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CRISE LIBYENNE : L’exil du "Guide" comme seule solution

Publié le jeudi 28 avril 2011 à 02h05min

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Après avoir joué avec maladresse et sans succès la partition patriotique, le dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, tente en dernier ressort de tirer sur la fibre panafricaniste. C’est ainsi qu’il a, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, demandé la convocation d’un sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) sur la crise libyenne. Si la démarche du régime libyen n’a rien d’inquiétant dans sa forme qui est du reste légitime, le fond de son intention a quand même de quoi laisser perplexe. Le "Guide", que l’on sait désormais guidé par ses enfants et ses plus proches collaborateurs, entend en effet appeler les autres pays africains à mobiliser leurs capacités pour les aider à faire face, selon eux, "aux forces extérieures qui nous agressent".

Ce que Kadhafi et les siens prennent pour une agression c’est l’opération de la coalition "Aube de l’odyssée", qui a un caractère militaire. Et l’on devine aisément que les Kadhafi comptent sur l’UA pour obtenir un soutien militaire des pays membres de l’Union. Kadhafi avait, certes, obtenu de certains de ses pairs du continent noir, et ce au nom de l’anti-impérialisme, des condamnations de l’intervention militaire occidentale. Mais l’idée d’une rencontre à la tête de l’organisation panafricaine sur la Libye aurait pu susciter plus d’enthousiasme et d’espoir si elle avait pour but de négocier un cessez-le-feu devant permettre de sereines discussions.

Les chances de voir un tel sommet se tenir sont donc très minces au regard de l’objectif visé par les demandeurs, à savoir le maintien de Kadhafi au pouvoir par une riposte militaire africaine, ainsi que du contexte actuel du conflit libyen. La personne du leader de la Jamahiriya arabe libyenne pose énormément problème car vomie à la fois par les insurgés, les Occidentaux et une bonne partie des Libyens victimes ou affectés par les bombardements à l’arme lourde ordonnés par le "Guide". Kadhafi ne jouit donc plus, ni d’une légitimité nationale, ni d’une reconnaissance internationale pour prétendre continuer à diriger son pays.

Son autorité est désormais bafouée, et sa position est d’autant moins enviable que le rapport de force semble tourner en faveur du Conseil national de transition (CNT), plus que jamais mieux organisé, mieux armé et mieux soutenu. Et le récent bombardement du bureau du président libyen est sans conteste un coup dur à lui porté, et qui sonne comme un avertissement visant à lui signifier qu’il est à portée de main de ses adversaires.

Se retrouvant ainsi sur une pente raide, le père fondateur de l’UA a peu de chances de voir les autres têtes couronnées du continent lever le petit doigt pour tenter de sauver un compagnon dont le destin semble plus que jamais scellé et les jours comptés. Même en admettant que le Conseil de paix et de sécurité de l’organisation continentale puisse accéder à la requête de Tripoli, l’on voit mal un pays africain accepter officiellement de lui apporter un appui militaire. Le premier à oser se mettrait lui-même dans une situation peu confortable en défiant ainsi la coalition qui, faut-il le rappeler, agit sous un mandat onusien.

Des représailles sous forme de sanctions, d’embargo et autres ruptures d’accords d’aides et de coopération pourront être la rançon d’une telle audace, et ce risque ne vaut vraiment pas la peine d’être couru. Le "roi des rois d’Afrique" a sans doute beaucoup fait pour l’Union et pour son pays. Et même si l’on concédait à ses inconditionnels admirateurs qu’il a peut-être beaucoup donné à l’Afrique et à la Libye, il n’en demeure pas moins qu’il a aussi privé les Libyens de l’essentiel, à savoir la liberté, socle de tout épanouissement conscient et durable. Tout observateur avisé des actions du dirigeant libyen nuancerait du reste le rapport entre ses apports au continent et à son pays et les intentions qui les ont guidés.

Car, en plus des actions en faveur des peuples, celui-ci a pris le soin d’acheter la conscience de ses homologues dans le but de les empêcher d’émettre une pensée contraire à la sienne. Nonobstant la peur qu’ils peuvent éprouver à l’idée de subir le même sort que leur bienfaiteur, les autres dirigeants africains rient sans doute sous cape dans les recoins secrets de leurs palais. La chute du Guide leur ôterait une épine du pied car ils auront été débarrassés de quelqu’un dont ils se sentaient obligés parce que lui étant redevables pour avoir profité de ses largesses. De plus, il est indécent, par ces temps qui courent, de soutenir un dirigeant qui bombarde son propre peuple, refusant de partir après 42 ans d’un règne sans partage. L’organisation panafricaine devra, pour commencer, reconnaître que seul le départ du "Guide" pourra éviter à l’Afrique la coupe de la honte que lui a fait boire jusqu’à la lie Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire.

