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Commerce des produits de grande consommation : Du sucre au coût amer

Publié le vendredi 10 juin 2011 à 04h12min

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Une véritable révolution dans le domaine. C’est comme cela que l’on pourrait qualifier la décision du gouvernement burkinabè de libéraliser, à partir du 9 mai et pour une durée de trois mois, les importations sucrières. Cette réforme devrait mettre un terme au monopole de fait que détient la Sodisucre depuis 2008 et permettre une plus grande fluctuation - à la baisse - du prix des précieux cristaux. Les importateurs rencontrés semblent convaincus que le premier bénéficiaire de ce geste sera le peuple burkinabè.

Face à la constante augmentation des prix - qui a vu le kilogramme de sucre passer de 400 FCFA à plus de 800 FCFA en quelques années -, afin de rendre la survie alimentaire des Burkinabè moins périlleuse et apaiser le houleux climat social secouant le Faso, le gouvernement de Luc Adolphe Tiao a dernièrement entrepris quelques salutaires réformes. Il a, après avoir consulté les acteurs économiques concernés (importateurs, grossistes et détaillants) ainsi que certaines organisations de défense des droits des consommateurs (syndicats, Ligue des consommateurs ou encore la Coalition de lutte contre la vie chère), décidé d’ouvrir l’importation du sucre à tous les opérateurs commerciaux intéressés.

Cette mesure, qui a pris effet le 9 mai 2011 et qui sera réévaluée dans trois mois, est saluée avec enthousiasme par tous ceux dont la vente en gros des denrées alimentaires est leur gagne-pain. Ils sont plus qu’impatients de mettre à mal le contrat d’exclusivité liant la Société nationale - Société sucrière de la Comoé (SN-SOSUCO), seule productrice nationale de sucre de canne fondée en 1968 et exploitant la canne à sucre depuis 1974, et la Société de distribution de sucre (Sodisucre), sa seule cliente, également unique importatrice sucrière au Burkina Faso.

Un système caduc

Créée sur demande de l’Etat en 2008 pour éviter la faillite de la SOSUCO - avec qui elle partage son Président du Conseil d’administration, la Sodisucre se comporte aujourd’hui, aux dires de plusieurs commerçants rencontrés, en satrape intransigeant, limitant ses partenaires commerciaux au strict minimum, ne vendant qu’à ceux financièrement capables de se payer de grandes quantités du produit et asphyxiant le marché en limitant son offre, plus basse que ce que réclame à grands cris le peuple burkinabè. « N’importe qui ne peut pas acheter à la Sodisucre, c’est un cercle restreint, il faut vraiment être très solide pour arriver à s’insérer », souffle à demi-mot Salam Ouédraogo, responsable et propriétaire d’une entreprise important aussi bien des denrées alimentaires que du matériel électronique ou de produits chimiques. Il confesse également qu’à l’époque où le sucre brésilien rentrait sans obstacle dans le pays, la concurrence était encouragée, ce qui avait une répercussion certaine sur les prix pratiqués dans le commerce : « …maintenant que c’est la Sodisucre qui se charge de tout, elle essaye de rentabiliser ses investissements. C’est impossible que les prix n’augmentent pas. Personne ne peut rien y faire, on n’a pas le choix, si le gouvernement interdit les importations, on doit respecter sa décision ».

Cet avis gouvernemental a été, à l’époque, promulgué pour sortir la tête de la SOSUCO hors de l’eau. En effet, bien qu’elle bénéficiait de certaines largesses de l’Etat en matière de taxation, l’entreprise connaissait des problèmes de trésorerie.

La société basée à Banfora, suite à la dure concurrence des sucres brésiliens et indiens moins chers que sa propre production, n’arrivait pas à écouler ses stocks. Aujourd’hui, c’est la situation inverse qui est de mise. Son niveau de production n’atteint pas un palier suffisant pour satisfaire la demande intérieure, obligeant la Sodisucre à compléter ce manque à gagner avec du sucre étranger. Cette année, selon nos informations, la production de la SOSUCO s’est par exemple élevée à 28 000 tonnes, alors que le marché en consomme annuellement près de 100 000. L’immense écart entre l’offre et la demande obligerait donc la Sodisucre à s’approvisionner à grands frais hors de nos frontières, ce qui fait grimper les coûts sur le marché interne. Dans l’espoir de limiter un tant soit peu l’envolée des prix, la Sodisucre recourt cependant à un simple système de péréquation : le sucre provenant du Brésil et stocké au Ghana ne s’échange pas à moins de 745 FCFA, tandis que celui manufacturé par sa partenaire burkinabè lui coûte 570.

