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Laurent Dona Fologo étant out, c’est Marcel Zadi Kessy qui obtient la présidence du Conseil économique et social ivoirien

Publié le mercredi 18 mai 2011 à 14h07min

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La « girouette » ivoirienne ne tourne plus au gré des vents. Le Kleenex de Ferkessédougou vient de se faire jeter ; définitivement ? Il faut dire que Laurent Dona Fologo, président du Conseil économique et social (CES) et, à ce titre, quatrième personnage de la République de Côte d’Ivoire, a beaucoup servi.

A 72 ans, l’âge de la retraite aurait enfin sonné. Il y a quelques mois encore, il se faisait le parangon de l’homme fidèle. Il l’aura été : à Félix Houphouët-Boigny ; à Henri Konan Bédié ; à Laurent Gbagbo ; il sera tout aussi fidèle à sa détestation de Alassane Dramane Ouattara qui, pourtant, l’avait fait roi le 14 avril 1991 en lui permettant d’accéder au secrétariat général du PDCI. C’est Gbagbo qui l’avait nommé président du Conseil économique et social en 2002.

Fologo n’est pas le genre à avoir des états d’âme ; et il sait trouver des motivations à ses retournements de veste. « C’est, me disait-il au sujet de Gbagbo, le 1er juillet 2003, au bar du Lutétia à Paris, qu’il est dépositaire de l’œuvre réalisée par Félix Houphouët Boigny et qu’il faut l’aider à sauvegarder cette oeuvre ». Il va s’y atteler jusqu’à la capture du couple présidentiel (cf. LDD Côte d’Ivoire 0295/Jeudi 20 janvier 2011) avant d’aller faire allégeance à ADO à l’occasion du week-end de Pâques (cf. LDD Côte d’Ivoire 0312/Mercredi 27 avril 2011). Fologo n’avait pas de doute sur son avenir politique ; cependant, faisant acte de soumission (à défaut de contrition), il sauvait ses millions et échappait à la « liste noire ».

Le job de président du CES était donc à pourvoir. C’est fait. Et c’est un titre qui tombe dans l’escarcelle de Marcel Zadi Kessy. Rien d’un jeune homme ; ni d’un homme neuf. Il a 75 ans (il est né en 1936 à Yacolidabouo, dans la sous-préfecture de Soubré, en pays bété, Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire, entre Daloa et San Pedro) et a été formaté par trois hommes : Houphouët-Boigny, Ouattara et… Martin Bouygues. Etonnant itinéraire pour cet homme qui a, tout d’abord, été à l’Ecole fédérale des travaux publics de Bamako (1955-1959) puis en « prépa » des grandes écoles à Paris, avant d’intégrer, en 1961, l’Ecole d’ingénieurs des travaux ruraux et des techniques sanitaires de Strasbourg dont il sortira, en 1965, avec un double diplôme d’ingénieur : travaux ruraux et techniques sanitaires d’une part ; équipement rural d’autre part.

De retour en Côte d’Ivoire, il sera nommé chef de circonscription du génie rural des départements du Centre-Ouest et de l’Ouest, directeur départemental de l’agriculture du Centre-Ouest, directeur de l’Opération intégrée de développement rural de Yamoussoukro. En 1971, il rejoindra la Satmaci comme directeur des travaux neufs au sein de la direction générale. C’est l’année suivante, le 1er janvier 1972, qu’il entrera à la Sodeci. Tout d’abord comme chef du service technico-commercial puis comme directeur commercial (1973), directeur général adjoint (1975), directeur général (1er janvier 1978) et PDG à compter du 20 septembre 1984.

La Sodeci avait été créée en 1960 pour assurer l’exploitation des installations d’eau potable d’Abidjan (dont le maire était alors Houphouët-Boigny). A compter de 1973, elle étendra ses activités à l’ensemble du pays. Et va devenir, rapidement, sous la férule de Zadi Kessy, un modèle de gestion privée d’un service public ; grâce aussi à son partenaire : la SAUR.

