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L’ex-premier ministre Modibo Sidibé, candidat du changement dans la continuité, à la présidentielle malienne 2012.

Publié le mardi 21 juin 2011 à 18h01min

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C’est une candidature annoncée. Même si elle ne l’est pas encore officiellement à l’heure à laquelle j’écris ces lignes. Mais son retrait de la primature, le 30 mars 2011, à un an de la prochaine présidentielle (prévue pour le 29 avril 2012), ne laissait pas de doute : Modibo Sidibé sera candidat. Ses partisans, déjà, se rassemblent et s’organisent et une déclaration officielle de l’ancien premier ministre est attendue dans les heures qui viennent.

Il est vrai que Sidibé résume, à lui seul, l’histoire contemporaine du Mali, militaire et politique. Ce qui, bien sûr, n’est pas suffisant pour assurer une victoire électorale mais pèse, cependant, dans la balance.

Au début, il y a le père, Mamadou Sidibé, officier de l’armée française ; il sera, dit-on, le premier capitaine du Mali indépendant. Officier supérieur, il était aussi un érudit. Il y a ensuite la fratrie : six enfants. Dont Mandé qui après une carrière d’économiste (FMI, BCEAO) s’est retrouvé premier ministre (2000-2002) de Alpha Oumar Konaré dont il avait été le conseiller spécial. En mars 2002, il démissionnera de la primature pour se présenter à la présidentielle mais n’obtiendra pas l’investiture de son parti : l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema). Il avait alors passé le cap de la soixantaine et allait se consacrer à finance (il a été président d’Ecobank à compter de 2006). Mandé est mort le 25 août 2009 à l’âge de 69 ans.

Modibo, lui, est né à Bamako ; mais c’est un Peul du Wasoulou (actuelle Guinée), le fief de Samori dont l’Almany fera sa base arrière en vue de ce que l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo qualifie de « Drang ach Osten » (Poussée vers l’Est) qui lui permettra de conquérir Bamako mais le verra échouer devant Sikasso.

Si ses frères et sa sœur ont choisi les études médicales et para-médicales, Modibo, lui, a fait le choix de la police. A sa sortie de l’Ecole nationale de police de Bamako, il va se perfectionner en Europe, en Italie et en France, décrocher un doctorat en criminologie avant de rejoindre la Brigade d’investigations criminelles et d’être nommé, en 1984, commissaire de police de l’aéroport international de Bamako-Sénou. Quand éclatera la « guerre des pauvres » entre le Mali et le Burkina Faso, il sera affecté à la rédaction des communiqués de l’état-major et, à cette occasion, sera au contact avec Amadou Toumani Touré (ATT) dont il avait fait la connaissance, à la fin des années 1970, alors qu’il se trouvait déjà sous ses ordres à l’occasion d’un stage de parachutiste.

Quand ATT va prendre le pouvoir à la suite des événements de 1991, il confiera la direction de son cabinet (avec rang de ministre) à Modibo Sidibé et quand Alpha Oumar Konaré formera son premier gouvernement à la suite de son élection à la présidence de la République, le « commandant » Modibo Sidibé sera nommé ministre de la Santé, de la Solidarité et des Personnes âgées ; un portefeuille (Santé publique, action sociale et promotion féminine) que sa sœur Sy Oumou Louise Sidibé avait détenu du 5 avril au 16 juillet 1991.

Le 16 septembre 1997, alors que Konaré entame son second mandat, Sidibé sera nommé ministre des Affaires étrangères et des Maliens de l’extérieur ; il conservera ce portefeuille jusqu’à l’alternance qui, en 2002, permettra à ATT de revenir au pouvoir, par la voie des urnes cette fois.

ATT ne fera pas l’impasse sur Sidibé. Il le nommera secrétaire général à la présidence avec, cette fois encore, rang de ministre. C’était confirmer, dix ans après leur première collaboration, que Sidibé est un homme discret, travailleur ayant le sens de l’organisation ; un parfait collaborateur pour un chef d’Etat. En quelque sorte ce que Claude Guéant - l’un et l’autre ayant été formaté au sein de la police - est à Nicolas Sarkozy ; avec la même apparente froideur, la même volonté de rigueur ; un homme de dossiers peu préoccupé de mondanités. En septembre 2007, ATT le fait premier ministre.

Dans un pays où l’Etat a été illustré par des personnalités majeures, de dimension continentale, Sidibé pourrait apparaître terne. Mais il est l’homme qu‘il faut à la place qu’il faut. Le Mali n’est pas au mieux de sa forme. Les acquis des années passées sont volatiles et les défis politiques, économiques, sociaux et sécuritaires nombreux dans une conjoncture mondiale et sous-régionale détériorée. On reprochera cependant à Sidibé, homme de dossier, de n’être pas homme de décision rapide (ceci expliquant cela, on le dit perfectionniste) : nommé premier ministre le 29 septembre 2007, il formera son gouvernement le 3 octobre 2007, mais ce n’est que le 14 décembre 2007 qu’il présentera sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale.

Sidibé ne donne jamais l’impression de vouloir aller « trop vite, trop loin ». Deux mois après sa nomination à la primature, il expliquait à Chérilf Elvalide Sèye (Les Afriques du 6 décembre 2007) : « Nous avons un programme de développement économique et social qui est celui du candidat Amadou Toumani Touré à l’élection présidentielle. Il a été largement élu sur cette base. Il a indiqué ses objectifs politiques et stratégiques que mon gouvernement est appelé à mettre en œuvre. Il nous a condensé cela dans une lettre de cadrage, une lettre d’orientation d’axes stratégiques et d’objectifs qu’il nous revient maintenant de détailler. Nous l’avons fait déjà, lors d’un séminaire gouvernemental, la semaine dernière. Nous nous sommes appropriés en tant que gouvernement à la fois le programme de développement économique et la lettre de cadrage. Nous allons faire une feuille de route gouvernementale qui va nous permettre d’élaborer un plan d’action gouvernemental de mise en œuvre du programme de développement économique et social pour la période 2007-2012 ».

La vraie nature de Sidibé, c’est cela : « laisser le temps au temps » ; enfin, le temps qu’il faut. Mais ceux qui pensent que ce n’est que cela se trompent. Dans le même temps, il avait mis en place un « bouclier » pour faire face au renchérissement des cours du pétrole et des prix des denrées de grande consommation (riz, farine, etc.) : subventions et réduction des recettes fiscales, accompagnées d’une hausse des salaires dans le public et para-public. Pour compenser la baisse des recettes, il s’efforcera d’améliorer la productivité et de généraliser la bonne gouvernance. Un challenge financièrement coûteux mais qui a sans doute évité au Mali une confrontation sociale qui aurait été délicate dans le contexte « d’insécurité » qui caractérise le pays et qui a détruit l’image du Mali et refroidi l’enthousiasme des bailleurs de fonds internationaux.

A moins d’un an de la présidentielle et après avoir quitté la primature (cf. LDD Mali 009/Mardi 5 avril 2011), Sidibé apparaît comme le seul homme ayant une connaissance « intime » des arcanes du pouvoir depuis vingt ans : directeur de cabinet du président de la République, secrétaire général de la présidence de la République, ministre, premier ministre ; le tout sous Konaré comme sous ATT. On ne peut pas rêver mieux en matière de « connaissance » des dossiers.

Sauf que Sidibé est, pour l’essentiel, un homme de l’ombre et n’a jamais affronté aucun scrutin électoral. Il s’agit donc de savoir si le Mali, aujourd’hui - et surtout demain -, a besoin d’un manager raisonnable qui a la confiance des hommes qui ont été au pouvoir ou d’un homme de pouvoir suffisamment déraisonnable pour susciter l’enthousiasme des populations mais également l’adhésion de la classe politique et la motivation des acteurs économiques. La présidentielle 2012 sera une présidentielle ouverte, sans sortant et sans figure historique ; mais non sans une flopée de prétendants. C’est dire que tout est possible.

Jean-Pierre Bejot
La Dépêche Diplomatique

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