LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

La Côte d’Ivoire de la prévarication surfe sur la Côte d’Ivoire de la réconciliation. Les bons comptes… bancaires font les bons amis !

Publié le mercredi 8 juin 2011 à 04h56min

PARTAGER :                          

Début de semaine véritablement déprimant pour ceux qui se préoccupent, encore, des « affaires ivoiriennes ». Et ce ne sont pas les interviews de Charles Blé Goudé et de Mamadou Koulibaly, publiés dans Jeune Afrique (5 juin 2011), qui peuvent mettre du baume au cœur.

On peut y lire, sous la signature de Pascal Airault - qui réussit là un joli coup journalistique -, les fanfaronnades du premier, qui se voit toujours en Charles De Gaulle (mais ils n’ont que le prénom en commun) : « Si quelqu’un doit être récompensé et félicité pour ses activités en faveur de la paix, c’est Blé Goudé Charles », et le cynisme du second, toujours président de l’Assemblée nationale : « On rêvait d’une nouvelle Côte d’Ivoire et on déplaçait des montagnes. Dix ans plus tard, nous étions pleins de fric. On disait qu’on voulait ouvrir le marché ivoirien au monde entier mais, dans les faits, on a fait des deals avec les plus grosses entreprises françaises ». L’un et l’autre disent vouloir jouer une nouvelle partition politique en Côte d’Ivoire après avoir fait dansé tout le pays et la sous-région, pendant plus de dix ans, sur l’air de « la danse macabre », et avoir « battu le tambour avec les tibias des morts ».

Et il en reste quelque chose. Hier, dans Le Monde (daté du mardi 7 juin 2011), Christophe Châtelot, envoyé spécial à Sassandra, ramenait tout le monde aux réalités d’aujourd’hui : son reportage dans l’Ouest-ivoirien était titré : « Côte d’Ivoire. L’impossible réconciliation ». Il plane au-dessus des cadavres l’ombre de Laurent Gbagbo, « l’homme qui, au lendemain de sa défaite électorale du 28 novembre 2010, préféra plonger son pays dans le chaos plutôt que de rejoindre la tête haute, le club restreint des chefs d’Etat africains qui ont accepté de quitter démocratiquement leur poste » ; et la présence de Charles Konan Banny, « politicien madré presque septuagénaire, au regard globuleux, [qui] se dit déterminé mais […] n’est guère précis », n’est pas plus rassurante ; l’homme « confortablement assis dans son luxueux bureau jouxtant son immense villa abidjanaise » est celui qui préside, justement, la Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation en Côte d’Ivoire. C’est dire qu’avec Blé Goudé, Koulibaly et Konan Banny, dans leurs luxueux costumes, leurs impeccables chemises blanches et leurs cravates signées de grands couturiers, ceux qui, en brousse, ont vu les leurs se faire dépouiller, violer, découper en morceaux ou être abattus, ne sont pas au bout de leur peine…

Dans le contexte actuel de la Côte d’Ivoire (et de la région), les discours politiques tenus par les acteurs de la « crise ivoiro-ivoirienne » (quel que soit leur camp) sont insupportables pour les populations tant ils sont en décalage avec la réalité qui est celle des Ivoiriens. Les révolutions ont cela de bon : les anciens dégagent et il y a de nouvelles têtes qui laissent penser qu’il y aura un nouveau mode de production politique. Or, en Côte d’Ivoire, après plus d’une décennie de chaos absolu - chaos politique et diplomatique, K.O. économique et social - on n’a pas l’impression d’assister à un quelconque changement. Les hommes qui ont été les acteurs de premier plan de la « crise » sont toujours là ; et leurs hommes liges aussi. Y compris ceux qui ont mis le pays par terre et leur(s) compte(s) en banque(s) au zénith.