Ce dernier a également usé de la ruse en demandant une période de trêve ou de dialogue juste pour gagner du temps, se réarmer et se réorganiser. En marchant sur les pas de ce tristement célèbre boulanger politique ivoirien, le père de la révolution libyenne court le risque de subir le même sort que lui. Au cas où elle se tenait, cette rencontre africaine de haut niveau devrait être déterminante en évitant les tergiversations. Elle doit se fixer comme objectif le retrait immédiat, volontaire ou forcé du "Guide".

"Le Pays"

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Vos commentaires

  • Le 3 mai 2011 à 04:12, par le fer En réponse à : CRISE LIBYENNE : L’exil du "Guide" comme seule solution

    Le nuage de morale martiale et droitdel’hommiste vaporisé par nos politiciens sur la guerre en Libye cache un certain nombre de réalités qu’il est utile de rappeler.

    1) La “révolte“ libyenne n’a rien à voir avec les soulèvements populaires non violents en Tunisie, Egypte et autres Etats arabes. Elle est une opposition politique de rivaux de Kadhafi, préparée, entretenue et armée par l’étranger pour des motifs stratégiques (comme les “révolutions de couleur“ dans le Moyen Orient), et très différente des manifestations de masses spontanées – et justifiées – contre les injustices et inégalités sociales de régimes quasi-féodaux.

    2) Le foyer de la “rébellion“ – l’est de la Libye, la Cyrénaïque – se recommande d’objectifs religieux et monarchiques (complètement absents des autres insurrections). Il a fourni plus de militants d’Al Qaeda et a envoyé plus d’hommes combattre l’invasion US en Irak que tous les autres pays arabes. De nombreux observateurs ont noté la présence d’agents et d’entraîneurs étrangers de la CIA et du M 16, ainsi que l’équipement et l’armement d’une opposition à Kadhafi organisée depuis longtemps. Exactement comme jadis en Bosnie et au Kosovo, l’intervention occidentale prend le parti d’islamistes actifs dirigés par des groupes considérés par ailleurs comme « terroristes ».

    3) La guerre à Kadhafi n’a rien d’une expédition humanitaire. Elle n’est qu’un épisode de plus dans la traque des chefs d’Etats de taille moyenne (Russie et Chine étant de trop gros morceaux) qui résistent au Nouvel Ordre Mondial des USA. Ils doivent être éliminés le uns après les autres. Ceaucescu, Milosevic, Noriega, Saddam Hussein l’ont déjà été. Ahmadinejad, Lukashenko, Chavez sont en point de mire. Ils n’avaient –et n’ont – rien de commun, et personne ne songe à les défendre indistinctement. On n’est pas forcément d’accord avec un attaqué parce qu’on dénonce celui qui l’attaque. La seule ressemblance entre ces chefs d’Etats est leur insubordination nationaliste, qui suffit à les désigner comme cibles.

    4) Kadhafi a sans doute des défauts, mais son pays avait l’Indice de développement humain (IDH) le plus élevé d’Afrique et un taux d’alphabétisation de la population supérieur à celui des Etats-Unis. L’espérance de vie y atteignait environ 78 ans, et les habitants ne mouraient pas de faim comme au Maroc, en Tunisie ou à Bahreïn. L’eau et l’électricité y étaient gratuites. L’essence ne coûtait presque rien. Des aides financières étaient accordées aux jeunes mariés pour acheter une maison ou une voiture. A l’ascension de Khadafi au pouvoir, les salaires avaient été multipliés par 2 voire 3. Depuis, les services sociaux et médicaux ont été sans cesse renforcés. Il a fait construire, sans aucun appel à l’aide financière internationale, un formidable réseau de pipelines enterrés en profondeur s’étendant sur 4.000 km permettant d’irriguer de vastes territoires à partir d’immenses aquifers souterrains.

