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Christine Lagarde, candidate à la direction générale du FMI. Pour un « capitalisme pragmatique » décomplexé.

Publié le jeudi 26 mai 2011 à 12h56min

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Alors que la France ne cesse d’affirmer, du haut des tribunes internationales, que les pays « émergents » ne sont pas représentés comme il convient dans les instances de la mondialisation, l’Elysée vient officiellement de présenter la candidature de Christine Lagarde à la succession de Dominique Strauss Kahn. Une femme pour faire oublier que la France vient de perdre son job au FMI à cause d’une… femme.

Une austère, quelque peu rigide (bien que pratiquant le yoga) mais qui sait nager et, plus encore, en équipe (elle a été vice-championne de France de natation synchronisée en 1971). Une « pro » du business qui a fait carrière comme avocate d’affaires « Made in USA » ; un job où avant d’être intronisé, il faut abandonner ses états d’âme. Depuis son entrée, inattendue, dans le gouvernement de Dominique de Villepin, le 2 juin 2005, elle ne cesse de faire la « une » des médias, en France comme à l’étranger, mais sans jamais s’adonner aux confessions « people » ; et on la dit capable d’exercer toutes les fonctions, en matière (de haute) politique comme en matière de business (mais là encore au top !).

Christine Lalouette est née le 1er janvier 1956. La famille est installée au Havre ; autrefois, au temps des paquebots (dont le mythique France), le port d’embarquement pour l’Amérique. Un signe. Son père, professeur de littérature… américaine à l’université de Rouen, a été récipiendaire de la prestigieuse bourse Fullbright ; mais il décédera prématurément, à 41 ans, laissant sa mère, un professeur de latin-grec, seule pour élever quatre enfants (dont trois garçons). Adeptes du catholicisme social, ils avaient été, l’un et l’autre, formatés par Emmanuel Mounier, le philosophe fondateur du « personnalisme » Elle a seize ans à la mort de son père ; elle étudie et, comme tout le monde (ou presque), s’adonne aux petits boulots. Bachelière en 1973, elle décrochera une bourse de l’American Field Service (elle séjournera un an à Washington) et le concours d’entrée à Sciences-Po Paris mais échouera par deux fois à l’ENA ; elle compensera avec un DESS en droit social à… Paris X-Nanterre.

Elle débute comme avocate-collaboratrice au bureau parisien du cabinet Baker & McKenzie en 1981, est admise au barreau de Paris en 1984, met au monde son premier fils Pierre Henry en 1986, rejoint Baker & McKenzie à Chicago, la Mecque des lawyers US, en 1987, met au monde son deuxième fils, Thomas, en 1988, est élue chief executive de Baker & McKenzie (8.000 personnes dont 3.131 avocats dans 64 bureaux répartis dans 35 pays) en octobre 1999 après avoir été la première (et seule) femme à siéger au comité exécutif en 1995. Forbes la classe alors au 76ème rang des femmes les plus puissantes du monde

Son entrée en politique, elle la doit à Jean-Pierre Raffarin (lui aussi un adepte du « personnalisme »), qui la repère, et à Thierry Breton, ministre des Finances, qui la recommande à Villepin pour le portefeuille de ministre déléguée au Commerce extérieur. Pour ce demi-maroquin, elle abandonne son job américain, un salaire US et les avantages financiers d’une super-puissance (mais elle était en fin de mandat - échéance en octobre 2003 - qu’elle avait fait ramener de cinq à trois ans ; elle avait été reconduite deux fois un an). Pas pour faire de la figuration. Mais « pour aider la France, pouvoir servir mon pays », dira-t-elle.

Cette pépite dégottée par Villepin, Sarkozy, une fois à l’Elysée, ne pouvait pas la rejeter : Pas bling-bling mais, au plan international, un vrai… diamant. Qui demandait à être taillé pour briller en politique. « Si elle m’écoute, si elle suit mes conseils, elle va exploser », dira-t-il, « sûr de lui et dominateur ». Commentaire (souvent rapporté) que l’intéressée balaye de la main : elle ne l’a pas attendu pour elle sûre d’elle-même, mais jamais dominatrice : « Je n’ai franchement pas grand-chose à me prouver en termes de confiance et de détermination […] Mon exercice du pouvoir, précise-t-elle au sujet de ses années McKenzie, consistait à rassembler les énergies, mobiliser les enthousiasmes pour avancer ensemble dans la même direction ».

