André Nonguierma confirme effectivement l’existence du problème. « Nous en avons connu dans notre région. Et il est certain que cela ne peut pas se faire sans la complicité de certains inspecteurs. Des mesures sont prises pour arrêter cela. Cette année, les directeurs régionaux de l’Agriculture et de l’Hydraulique ont été chargés de veiller à ce que les inspections soient rigoureuses… », explique André Nonguierma.

Etienne NASSA

Sidwaya

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