    5) Un des motifs de l’intervention occidentale est évidemment le pétrole. Le géant anglais BP a par exemple plus de 15 milliards de contrats d’exploitation offshore à défendre. Lorsque Kadhafi a déclaré qu’il ne vendrait plus son pétrole qu’à la Russie, à la Chine et aux Indes, il a fourni à l’Occident une bonne raison de l’agresser. Le 25 janvier 2009, Il avait déjà annoncé que des plans étaient à l’étude pour une nationalisation des compagnies étrangères, qui auraient procuré à la Libye 5,4 milliards de dollars de revenus supplémentaires. Ce projet avait affolé les puissantes compagnies opérant dans le pays : entre autres, l’anglo-hollandaise Shell, la britannique BP, les américaines ExxonMobil, Hess Corp., Marathon Oil, Occidental Petroleum, ConocoPhillips, l’espagnole Repsol, l’allemande Wintershall, l’autrichienne OMV, la norvégienne Statoil, l’italienne ENI et la canadienne Petro Canada.

    6) La notion d’ingérence “humanitaire“ s’est perfectionnée : elle est devenue totalement préventive. Elle repose toujours sur des mensonges (les “épurations ethniques“ de Milosevic ou les “armes de destruction massive” de Saddam), mais elle se justifie désormais par une simple intention. Plus la peine de dire “le criminel a commis des crimes“ (même inventés) ; il suffit d’affirmer qu’il va les commettre. Kadhafi n’a encore décimé personne, mais “il va noyer Benghazi dans un bain de sang.“

    7) Comme Milosevic jadis, Kadhafi a été accusé dès le départ de “massacres“ de la population civile. Malgré la sophistication et la quantité de nos moyens modernes de reportage, aucune télévision n’a montré la moindre image de ces massacres. Pas plus que n’ont été vus les moindres témoignages d’“épurations ethniques“ serbes au moment de la guerre dans les Balkans ou d’“armes de destruction massive“ en Irak.

    8) Le soit-disant mandat de la Ligue arabe n’a été “voté“ que par 11 membres présents à la réunion (sur 22) dont deux – la Syrie et l’Algérie – se sont prononcés contre. Depuis, le secrétaire général de la Ligue, Amr Moussa, a mis un sérieux bémol à son accord. Les grands médias ont complètement ignoré la résolution vigoureusement négative de l’Union africaine, qui compte 53 pays membres, et qui s’est prononcée contre toute intervention, et même contre toute interdiction de vol.

    9) L’assentiment “arabe“ a été le résultat d’un marché : vous justifiez notre intervention ; en échange, on ferme les yeux sur vos écrasements de soulèvements populaires. Résultat : des répressions violentes en Arabie Saoudite, au Bahrein, en Jordanie, au Yemen, en Syrie, en Algérie, au Maroc, dont certaines comparables à celles reprochées à Kadhafi – et même sans doute pires. Ainsi qu’une reprise en main des justes révoltes populaires, soigneusement calculée, en Tunisie et en Egypte.

    10) Les ambassadeurs des pays de l’UE restés à Tripoli (Italie, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Grèce, Pays-Bas, Malte et Chypre – les autres étant partis) ont soutenu, le 8 mars, la proposition de Kadhafi de créer une commission de l’ONU indépendante qui enquêterait sur les accusations d’abus des droits de l’homme en Libye. La proposition est restée sans réponse. Une offre de médiation de Chavez a été repoussée. Depuis, tous les pays susnommés – auxquels il faut ajouter l’Allemagne, la Pologne, la Turquie, la Russie, la Chine et un certain nombre de pays d’Amérique latine et d’Afrique – ont manifesté leurs réticences à l’intervention. L’unanimité de décision de la “communauté internationale“ est une évidente contre-vérité.

    11) La résolution du Conseil de sécurité visait une interdiction de vol (No-Flight Zone) mais n’autorisait en aucune façon des bombardements de villes ou de troupes gouvernementales, qui sont des prises de position en faveur d’un côté dans une guerre civile à l’intérieur d’un Etat souverain, et des actes flagrants de guerre faisant des morts dans la population.

    12) Au 22 mars, 151 missiles de croisière Tomahawk avaient été tirés sur les installations militaires de Kadhafi, chacun valant 1,16 million de $. Le prix de l’établieement d’une zone denon-vol sera de 400 à 800 millions de $ et son maintien coûtera 100 millions par semaine. Des sommes à ajouter aux fortunes dépensées en Irak et en Afghanistan, dérobées aux contribuables.

    13) Quelles que soient les déclarations rassurantes, toute guerre fait des victimes civiles, soit en les tuant directement, soit en détruisant les infrastructures de leur pays, Les morts de “dommages collatéraux“ sont souvent plus nombreuses que celles causées par le “tyran“ que l’on combat. Les ruines de la Yougoslavie, de l’Afghanistan et de l’Irak sont là pour en témoigner. En Libye, Kadhafi n’a “massacré“ personne, mais les bombardements tuent tous les jours les civils qu’ils sont censés “protéger“.

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