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Côte d’Ivoire 2011 : Guillaume Soro s’efforce de reconstruire son image.

Publié le samedi 2 juillet 2011 à 21h31min

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Plus facile d’être rebelle que notable. Difficile d’être reconnu comme homme politique quand la guerre est finie. Guillaume Soro en fait l’expérience. J’ai dit (cf. LDD Côte d’Ivoire 0328/Vendredi 24 juin 2011) pourquoi il était bien plus en adéquation, dans l’exercice de son job de premier ministre, avec Laurent Gbagbo qu’avec Alassane D. Ouattara.

Les années Gbagbo étaient celles du chaos ; Soro, arrivé là par la force des armes, ne dénotait pas sur la scène politique. Et Gbagbo l’avait inséré dans son jeu politique. Filippe Savadogo, ancien ambassadeur du Burkina Faso en France et ancien ministre, l’a écrit (« Axe Abidjan-Ouagadougou : le phénix renaîtra de ses cendres ») : « Lorsque […] Guillaume Soro avait été nommé premier ministre, il le fut non pas à la demande du président du Faso, mais en fonction du choix calculé de Laurent Gbagbo qui estimait […] que Guillaume Soro représenterait une option de manipulation stratégique le cas échéant ».

Gbagbo connaissait bien Soro, ses atouts et ses limites ; et, surtout, n’oubliait pas que sa légitimité résultait d’un coup de force qui avait échoué ; d’où la partition de la Côte d’Ivoire, l’intervention militaire française puis internationale, un chaos monumental rendant l’impossible possible et, surtout, l’interdit faisable. Pour être clair : les événements du 18-19 septembre 2002 ont permis à Gbagbo et à sa clique de se maintenir au pouvoir au-delà de 2005 sans avoir à affronter une présidentielle mais, plus encore, de mettre en coupe réglée l’économie et les finances du pays. Et, pour l’essentiel, les prédateurs de la Côte d’Ivoire courent encore ou coulent des jours heureux loin du brouhaha politique qui règne à Abidjan.

Premier ministre de Gbagbo à la suite des accords de Ouagadougou (4 mars 2007), Soro est devenu le premier ministre de Ouattara parce qu’il ne pouvait pas être autre chose. Une nomination qui ne durera pas. Déjà, on évoque l’arrivée à la primature du PDCI Daniel Kablan Duncan, actuel ministre des Affaires étrangères avec le titre de ministre d’Etat (cf. LDD Côte d’Ivoire 0322/Vendredi 3 juin 2011). C’est dire que le temps des Forces Nouvelles (FN) est passé ; et que la seule force politique qui compte, pour ADO, est celle des « houphouëtistes », autrement dit : PDCI/RDR (dans une perspective, d’ailleurs, de recomposition de l’ancien PDCI-RDA).

En attendant, la gestion du pays est exclusivement entre les mains du chef de l’Etat et de ses collaborateurs et le premier ministre tout comme le gouvernement ne sont là que pour la… décoration. Soro ne manque pas de le reconnaître d’ailleurs. « Comme vous avez pu le constater, déclarait-il récemment à un journaliste ivoirien, je viens d’avoir une séance de travail suivie d’un déjeuner avec le chef de l’Etat, le président de la République. Evidemment, nous avons parlé des questions touchant à la vie de l’Etat de Côte d’Ivoire, à la vie de la nation ». Dans le contexte actuel, on n’en attendait pas moins du président de la République et de son premier ministre. Soro va plus loin et ajoute : « Le président de la République a décidé que, désormais, une fois par semaine, lui-même et le chef du gouvernement, nous devons nous retrouver pour travailler ». Woooaaa… « une fois par semaine » alors que le pays est confronté aux pires difficultés politiques, économiques, sociales, diplomatiques… C’est montrer à Soro qu’il n’est plus qu’un « intérimaire du spectacle » !

