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La mort de Ibrahim Coulibaly, alias « IB », « sergent déserteur » qui se voulait « général ». Entre meurtre rituel et règlement de compte.

Publié le vendredi 29 avril 2011 à 14h56min

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Les « révolutions » sont ainsi. Elles dévorent les « révolutionnaires ». Ces petits meurtres entre amis permettent de faire de ménage, de faire taire les ambitions trop ouvertement affichées et sont le sacrifice auxquels les hommes d’Etat pensent devoir se soumettre avant d’accrocher leur portrait dans la galerie de l’Histoire. On ne fait pas ce job sans avoir à se salir les mains. Le « pardon et la réconciliation », c’est pour les ennemis. Quant aux amis, sachant ce qu’ils savent du temps d’avant, il vaut mieux parfois leur éviter (brutalement) de leur donner l’occasion « d’injurier l’avenir ».

Ibrahim Coulibaly, alias « IB », était condamné à périr. Trop bling-bling pour une République de Côte d’Ivoire qui entend, aussi rapidement que possible, faire oublier, tout à la fois, les conditions de sa mort et de sa résurrection. Et parmi les apôtres mués en disciples chargés de porter la bonne parole républicaine, manifestement, « IB » n’était pas encore Judas mais avait vocation à le devenir rapidement.

Hier, mercredi 27 avril 2011, aux alentours de 20 heures, non loin de l’usine Unicafé du PK 18 à Abobo Nord, on a déchiré (bien plus que tourné) une page de l’histoire de la « Côte d’Ivoire nouvelle ». « IB » serait mort les armes à la main. Reste à récupérer ses « archives » pour achever de faire, à fond, le ménage de printemps ; cela ne posera pas de problèmes : « IB » était bien plus « bidasse » que « révolutionnaire » et son souci de notoriété a toujours été en contradiction avec l’action clandestine.

Il faudra, un jour, prendre le temps d’écrire l’histoire de « IB » car c’est, aussi, l’histoire des événements qui, du 24 décembre 1999 au 11 mars 2011, ont formaté la Côte d’Ivoire : la chute de Henri Konan Bédié, l’accession au pouvoir de Robert Gueï, sa défaite face à Laurent Gbagbo, enfin la victoire électorale d’Alassane Ouattara et la capture de Gbagbo.

Si, tout au long de cette période, il est un nom qui est le plus grand dénominateur commun à tous ces événements, c’est bien celui de « IB ». Je peux me tromper ; mais il me semble que sa plus ancienne interview a été publiée dans Jeune Afrique/L’Intelligent du 26 septembre 2000. Plus de dix ans ! C’est Francis Kpatindé qui lui téléphone à Ottawa, où « IB » avait été nommé attaché militaire auprès de l’ambassade de Côte d’Ivoire au Canada alors qu’une attaque venait d’être dirigée comme le domicile de Gueï dans la nuit du 17 au 18 septembre 2000 ; attaque attribuée à ses « amis ».

Portrait de « IB » par Kpatindé : « Ancien responsable de la protection des enfants du Premier ministre Alassane Ouattara (1990-1993), le sergent-chef Ibrahim Coulibaly - « IB », comme on le surnomme à Abidjan - a joué un rôle de premier plan dans les événements qui ont conduit à la chute d’Henri Konan Bédié, le 24 décembre 1999. C’est en effet ce jeune homme à la stature impressionnante qui a conduit, au nom de ses camarades mutins, les négociations (avortées) avec Bédié. Une fois le coup d’Etat consommé, « IB » s’est mué en remuant patron de la garde rapprochée du général Gueï, tout en animant la Cosa Nostra, une des nombreuses milices installées dans l’enceinte du palais présidentielle ».
Une légende est née. Et « IB » va l’entretenir à grands coups de déclarations et d’affirmations jamais vérifiables.

On voit « IB » derrière tous les coups fourrés que va connaître la Côte d’Ivoire dès lors qu’il aura « démissionné » de son poste (le 30 octobre 2003, il signera un papier dans Le Monde : « sergent déserteur de l’armée ivoirienne, chef militaire de la rébellion contre le régime du président Gbagbo »).

Installé au Burkina Faso (« Blaise Compaoré m‘a offert l’asile »), il revendiquera la responsabilité du « complot de la Mercedes noire » les 7-8 janvier 2001 (« On devait renverser le pouvoir »), sera considéré comme l’initiateur du coup de force militaire du 18-19 septembre 2002 (« Avec le recul, je remercie Dieu que les choses se soient passées ainsi. Imaginez que cela ait marché. Vous me voyez en train de gérer le pays, avec ces gens qui avaient déjà l’intention de me trahir ? ») puis comme recruteur de mercenaires pour assassiner Gbagbo.

Arrêté en 2004 par la justice française, il va être emprisonné vingt et un jours à Fresnes. Libéré, il s’installe au Bénin (où il revendique pour « tuteur » Mathieu Kérékou) tandis que sa famille est installée en Belgique. Depuis Cotonou, il va régler ses comptes avec Guillaume Soro, devenu la figure emblématique de la « rébellion » (« Il m’a poignardé dans le dos, pour occuper la place qu’il occupe aujourd’hui […] Soro est là pour dissimuler certaines choses que les Ivoiriens ne doivent pas savoir. Pourquoi IB a-t-il été exclu de la rébellion ? Pourquoi des gens ont-ils été tués à Bouaké ? Qui a dirigé les pillages de banques ? Et où a disparu cet argent ? Comment a-t-il été utilisé ? »).

S’étant promu major, il va se donner une image d’homme de l’ombre incontournable mais dont les meilleurs ennemis sont ses amis : « les hommes politiques du RDR », « mes anciens tuteurs », « mes propres hommes ». L’homme intègre, c’est lui ; tous les autres « étaient seulement des gens qui voulaient manger, être comme ceux qui sont au pouvoir : avoir des grosses voitures, des postes ministériels, de l’argent ». Et quand l’avion de Soro, alors premier ministre, sera attaqué à Bouaké, le 28 juin 2007, on y verra tout naturellement sa signature (« Soro sait très bien qui est l’auteur de cet attentat. Il sait que les moyens qui ont été déployés ne sont pas à la portée d’un simple individu. Ce sont des moyens d’Etat »)*.

Son exil béninois s’achèvera fin 2008 par décision du ministre de l’Intérieur à Cotonou. Soro, premier ministre, lui a fait part de la préparation d’une tentative de coup d’Etat à Abidjan, « dans la nuit du jeudi 27 au vendredi 28 décembre 2007 », attribuée, cette fois encore, à « IB » qui, pour l’occasion, aurait fait venir de Bamako son marabout malien : Mamadou Sylla. Entre-temps, la rumeur circulera que « IB » a été payé par Gbagbo pour déstabiliser Soro à la tête des Forces nouvelles. Pour « IB » le temps se gâte. D’autant plus qu’au printemps 2008, il sera condamné par contumace, à Paris, à quatre ans de prison ferme dans l’affaire de tentative d’assassinat de Gbagbo (qui a retiré sa plainte). « IB », en fuite, fait l’objet de mandats d’arrêt internationaux mais affirme être candidat à la prochaine présidentielle.

La crise post-présidentielle 2010-2011 lui a permis de resurgir. Plus que jamais mégalo, au lendemain du « lundi 11 avril 2011 », le « général IB » publiera un communiqué qui signera son arrêt de mort : « J’ai […], à partir d’Abobo, organisé la résistance face à la confiscation du pouvoir par le président déchu », saluant le « commando invisible » qui l’a « aidé à vaincre la dictature ». C’est clair et net : c’est lui qui a gagné la « bataille d’Abidjan » et Ouattara lui doit d’être au pouvoir !

Il convenait d’enrayer les métastases que développait ce cancer-là ; devenu chef de guerre incontrôlable dans la capitale, « IB » incarnait ce que la « Côte d’Ivoire nouvelle » réfutait : l’aventurisme personnel face à la République. Soro a débarrassé ADO de son encombrant ex-partenaire. Pour « ne pas injurier l’avenir » ; son avenir ! Reste à savoir quel est le prix de ce service. Chacun sait qu’en politique, il faut donner des coups, en recevoir et ne pas craindre de se salir les mains. ADO n’est pas encore entré dans ce schéma. Mais deux semaines après sa victoire « militaire » sur Gbagbo, la règle du jeu vient de lui être rappelée.

* Les citations de ce paragraphe sont tirées de l’entretien de « IB » avec Venance Konan, « IB. Ma vraie histoire », publié dans Afrique Magazine daté de décembre 2007.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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