En « réserve » pendant un mois à l’agriculture dans le gouvernement Fillon 1, en mai 2007, elle obtiendra économie, finances et emploi, en juin 2007, dans le gouvernement Fillon 2. Elle est aujourd’hui encore à Bercy ; et y bat un record de longévité alors qu’on la voyait aux Affaires étrangères, à la Commission européenne, à la tête d’AREVA, ambassadeur à Washington, Premier ministre…

Plus à l’aise à l’international que dans l’Hexagone - elle est la reine des déclarations foireuses, coupées des réalités sociales de la France, qui lui ont valu le surnom de « Christine Lagaffe » -, peu encline à la politique de proximité (elle n’a pas brillé lors des municipales à Paris en 2008 et sa distanciation vis-à-vis des députés est mal perçue), Lagarde a été sauvée par… la crise financière de 2008 qui lui a permis de sortir des sentiers battus pour se retrouver sur les grandes avenues des négociations internationales où son anglais (il n’y a que… DSK, parfait polyglotte, pour rivaliser) et sa maîtrise des dossiers font merveille : G7, G8, G20, réunions du FMI… Ce qui fera écrire à Charles Jaigu et Marie Visot (Le Figaro du jeudi 30 avril 2009) qu’elle est « devenue une sorte de ministre des Négociations internationales ». Elle n’est plus « le joker » ou « l’ambassadrice » de Sarkozy ou encore « Madame j’assume » ou « Madame la Marquise » (pour son perpétuel côté : « Tout va très bien »), elle est devenue Christine Lagarde (et, dans la foulée, l’épouse de Xavier Giocanti, chef d’entreprise marseillais).

Elle se revendique « techno ». C’est la plus « mondialisée » des personnalités politiques françaises ; elle passe souvent pour une Américaine dont elle a la mentalité et le comportement : « rigorisme, retenue, self-control » ; une « bosseuse » qui ne suscite « ni animosité… ni enthousiasme. Plutôt du respect » (Didier Pourquery - Le Monde Magazine du 20 juin 2010). Et si elle se retrouve à la tête du FMI, elle aura tout le loisir d’exprimer ses capacités dans un cadre… qui les appréciera, retrouvant à Washington l’ambiance de travail en équipe (« rassembler, mobiliser, avancer ensemble ») qu’elle appréciait à Chicago (qui est, aussi, la ville de Barack Obama). La chute de DSK est une formidable opportunité : le monde entier plutôt que la politique française (qui n’est sa tasse de thé… et le thé est chez elle une obsession).

Si DSK mettait de la chaleur humaine (parfois trop) et prônait un « égalitarisme mondial » illusoire (dont il n’était pas l’illustration), Lagarde est strictement libérale. Elle milite pour un « capitalisme pragmatique libéré de ses contraintes » qui valorise le « succès individuel ». Sur sa carte du monde, cinq pôles : Chine, Etats-Unis, Inde, Japon, Russie. Sa vision du « Sud » est ethnocentrique : ce qui est bon pour nous (« l’Occident ») sera bon pour vous si vous retroussez vos manches et vous mettez au boulot. Nous devons tous, explique-t-elle en substance, citoyens, salariés, consommateurs, actionnaires, entreprises…, être des « acteurs responsables de la mondialisation » ; pour cela, il faut rigueur et transparence dans la mise en œuvre des règles sur lesquelles repose le libre-échange ; et pour que la mondialisation soit durable il faut faciliter l’adaptation et la reconversion des populations actives. Elle appelle cela : « une mondialisation respectueuse » (Le Figaro du samedi 23-dimanche 24 décembre 2006).

Ce qu’elle dit des femmes (« Les femmes sont comme les sachets de thé, elles révèlent leur force quand on les plonge dans l’eau »), elle le pense des pays : c’est en les jetant dans le grand bain de la mondialisation qu’ils deviendront des Hongkong, des Singapour, des Corées du Sud... Tant pis pour ceux qui ne savent pas nager ; ou à qui on maintient la tête sous l’eau !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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