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Le Bénin du docteur Boni Yayi : risque fort de ne pas apprécier la potion que va devoir lui infliger son futur premier ministre

Publié le dimanche 8 mai 2011 à 23h38min

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Elu, contre toute attente, dès le premier tour de la présidentielle béninoise du 13 mars 2011 (avec 53 % des voix contre 36 % pour Adrien Houngbédji, candidat unique de « l’opposition »), le docteur Boni Yayi semble être en mesure d’avoir également une majorité sans partage à l’Assemblée nationale ; d’autant plus sans partage que les partis « alliés » au parti présidentiel vont s’empresser de « voler au secours de la victoire ». La présidentielle n’avait pas mobilisé les médias (l’actualité en Afrique du Nord et en Côte d’Ivoire étant bien plus intense) ; les législatives du 30 avril 2011 - dont les résultats définitifs sont attendus ce week-end - ne suscitent pas plus d’intérêt en Afrique de l’Ouest. Dès lors que Boni Yayi était parvenu à échapper à un second tour à l’occasion d’une présidentielle que tout le monde considérait comme devant être très disputée (tandis que du côté du pouvoir on se disait « très préoccupé » par la situation prévalant avant le vote), on voit mal comment la majorité parlementaire pourrait échapper au chef de l’Etat.

Pas de cohabitation « politique » donc. L’intérêt de cette consultation se trouve ailleurs : dans l’attente de la nomination d’un premier ministre, une innovation à laquelle s’est engagé Boni Yayi, la réitérant lors de sa prestation de serment. Et là, il est peu probable que l’on assiste à une cohabitation « sociale ».

La « bonne santé » démocratique du Bénin est virtuelle. Le pays est devenu un désert politique ; il n’est plus un seul parti qui soit représentatif de quoi que ce soit, il n’y a que des « nébuleuses » composées de groupes hétérogènes, crypto-tribalistes, familiaux, religieux, affairistes (pour ne pas dire « mafieux »)… La crédibilité des acteurs politiques béninois est proche du zéro absolu. C’est dire le côté « sable mouvant » de la scène politique béninoise. Où rien n’est impossible ; mais où, jamais, rien ne semble non plus possible. Surtout pas d’avoir un programme soutenu par un parti (et pas par des groupes de lobbying distributeurs de prébendes et de billets, ce qui autorise toutes les dérives) afin de mener une politique publique cohérente.

Du côté du palais de la Marina c’est le règne absolu des « griots » de service qui gravitent toute la journée (et une partie de la nuit) autour de Boni Yayi. Pour le reste, le Bénin est, plus que jamais, le royaume de l’économie informelle ; autrement dit celui des prévaricateurs. Qui trop souvent, ces dernières années, s’est confondu avec celui des prédicateurs. Beaucoup pensaient d’ailleurs que « l’affaire ICC Services » - expression absolue de la confusion des genres entre hommes d’église, hommes d’Etat et hommes d’affaires - sonnerait le glas du régime Boni Yayi. C’était oublier que la corruption sait être… corruptrice en toutes matières.

Et le Bénin n’est pas, dans le monde, la seule illustration de ce mode de production politique ! Reste à savoir si la nomination d’un premier ministre n’est pas la volonté d’instaurer la rigueur pour les uns afin de permettre aux autres de poursuivre dans la voie du laxisme. En prenant ses distances et en instituant un « disjoncteur », Boni Yayi veut-il se protéger (et protéger son « environnement » humain) ou, au contraire, veut-il se donner les moyens humains de combattre les dérives d’une gestion gouvernementale qui n’ont pas manqué pendant son premier mandat ?

La réponse ne devrait pas tarder avec la nomination d’un premier ministre et l’élection, à l’Assemblée nationale, d’un nouveau président. On annonce des « hommes à poigne ». Et, du côté du chef de l’Etat, un de ses proches m’affirme qu’il est « un peu plus optimiste maintenant parce que le « patron » sera moins dispersé ». La gestion politique pour le président de l’Assemblée nationale, la gestion économique et sociale pour le premier ministre, Boni Yayi devrait avoir du temps pour gérer la « nébuleuse » du palais de la Marina. Des nominations qui seront donc significatives ; plus significatives encore dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest. Au Nigeria, où les violences ne cessent de se multiplier, Goodluck Jonathan est désormais président de la République élu.

Au Niger, les militaires ont cédé la place à un civil issu de l’opposition mais qui fait consensus au sein d’une classe politique qui se partage le pouvoir. Au Burkina Faso, une page se tourne à la suite des émeutes et des mutineries qui ont endeuillé le pays pendant plusieurs mois et fragilisé le pouvoir de Blaise Compaoré tandis que le premier ministre, Tertius Zongo, se retrouvait par terre et piétiné. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara est parvenu à s’installer au pouvoir malgré l’entêtement de Laurent Gbagbo. En Guinée, les militaires ont permis à Alpha Condé de remporter la présidentielle 2010 sans que l’on sache jusqu’où ce dernier a envie d’aller ; ni comment il entend y aller.

Bref (et très incomplet) tour d’horizon ouest-africain qui permet de voir que la situation de la sous-région au printemps 2011 n’a rien de comparable avec ce qu’elle était jusqu’à ces dernières années. Plus que jamais le pouvoir y est volatile et les « coups de sang » sociaux peuvent y être violents et dévastateurs (l’Afrique du Nord en a fait l’expérience de Tunis à Tripoli en passant par Le Caire).
La présidentielle 2011 n’a pas changé la donne politique, économique et sociale au Bénin. Et le diagnostic formulé par Abdoulaye Bio Tchané lors de la campagne est d’actualité : « Nous sommes dans une situation politique très difficile aussi bien dans le dialogue entre le parlement et l’exécutif, qu’entre le parlement et la Cour constitutionnelle, dans le dialogue entre la société civile et l’exécutif […] On a des difficultés importantes en matière de gouvernance ; la presse s’estime relativement bâillonnée.

Au plan économique et financier, la situation n’est pas reluisante, loin s’en faut. Le pays traverse, depuis deux ans, une situation préoccupante qui s’est aggravée l’année dernière, en 2010, où l’exécution du budget a été partielle pour ne pas dire qu’elle a été arrêtée » (L’Indépendant - 10 janvier 2011). Diagnostic d’autant plus crédible que Bio Tchané venait alors de démissionner de la présidence de la BOAD, autant dire qu’il savait mieux que quiconque quelle était la réalité du Bénin !

Faut-il pour autant laisser le Bénin aux « technocrates » plutôt qu’aux « politiques » ? Les électeurs avaient répondu « oui » quand ils ont été chercher Nicéphore Soglo puis Boni Yayi. Ce dernier peut penser que, devenu « politique » (il a fondé les Forces cauris pour un Bénin émergent - FCBE - au lendemain de sa victoire à la présidentielle 2006), il doit confier la primature à un « technocrate ». Et le nom de Pascal Irénée Koupaki, incontournable ministre d’Etat du premier mandat de Boni Yayi, circule dans les arcanes du pouvoir, les chancelleries, les salles de rédaction… Koupaki, qui vient de la BCEAO (il est aussi très proche de Ouattara : il a été son directeur adjoint de cabinet quand ADO était premier ministre en Côte d’Ivoire) et dont les qualités « technocratiques » sont indéniables, pourrait bien être, à la primature, victime du « syndrome Zongo » : aller trop vite, trop loin sans prendre en compte les pesanteurs culturelles du pays. Son mot d’ordre c’est : RAMER. Autrement dit : « Réformer les mentalités à tous les niveaux ; Assainir les finances publiques ; Moderniser l’économie, la réglementation économique et les infrastructures ; Etre efficace au niveau de l’administration publique, de la gouvernance et de la gestion des affaires publiques ; Restructurer l’appareil de production » (Symposium international sur le cinquantenaire des indépendances africaines - Cotonou, le mardi 16 novembre 2010). Ramer, O.K. ! Mais encore faut-il trouver des rameurs motivés et endurants et un bateau qui tienne l’eau. Et qu’il y ait un vrai capitaine à la barre.

Jean-Pierre Béjot, éditeur-conseil

La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 9 mai 2011 à 17:06, par P.THOMAS En réponse à : Le Bénin du docteur Boni Yayi : risque fort de ne pas apprécier la potion que va devoir lui infliger son futur premier ministre

    Merci M.Béjot, pour ce nouvel article synthétique et pertinent. Il y a juste une chose que je ne comprends pas : pourquoi dites-vous que M.Houngbédji était le candidat unique de ’l’opposition’ alors qu’il y en avait 12 ou 13 me semble-t-il. Est-ce à dire que vous considérez tous les autres candidats comme des sous-marins de Boni Yayi pour assurer la victoire au 2ème tour (ce qui fut inutile, contre toute attente, comme vous le dites très justement et un peu contradictoirement...) ?
    J’aimerais bien avoir le fond de votre pensée sur ce point.
    Bien cordialement.
    P.THOMAS

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