SAUR c’est le traitement et la distribution de l’eau. En 1984, la société a été rachetée par la famille Bouygues et le fondateur du groupe, Francis Bouygues, confiera le poste de PDG à un de ses fils : Martin. En octobre 1987, Martin Bouygues sera nommé vice-président du groupe puis, en octobre 1988, directeur général ; vice-PDG, il est alors intronisé numéro deux avant de devenir le « number one » quand son père se retirera fin 1989. C’est aussi l’année où tout bascule en Côte d’Ivoire ; la crise conduit le « Vieux » à appeler Ouattara à la rescousse. Celui-ci va mettre en place un ambitieux programme de privatisation qui ne sera pas qu’une simple cession d’actifs. En 1991, le groupe Bouygues, via la SAUR (une société à 100 % « familiale ») et la CEI obtiendra la concession (en partenariat avec EDF) de la production et de la distribution d’électricité, l’EECI étant maintenue en tant que société de patrimoine.

C’est Zadi Kessy, déjà président de la Sodeci, qui va obtenir la présidence de la CEI. « Un vrai manager et un homme de très grande qualité », me dira Martin Bouygues quand il me recevra le vendredi 26 juillet 1991 à Challenger, siège du groupe en région parisienne. « L’Afrique a besoin aujourd’hui d’avoir plus de managers et de cadres supérieurs de la qualité de Marcel Zadi Kessy pour pouvoir se développer. Il est certain qu’en la matière, il y a un manque. C’est un constat », ajoutera-t-il. Zadi Kessy deviendra ainsi le symbole des privatisations « à la Ouattara » ; un nouveau type de partenariat « actif » entre des intérêts privés, nationaux et étrangers, et des intérêts publics.

En 1993, Zadi Kessy sera porté à la présidence du Conseil national du patronat ivoirien (CNPI) ; il le restera jusqu’en 1998. Présenté comme « un des meilleurs managers du continent », il va être administrateur de SAUR, directeur-général adjoint de SAUR International et à ce titre administrateur de filiales du groupe, notamment en Afrique, il va rédiger un premier ouvrage intitulé « Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne » (Ceda Editions, Abidjan 1999) puis un second : « Développement de proximité et gestion des communautés villageoises » (éditions Eburnie, Abidjan 2004), deviendra le « Monsieur Afrique » de Bouygues, prendra la présidence de Finagestion, holding eau/électricité en Afrique de Bouygues, de Sodeci, de CIE... (il a été, aussi, le fondateur de l’Union africaine des producteurs et distributeurs d’eau). C’est un homme discret, religieux (j’ai le souvenir d’avoir vu dans sa maison, à Abidjan, une réplique de la grotte de Lourdes qui occupait tout un angle de son salon), peu enclin à l’ostentatoire (« Les gens voient d’abord les avantages du poste plutôt que leurs obligations ») et naturellement « pédago » (Sodeci s’est illustrée par son Centre des métiers de l’eau).

En Côte d’Ivoire, sous Houphouët, il n’y avait pas d’action économique possible sans position significative au sein du parti unique. Zadi Kessy est entré au comité directeur du PDCI-RDA le 29 septembre 1980 mais ne sera jamais un « politique ». Il ne gardera pas le meilleur souvenir de son job de directeur de campagne de Robert Gueï à l’occasion de la présidentielle 2000, appellera même au secours le 14 novembre 2002 : « On veut me tuer […] Vous ne devez pas permettre qu’on m’assassine dans l’ombre, pour rien, après avoir jeté sur moi l’opprobre » alors qu’on l’accusait, au sein du clan Gbagbo, d’être « complice de la rébellion » et de vouloir « plonger Abidjan dans le noir ».

Mais, au lendemain des événements du 18-19 septembre 2002, c’était en fait le groupe Bouygues qui était dans le collimateur du pouvoir, accusé de détenir le monopole de la distribution d’eau et d’électricité. Le groupe français étant ce qu’il est et Gbagbo l’étant plus encore, les deux parties vont trouver un terrain d’entente mutuellement profitable. Il est vrai que Bouygues et la Côte d’Ivoire ont une longue histoire commune. Yamoussoukro est devenue, dans les années 1980, la vitrine à l’international du savoir-faire africain du groupe : il y a réalisé les grandes écoles (ENSTP, INSET…) ; en avril 1981, Francis Bouygues recevra luxueusement, à Yamoussoukro, 150 journalistes et analystes financiers pour leur parler des résultats du groupe. C’est à cette occasion qu’il rencontrera le « Vieux » pour la première fois.

Trente ans plus tard, voilà Zadi Kessy porté à la tête du CES ivoirien. A 75 ans. La sagesse sans doute ; la jeunesse sûrement pas !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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