Qu’à cela ne tienne, l’entreprise vendra donc les deux produits, après un rapide calcul, aux alentours de 660 FCFA. Ce système devra être appliqué tant que la SOSUCO ne produira pas plus. Le problème, c’est que, pour ce faire, elle a besoin de liquidité pour investir dans l’entreprise. La liquidité qui lui fera défaut tant qu’elle ne dégagera pas plus de bénéfices…Cette spirale négative s’apparente à un véritable nœud Gordien, d’autant plus que, d’après Jean-Marie Soubeiga, Directeur général de la Sodisucre, la nouvelle donne ne favorise pas le redressement de la structure : « quand la Sodisucre a été créée en 2008, la SOSUCO était au bord du gouffre. Elle a atteint l’équilibre en 2009 et a même dégagé un petit bénéfice en 2010. Si on rouvre à nouveau les importations, elle risque de plonger définitivement ». Comme il apparaît clairement ici, la direction du seul importateur du marché ne tient pas à être dorénavant mise en situation de concurrence, à devoir partager son « filon ».

Des importateurs enthousiastes

Du côté des importateurs rencontrés, on se réjouit grandement de la future libéralisation du marché. « Dès que j’ai lu la nouvelle dans les journaux, je me suis empressé de commander 1000 tonnes de sucre brésilien ! Je veux être le premier à conquérir le marché ! Il m’attend à Lomé, j’ai juste besoin que le ministère du Commerce me délivre la DPI [ndlr : la Déclaration préalable d’importation] et je serai opérationnel ! », se réjouit Inoussa Bague, gérant de la Société internationale de commerce du Burkina (SICOM) Sarl.

D’autres, faute de moyens suffisants – pour que l’importation soit rentable, elle doit se chiffrer à plusieurs centaines de tonnes -, ne vont pas importer la précieuse denrée eux-mêmes mais préférent passer par un intermédiaire, autre que la Sodisucre, comme Kanis International par exemple. Ils sont en tous les cas intimement convaincus que la diversification de l’offre va être ressentie par la population, sous la forme d’une baisse des prix.

D’après Salam Ouédraogo, « si l’Etat autorise vraiment les importations de sucre, je vous assure que d’ici un mois, un mois et demi, on va sentir la différence au niveau des prix. Si on rentre dans les marchés, on va voir que les gens sont satisfaits ».

Du côté de la Sodisucre, l’enthousiasme est moindre ; et c’est un euphémisme. Jean-Marie Soubeiga déplore la situation, due, d’après lui, à un malencontreux problème de timing. Il est persuadé que les gens ne se seraient pas plaints de la sorte - ce qui a conduit le gouvernement à revoir ses dispositions en matière d’importation - si le prix élevé du sucre et les mouvements de grogne n’avaient pas débuté au même moment : « le sucre que nous vendons actuellement a été importé en décembre, au moment où les prix étaient très élevés. Si les troubles avaient eu lieu trois mois plus tard, le sucre n’aurait pas été une part du problème car il aurait été moins cher ». Le Directeur est d’ailleurs intimement convaincu que ce nouveau système va faire perdre de l’argent à l’Etat. Il accuse les importateurs d’être des fraudeurs massifs, de contourner les taxes de douane et la TVA, de limiter les coûts pour maximiser les bénéfices et d’essayer de détourner ses clients à leur avantage. Il soutient également que certains « gros malins » vont pratiquer l’importation sauvage, attendre que le marché soit très bas pour acheter une énorme quantité du produit, inonder le Burkina Faso, faire dégringoler les prix qui ne manqueront pas de remonter en flèche dès que la matière première sera plus chère… Les importateurs se défendant d’être des escrocs, certifient qu’ils ne se font que très peu de bénéfices – moins de 3000 FCFA par tonne – à la revente et que les fluctuations du dollar les empêchent de planifier leurs budgets à long terme. Ils concèdent également que quelques améliorations devraient encore être faites pour faciliter la circulation des marchandises.

