LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

FAO : Le Brésilien José Graziano da Silva élu directeur général

Publié le lundi 27 juin 2011 à 17h54min

PARTAGER :                          

On attendait la victoire de l’Espagnol Miguel Angel Moratinos qui était, jusqu’à l’automne 2010, le ministre socialiste des Affaires étrangères et de la Coopération. Sa candidature au poste de directeur général de la FAO était considérée comme la plus prestigieuse et il n’avait pas manqué de faire campagne dans la presse « mondiale ».

C’est finalement un Sud-Américain, plus encore un Brésilien, José Graziano da Silva qui l’a emporté. Ce qui n’est pas, en soi, une grande surprise : c’était la candidature la plus significative (cf. LDD Spécial Week-End 0474/Samedi 5-dimanche 6 février 2011). Et une candidature du Sud.

Agronome, économiste, coordinateur du programme « Faim zéro » du Brésil, Graziano a été ministre de la Sécurité alimentaire et de Lutte contre la faim sous la présidence de Luiz Ignacio Lula da Silva avant d’être nommé représentant régional pour l’Amérique latine et les Caraïbes et sous-directeur général de la FAO. Il est, par ailleurs, l’auteur d’environ vingt-cinq ouvrages sur la sécurité alimentaire et le développement rural. « Ma candidature, disait-il, représente la vision commune des pays du monde entier qu’il est possible d’éradiquer la faim et la pauvreté extrême grâce à un développement inclusif et à l’utilisation durable des ressources naturelles ». En le portant à la tête de la FAO, les Etats membres ont confirmé l’ancrage de l’institution au Sud et rendu hommage à Lula ; mais ils ont choisi, aussi, de donner la préférence à l’un des leurs : Graziano connaît la maison.

C’est à compter du 1er janvier 2012 que Graziano doit prendre officiellement ses fonctions mais son prédécesseur, le Sénégalais Jacques Diouf - en place depuis 1994 ! - a d’ores et déjà annoncé qu’il avait « hâte de quitter » ses fonctions et ne pensait pas « rester [à Rome, siège de la FAO] jusqu’au terme de son mandat ». Non pas que le job soit pénible, mais Diouf entend surfer sur la vague de contestation qui s’est soulevée le jeudi 23 juin 2011 au Sénégal. On sait que le président Abdoulaye Wade a été, particulièrement ces derniers mois, critique à l’égard de la FAO qu’il jugeait « inutile », souhaitant son remplacement par une Organisation mondiale de l’agriculture (OMA).

Mais au sein de la classe politique sénégalaise, on jugeait que cette dénonciation de l’action de la FAO visait d’abord Jacques Diouf. Celui-ci, libre désormais de ses mouvements (et, plus encore, de ses jugements), entend renvoyer Wade dans les cordes à la suite de l’affaire du projet de réforme constitutionnelle : « Je suis triste, très triste, vraiment triste pour ce qui se passe dans mon pays. Je dois même dire que je suis déçu que le Sénégal en arrive à cette situation […] Nous avons toujours été fiers de notre histoire politique, de notre démocratie. Nous brandissions le drapeau du Sénégal partout dans le monde avec fierté. On nous félicitait de cela partout où nous allions. Maintenant… Voilà qu’on en arrive à ça », a-t-il déclaré à la veille de l’élection de son successeur. Il a ajouté : « Je compte bien sûr jouer un rôle dans mon pays. Je ne peux pas dire lequel ». Je rappelle que Jacques Diouf est le petit-fils de Hamet Gora Diop, Saint-Louisien, figure majeure de la traite arachidière et du commerce de la gomme arabique à laquelle il a consacré un livre publié par Présence africaine, et qu’il a été député, ministre, ambassadeur… et haut responsable, pour Saint-Louis, du Parti socialiste.