Soro, qui n’est pas un imbécile, a conscience que les beaux jours sont derrière lui et qu’il lui faut penser autrement son devenir politique. Chouchou de ceux qui pensaient, à juste titre, que Gbagbo était un parasite politique qui allait « foutre par terre » la Côte d’Ivoire et l’Afrique de l’Ouest, il est désormais, avec l’accession à la tête de l’Etat ivoirien d’un homme ayant une réelle stature continentale et internationale, celui par qui le « scandale » est arrivé. D’autant que, dans le même temps, il a perdu quelques uns de ses meilleurs appuis africains : Omar Bongo Ondimba est mort et Abdoulaye Wade n’est pas, politiquement, au mieux de sa forme. Et à Ouaga, ADO étant à Abidjan, la raison d’Etat l’emporte désormais sur la raison du cœur. Face aux « houphouëtistes », hommes d’hier et d’aujourd’hui du RDR et du PDCI, et, plus encore, aux « hommes de confiance » de Ouattara, Soro et ses amis pèsent bien peu dans la balance politique ivoirienne. Et s’ils pèsent, c’est par le poids des exactions menées par les FN ici et là, sans oublier les comportements délictueux des uns et des autres dans les « zones occupées ». En un mot, Soro dérange. Et son ancrage social n’est pas plus affirmé, maintenant que ADO est au pouvoir, que son ancrage politique.

C’est dans ce contexte que ses amis ont organisé, voici quelques jours, une conférence dont le thème est tout un programme de « reconstruction » de l’image de Soro : « La marche de la Côte d’Ivoire vers la démocratie, le rôle du Premier ministre Soro Kigbafori Guillaume ». Organisée au Ran-Hôtel de Bouaké - autrement dit dans le fief des FN - par le Mouvement ivoirien pour la stabilité politique (MISPO), une association de soutien à son action créée, me semble-t-il, au lendemain des accords de Ouagadougou quand Soro a accédé à la primature. Ce n’était qu’une réunion anecdotique dont ni le fond ni la forme ne pouvaient susciter le moindre intérêt si ce n’est qu’elle est l’expression de la volonté des pro-Soro d’affirmer que « les Forces Nouvelles ont été les sauveurs de la Côte d’Ivoire de la dictature de Laurent Gbagbo et de son FPI », une « révolution » à laquelle ont adhéré « toutes les populations de Bouaké, Korhogo, Man, Séguéla, Odienné, Boundiali… », un « grand mouvement de libération » mené par « le brillant, l’intelligent, le courageux et le stratège » qu’est Soro. Il ne faut pas s’y méprendre. Les pro-Soro ne sont pas que des pro-FN ; ils sont aussi ceux qui ont bénéficié, politiquement ou économiquement, depuis le 19 septembre 2002, de la partition du pays et qui entendent ne pas être les « dindons de la farce ».

Les comportements au Nord de la ligne Man-Bouaké n’ont pas toujours été clean (et c’est un euphémisme) et Abidjan ne peut pas se permettre, dans le contexte actuel, d’avoir des états d’âme « régionaux ». Au Nord, les « élites » comme les élus craignent non seulement la remise en question des positions acquises mais, tout autant, la dénonciation de crimes crapuleux, politiques, économiques… On entend donc rappeler à ADO qu’il ne serait pas là où il se trouve aujourd’hui si les FN n’avaient pas « mis les mains dans le cambouis », contraints à « accepter de collaborer malgré eux, en tout intelligence, avec le régime qu’ils contestaient en acceptant le poste de premier ministre et plusieurs fonctions ministérielles à côté du dictateur et de l’assassin Laurent Gbagbo ».

C’est tout le problème aujourd’hui : celui de Ouattara et de Soro. Ce dernier aurait pu dire au premier : « Qui t’as fait roi ? » s’il l’avait installé au pouvoir, tâche revenue, finalement, à la force Licorne (sans ce coup de pouce de la France avec l’onction des Nations unies, Gbagbo aurait perduré au pouvoir encore un certain temps et, dès lors, tout pouvait arriver) et engranger le bénéfice de son action. Mais, dans le même temps, ADO a tout intérêt (pas son intérêt personnel mais celui de la Côte d’Ivoire) à faire oublier qu’il n’a cessé de surfer sur l’action menée par d’autres contre « l’ivoirité » de Henri Konan Bédié, Robert Gueï, Gbagbo ; autrement dit l’exclusion des populations considérées comme originaires du Nord par les responsables politiques du Sud et du Centre. ADO peut bien penser qu’il est là pour reconstruire la Côte d’Ivoire et que pour y parvenir il a besoin du soutien de tous, les Nordistes souhaitent qu’on n’oublie pas qu’ils ont été en première ligne pour prendre des coups et en donner.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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