Outre les habituels problèmes de transport, le prix élevé du carburant pour les camions et le manque de liaisons ferroviaires, Salam Ouédraogo souhaiterait que l’Etat intervienne sur certaines problématiques : « le gouvernement pourrait baisser un peu les taxes de douanes. Tout le monde s’y retrouverait. Les importateurs pourraient importer plus de marchandises, ce qui, à terme, comblerait le manque à gagner de l’Etat ».

Tous les acteurs – la Sodisucre comme les autres – promettent, en définitive, faire leur possible pour améliorer le quotidien de leurs concitoyens. Jean-Marie Soubeiga souligne, par exemple, que c’est son entreprise qui a redoré l’image de la SOSUCO dans les contrées plus reculées : « les gens croyaient que le sucre roux produit par la SOSUCO, en comparaison avec le sucre blanc d’importation, était sale . Nous leur avons expliqué que pour « laver » le sucre, les entreprises étrangères utilisaient des produits néfastes pour la santé, comme de la chaux. Nous avons, de cette manière, sauvé la production de la SOSUCO et amélioré notre image ». Inoussa Bagué souhaite également que l’Etat laisse les importations ouvertes après les trois mois de test afin que le consommateur s’y retrouve : « l’Etat aime sa population et va l’aider à acheter moins cher. Je suis enchanté que l’Etat ait fait tous ces efforts ».

Pérenniser ce bouillant enthousiasme sera le prochain défi de la société civile, des acteurs économiques et de l’Etat.

Le Burkina Faso gagnerait à ce que les importations sucrières évoluent véritablement vers une configuration moins « féodale », que l’on supprime les statuts de « seigneur du sucre » et de « vassal du commerce » en vigueur pour placer tous les opérateurs sur un pied d’égalité, mettre fin aux privilèges. La cible principale de cette action, la seule qui mérite d’être favorisée et soutenue, c’est le consommateur, qui appelle de ses vœux un kilo de sucre - l’espoir fait vivre - à moins de 500 FCFA…

Jérémie MERCIER

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Les problèmes rencontrés par les principaux producteurs sucriers mondiaux

- Brésil : le pays a connu un important retard au niveau de sa production à cause des mauvaises conditions climatiques. L’utilisation exponentielle des terres cultivables pour la production du bioéthanol a également fait passer la production sucrière au second plan.

- Inde : la sécheresse l’a fait passer de grand producteur à grand importateur. Le pays, suite à l’inflation du prix des denrées alimentaires, est soucieux de constituer des stocks de marchandises et envisage donc de limiter ses exportations.

- Australie : des pluies abondantes entraînant des inondations, suivies par le passage du cyclone « Yasi » en février 2011, ont détruit près de 10% de sa production nationale.

- Union européenne : les aides financières qu’elle accordait à ses producteurs agricoles ont été remises en cause par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La libéralisation a donc engendré la suppression des subventions, ce qui met la pression sur les agriculteurs qui n’ont plus le même engouement pour la culture du sucre et préfèrent du coup s’orienter désormais vers les céréales.

Jérémie MERCIER

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 10 juin 2011 à 12:53 En réponse à : Commerce des produits de grande consommation : Du sucre au coût amer

    et les travailleurs de la SN-SOSUCO

  • Le 10 juin 2011 à 13:01, par L’intègre En réponse à : Commerce des produits de grande consommation : Du sucre au coût amer

    Mon chers journaliste, vous devez savoir que nous devons arrêter d’être des simples consommateurs. nous devons obligatoirement nous defaire de cette mauvaise pratique. il nous faut créer la richesse et donc produire par nous même. je suis désolé mais cette mesure qu’a pris le gouvernement n’est autre que la programmation lente mais sure de la mort de notre très chers SOSUCO.
    cette mesure ne fera qu’enrichir une certaine catégorie de commerçants au détriment de la création de richesse et aussi de toute une région (cascades) voir du pays.
    l’Etat doit impérativement protéger nos sociétés et les amener progressivement à faire face à la concurrent (c’est ce que fait les occidentaux). notre pays doit donc accroître ses capacités de production en sucre et pourquoi pas penser à l’installation d’une autre usine sucrière. Voyons un peu ce qui se passe chez nos voisins. Le Mali ambitionne avec ses deux usines innonder la sous région en sucre pendant ce temps, nous tuons la notre pour enrichir nos commerçants. Quelle politique !

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