Mais revenons à Graziano. Italo-brésilien né en 1949, marié à une journaliste, il a étudié l’économie et la sociologie rurale à Sao Paulo et à l’université d’Etat de Campinas où il a obtenu un doctorat ès sciences économiques. Il est également docteur en études latino-américaines de l’University College de Londres et en études environnementales de l’université de Santa Cruz, en Californie. Il parle le portugais, l’espagnol et l’anglais. Professeur d’université, spécialiste du développement rural et de la lutte contre la faim, auteur de nombreux ouvrages, engagé politiquement et syndicalement, il a participé au programme « Faim zéro » du Brésil avant d’être nommé au gouvernement pour le mettre en place. Fome Zéro été le programme-phare de Lula lors de son accession au pouvoir.

Confronté aux revendications du Mouvement des sans-terre, partisan de l’agriculture familiale, Lula dira que « si, à l’issue de [son] mandat, tous les Brésiliens peuvent prendre trois repas par jour, [il aura] rempli [sa] mission ». Argument sincère mais également politique. Comme le note Alain Rouquié dans son livre Le Brésil au XXIème siècle (éditions Fayard, Paris 2006), « ce programme, « le plus ambitieux jamais proposé », désarme les revendications corporatives, neutralise les égoïsmes sectoriels. Comment exiger des augmentations de salaires quand des concitoyens ont faim, surtout si l’on est bénéficiaire d’une rémunération stable - voire de confortables pensions de retraite ? ». C’est encore Rouquié qui rappelle que Graziano considérait que Fome Zero serait une œuvre de longue haleine, une « guerre prolongée » (et pas une aide d’urgence momentanée) qui ne donnera ses fruits que quatre ans plus tard au minimum. Rouquié dira encore « que le programme de lutte contre la faim a longtemps cherché sa voie entre geste symbolique et panacée sociale » mais que Lula entreprendra, cependant, de « l’internationaliser » en proposant, dans le cadre des objectifs onusiens du Millénaire, de créer un Fonds mondial contre la faim et que cette initiative recevra notamment le soutien de la France, de l’Espagne et du Chili.

A l’issue de son expérience gouvernementale, en 2006, Graziano va rejoindre la FAO comme représentant régional pour l’Amérique latine et les Caraïbes avec le titre de sous-directeur général (le siège en est à Santiago, au Chili). Objectif : éradiquer la faim dans la région d’ici 2025 par la promotion, notamment, de l’agriculture familiale. Il s’engagera également en faveur du renforcement des institutions sectorielles et de l’intégration des programmes de développement rural dans les politique publiques. Il militera aussi pour une meilleure coordination des actions menées, sur ces questions, par les organisations onusiennes : PAM, PNUD, OIT… et une décentralisation des opérations afin de prendre en compte les aspirations et les engagements de la société civile. Il était également particulièrement attentif aux changements climatiques et à la pression constante que ceux-ci exercent sur les ressources naturelles.

C’est le président Lula lui-même qui avait présenté la candidature de Graziano au poste de directeur général de la FAO à l’occasion de la IVème réunion du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union des Nations sud-américaines (Unasur), le 26 novembre 2010, à Georgetown (Guyana), candidature soutenue non seulement par l’Unasur mais également par les Etats membres de la communauté des pays de langue portugaise (CPLP). Graziano dira alors : « Ma candidature ne se réclame pas d’un pays ou d’une région mais souhaite représenter la vision partagée par de nombreux pays qu’il est possible d’éradiquer la faim et l’extrême pauvreté par le biais d’un développement inclusif et en utilisant les ressources naturelles de façon durable. La FAO joue un rôle essentiel pour transformer les volontés des pays en réalité et pour les aider à respecter les Objectifs du millénaire pour le développement ».

Graziano est élu pour quatre ans ; avec la possibilité d’un seul nouveau mandat. Soit huit ans au maximum. Diouf était resté en place pendant dix-sept ans. Pour quel bilan ? Quand il est arrivé à la tête de la FAO en 1994, il a eu à gérer le premier Sommet mondial de l’alimentation en 1996. Il s’était fixé pour objectif de réduire de moitié la malnutrition dans le monde d’ici à 2015. 2015, c’était loin alors ; c’est désormais demain. Il n’y a que l’objectif qui reste lointain !

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique