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Présidentielle sénégalaise 2012 : Cheikh Tidiane Gadio espère-t-il faire oublier qu’il a été « inventé » par Abdoulaye Wade ?

Publié le jeudi 16 juin 2011 à 18h16min

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Les patrons de la diplomatie sénégalaise aiment les présidentielles. Après Moustapha Niasse et Djibo Leïty Kâ, tous deux candidats en 2000, c’est au tour de Ibrahima Fall et de Cheikh Tidiane Gadio de postuler à la prochaine présidentielle de février 2012. En 2000, Niasse et Kâ étaient en rupture avec leur précédent « patron », Abdou Diouf, et se sont ralliés par la suite à Abdoulaye Wade obtenant, de ce fait, un poste de premier ministre pour l’un, un portefeuille gouvernemental et un titre de ministre d’Etat pour l’autre.

Je ne sais ce qui motive Gadio, ministre des Affaires étrangères d’avril 2000 à octobre 2009 (avec le titre de ministre d’Etat à compter de novembre 2002) qui n’était pas grand chose avant d’entrer au gouvernement et qui n’est rien non plus depuis qu’il en est parti. Quand, voici tout juste un an, Gadio avait créé son groupuscule politique (le Mouvement politique citoyen), l’éditorialiste du quotidien burkinabè privé Le Pays avait posé les bonnes questions : « L’aurait-il fait si d’aventure il n’avait pas été « décagnoté » par cet homme dont il a lui-même, plus que souvent, été et le chantre et le porte-parole de la vision politique, au Sénégal et hors de son pays ? […] On peut, à juste titre, se demander s’il est désormais un opposant sincère ou si, à contrario, il n’est rien d’autre qu’un aigri du système de Gorgui ? ».

C’est que, plus que d’autres personnalités sénégalaises, Gadio semble venu de nulle part et n’aller nulle part. C’est une « invention » du « Vieux » dont l’attention a sans doute été attirée par l’intérêt que Gadio portait, à l’instar de Wade, aux nouvelles technologies de l’information et de la communication ; sur le thème de la « Renaissance africaine » - autre concept fédérateur pour Wade - et par le biais de ces outils, Gadio a animé de nombreuses conférences, au Sénégal et aux Etats-Unis, dans la seconde moitié de la décennie 1990.

Toucouleur né le 16 septembre 1956 à Saint-Louis, Gadio a été formé en France (Paris VIII pour la licence, Paris VII pour la maîtrise et Paris IV pour le DEA en sociologie après un passage, en 1982, par le CFPJ pour y obtenir un certificat de formation professionnelle en journalisme, option presse télévisée), au Canada (il est étudiant à Montréal en 1986) et, enfin, aux Etats-Unis (où il obtient un doctorat en communication à l’université d’Etat d’Ohio en 1994).

De 1984 à 1988 puis de 1994 à 1996, il sera maître-assistant au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) de Dakar ; il va multiplier les collaborations dans la presse écrite et l’audiovisuel et assurer des consultations au sein du système des Nations unies. En 1998-1999, il sera directeur régional pour l’Afrique de l’Academic Studies Abroad (ASA), une structure américaine qui « œuvre, dit-il dans son CV, à la promotion de la compréhension au niveau international et au brassage culturel par l’éducation » (c’est moins évident quand on va sur le site d’ASA) ; en janvier 2000, quelques mois avant son entrée au gouvernement, il sera nommé coordinateur pour l’Afrique occidentale et francophone du World Links for Development Program de la Banque mondiale. Un CV dont il est difficile de vérifier l’exact bien fondé mais qui pose, malgré tout, plus d’interrogations qu’il ne fournit de réponses.

Wade a dû y trouver son compte puisque, à 44 ans, Gadio sera appelé, dès mars 2000, au gouvernement au portefeuille de ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur. Et qu’il conservera ce poste pendant plus de neuf ans établissant ainsi un record de longévité à la tête de la diplomatie sénégalaise et en tant que ministre de Wade. Ce qui n’est pas la moindre des performances, plus encore quand on gère une administration où les « élites » - en l’occurrence les ambassadeurs - aiment à jouer solo et sont, parfois, en proximité avec le chef de l’Etat.

Gadio, conscient des limites de son action face à Wade, se positionnera en homme lige plutôt qu’en seigneur. Dans J.A./L’Intelligent (3 juin 2002), il déclarera ainsi à Tidiane Dioh : « Le chef de l’Etat définit la politique étrangère du pays. Il est le premier chef de la diplomatie sénégalaise. Moi j’exécute la politique qu’il a définie avec l’aide de ses conseillers diplomatiques. Le président me consulte et, lorsqu’il n’est pas d’accord avec moi, il ne m’oppose jamais une fin de non-recevoir, mais me fait savoir qu’il n’est pas convaincu ».

Au mieux « missi dominici », au pire « petit télégraphiste », Gadio a surfé sur sa fonction officielle avec la discrétion d’une éminence grise toucouleur ; d’autant plus dans la retenue qu’il était, à l’issue de chacune de ses missions, au contact avec le « Vieux » et chacun sait que plus on est près du feu mieux on entend bouillir la marmite. Il sera d’autant plus au contact que « pro-américain », il s’inscrivait dans la vision géopolitique de Wade qui espérait beaucoup, au cours de son premier mandat, de Washington. Espérance déçue ; et la victoire de Barack Obama sonnera comme une défaite pour Gadio. Défaite d’autant plus avérée que, dans le même temps, à l’occasion du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) - Dakar 2008 - la montée en puissance de Karim Wade apparaissait irréversible. La cohabitation des deux hommes (dans la détestation l’un de l’autre) ne durera que peu de temps. A l’automne 2009, Gadio se retrouvera hors de la galaxie « wadiste ». Mais avec des moyens financiers non négligeables et un carnet d’adresses incomparable, sans commune mesure avec ses acquis d’avant la présidentielle 2000.

Pragmatique opportuniste, Gadio voudra alors se glisser dans le costume de « l’homme politique ». Pas facile, d’emblée, de tuer le « père » ; il entreprendra alors de tuer le fils. Autrement dit Karim. Espérant, à travers lui, pouvoir dénoncer le mode de production politique du « Vieux ». « Cette façon de faire de la politique est périmée. Historiquement, elle est dépassée […] Et la nouvelle vision qui vaille, c’est celle qui consiste à engager le débat-citoyen, où on montre aux Sénégalais que ce pays leur appartient et leur a toujours appartenu » (discours lors de la « marche citoyenne » à Tambacounda, avril 2011). Ayant « vu de la souffrance, de la pauvreté, mais […] une extrême dignité des populations qui se battent chaque jour pour survivre et vivre dans un minimum de décence et de dignité », Gadio va lancer le Mouvement politique citoyen « Luy Jot Jotna » (MPCL), dont la première convention nationale, à Thiès, les 10 et 11 juin 2011, va l’investir comme son candidat à la présidentielle 2012.

Son programme politique tient, pour l’instant, en une simple constatation : « Les Africains travaillent beaucoup alors qu’ils n’ont pas les dirigeants qu’il faut ». A 55 ans, son ambition est « de ne pas injurier l’avenir ». Il serait idiot s’il pensait, un seul instant, devenir le prochain président de la République ; il entend seulement capitaliser ses neuf années passées au gouvernement et ne pas quitter le terrain politique - qui n’est pas son terrain de jeu naturel - où ses « amis » - ceux de l’opposition à Wade et particulièrement les exclus du « wadisme » au cours des années passées - le ménagent d’autant plus qu’ils savent que Gadio est dépositaire de bien des secrets des « années Wade » (ce qui comprend les secrets sur Wade et, surtout, les secrets sur ceux qui ont servi Wade et se sont servi… de Wade et de leur position dans la République !).

A moins de six mois du lancement de la campagne pour la présidentielle 2012, il y a d’ores et déjà profusion de candidatures ; pour l’essentiel, on peut douter de la sincérité de l’engagement. Comme aurait dit ma mère qui ne croyait pas à l’éthique des hommes politiques : « S’ils se battent ainsi pour avoir la place, c’est que la place doit être bonne ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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