Il y a six mois, les Ivoiriens ont voté, massivement, pour que l’espoir change de camp. Contre Gbagbo et sa clique. Il aura fallu exactement dix-neuf semaines (et des centaines de morts innocents) pour que, à la suite de l’intervention de l’armée française, Gbagbo soit capturé. C’était le lundi 11 avril 2011 ; et huit nouvelles semaines viennent à nouveau de s’écouler sans que les Ivoiriens perçoivent un quelconque changement. Alassane Ouattara avait promis un gouvernement au sein duquel les valeurs exigées seraient « le sens élevé de l’intérêt général, la compétence, le mérite, la probité, la discipline, l’exemplarité ». A Abidjan, on semble douter que ces critères caractérisent l’équipe gouvernementale. Trop de compromis conduisent à trop de compromissions. Et au clientélisme. L’impression dominante est que l’équipe dirigeante est, au mieux, débordée par l’ampleur des problèmes à régler ; au pire, seulement soucieuse de s’installer dans les ors (ou ce qu’il en reste) de la République.

Les Ivoiriens voulaient la rupture avec les pratiques du passé, le retour à l’ordre républicain, la rigueur politique, la relance économique… Ils voulaient de l’enthousiasme et de l’engagement dans l’action. Ils voulaient des ministres « rantanplan » ; ils ont des ministres « raplapla ». Ils voulaient une mobilisation générale de toutes les forces vives de la nation, sous la conduite de la nouvelle équipe ; ils assistent au retour de tous les rats qui, au lendemain de la chute de Gbagbo, avaient quitté le navire avec des valises bourrées de billets ; ils reviennent, sans les valises, chanter le grand air de la « réconciliation » et donner des leçons de démocratie à ceux avec lesquels ils ont, finalement, gouverné tout au long des dernières années. « Sens élevé de l’intérêt général, compétence, mérite, probité, discipline, exemplarité », les Ivoiriens demandent à voir ; et, pour l’instant, ils n’ont pas vu grand-chose sauf une nouvelle équipe plus prompte à régler ses propres problèmes que les problèmes qui rongent le pays depuis trop longtemps.

Il n’y a, aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, que des urgences ; ceux qui pensent qu’il pouvait en être autrement se trompent. N’oublions pas, quand même, que Guillaume Soro est premier ministre depuis 2007 et que nombre de ses ministres étaient déjà aux affaires dans les gouvernements précédents. C’est dire qu’ils ne découvrent pas maintenant seulement l’ampleur des dégâts ni comment fonctionne une équipe gouvernementale.

Charles Koffi Diby, l’actuel ministre de l’Economie et des Finances, a été directeur général du Trésor et de la Comptabilité publique en 2001, ministre délégué chargé de l’Economie et des Finances de 2005 à 2007, ministre de l’Economie et des Finances depuis… 2007. On le disait alors le « meilleur confident » de Gbagbo en matière d’affaires financières. Il a géré les 100 milliards de CFA de dédommagements versés par Trafigura dans le cadre du dossier des déchets toxiques, a acquis une nouvelle résidence à la Riviera et ne manque pas d’être reçu (on dit même « fêté ») à la tour Bolloré lors de ses séjours à Paris. Il y a cinq ans, il déclarait déjà à Elise Colette (Jeune Afrique du 3 décembre 2006) : « Nous prenons les devants pour financer le processus de paix nous-mêmes. Nous travaillons dans l’optique de l’unification de la Côte d’Ivoire et de la tenue d’élections transparentes […] pour que la relance économique se fasse enfin ». Célébré le 12 février 2010, à Londres, comme étant le « meilleur ministre des Finances de la région Afrique » par le magazine britannique The Banker, Koffi Diby avait dédié ce prix « à la nation ivoirienne, au chef de l’Etat Laurent Gbagbo et à Guillaume Soro ». Pendant ce temps, la « relance économique » promise en 2006 attend toujours. Et les Ivoiriens s’impatientent ; y compris les patrons qui disent en avoir « ras-le-bol d’être la vache à lait de l’Etat » (Jeune Afrique du 5 juin 2011).

Le pire est cependant que ceux qui ont ruiné l’économie ivoirienne et ont pris la fuite à l’étranger lors de la capture de Gbagbo sont les premiers à « prôner la réconciliation et à souhaiter se mettre à la disposition des nouvelles autorités ». Il faudra bien qu’un jour quelqu’un rende des comptes aux Ivoiriens. La réconciliation des populations instrumentalisées trop longtemps par les « politiques », O.K. ; mais pas avec les fossoyeurs de la Côte d’Ivoire !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique