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Beyon Luc Adolphe Tiao doit relever un formidable challenge : effacer 60 jours de « désordres » anti-républicains qui ont brouillé l’image « démocratique » du Burkina Faso (2/2)

Publié le vendredi 22 avril 2011 à 03h14min

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En poste à Paris (attaché de presse à l’ambassade du Burkina Faso), Beyon Luc Adolphe Tiao va y parfaire sa formation (cf. LDD Burkina Faso 0248/Mercredi 20 avril 2011). Son mémoire pour l’obtention du diplôme de 3ème cycle en études diplomatiques portera sur « les processus de transition démocratique en Afrique au Sud du Sahara, le cas du Burkina Faso ». Son sujet de thèse en science de l’information et de la communication s’intitule : « Le système médiatique au Burkina Faso : les obstacles au développement de la presse écrite ».

En août 1996, de retour à Ouaga, il est nommé conseiller chargé de mission au département de la communication du premier ministère. Depuis quelques mois, un nouveau premier ministre, le troisième de la IVème République (après Youssouf Ouédraogo et Roch Marc Christian Kaboré), a été nommé : il s’agit de Kadré Désiré Ouédraogo. Tiao va rester à la primature jusqu’en mai 2001 ; entre-temps, Paramanga Ernest Yonli aura pris la suite (le 7 novembre 2000) de Ouédraogo.

Pendant toute cette période, Tiao va participer à de multiples opérations visant à améliorer la communication publique du Faso. Il sera l’organisateur du séminaire « Efficacité de la communication dans l’administration publique » (février 1987), conseiller en communication du président du comité d’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN 98), concepteur et superviseur de la campagne d’information sur la réforme globale de l’administration (mai-août 1998), consultant auprès de la Commission nationale de la décentralisation pour un appui-conseil en matière de communication (septembre 1998), consultant principal auprès du Conseil supérieur de l’information lors du séminaire sur « Médias, démocratie et langues nationales », etc.

On ne s’étonne donc pas quand, le 30 mai 2001, il est nommé président du Conseil supérieur de la communication (qui s’appelait encore, alors, Conseil supérieur de l’information), une institution qui avait été créée au printemps 2000 pour réguler au quotidien l’information dans les médias et prendre les dispositions permettant une bonne régulation de l’information en période électorale (ce sera l’objet, notamment, d’un séminaire sur le thème « Médias et élections en Afrique » organisé en octobre 2005).

Tiao va rester à la présidence du CSC jusqu’au 2 mai 2008. Dans un contexte mouvant : le nombre de radios privées (commerciales, confessionnelles, associatives) a explosé, les paraboles ont permis de recevoir les chaînes TV étrangères, la presse a été confrontée aux effets de « l’affaire Zongo » tandis que sur internet chacun s’érige en « faiseur » d’information. Tiao va donc chercher à promouvoir un « journalisme vecteur et acteur de paix […] un journalisme au service de l’humanitaire et de la paix, par opposition au journalisme classique. Dans cette optique, précisait-il, il revient ainsi à la femme et à l’homme de média d’être regardant dans l’exercice quotidien de sa profession, sur les valeurs de prévention des crises sociales et de consolidation des acquis sociaux, démocratiques et culturels ». Il va devoir s’atteler, également, au chantier de la dépénalisation des délits de presse considérant qu’elle « contribuerait à donner un supplément de confiance et de liberté aux professionnels des médias en ouvrant davantage les vannes de la liberté de la presse ».

Dès février 2008, Tiao avait été approché pour être le nouvel ambassadeur à Paris. Le ministre des Affaires étrangères est alors Djibrill Yipénè Bassolé (l’actuel médiateur ONU-UA au Darfour). C’est le 2 mai 2008, après que Paris ait (enfin) donné son feu vert, que Tiao va être officiellement nommé. « J’accueille cette nomination avec beaucoup d’humilité, mais également avec fierté, déclarera-t-il. En effet, l’on ne peut rester insensible à une telle marque de confiance placée en vous, par le chef de l’Etat, celle d’avoir le privilège de représenter le Burkina Faso en France ». Une fois à Paris, il va lui falloir patienter encore avant de remettre ses lettres de créance : jusqu’à la mi-septembre 2008. Il était temps. Cela faisait plus d’un an qu’il n’y avait pas d’ambassadeur à Paris alors que l’arrivée de Blaise Compaoré en France puis l’organisation des Journées économiques du Burkina Faso en France se profilaient à l’horizon (le prédécesseur de Tiao, Filippe Savadogo, avait été nommé ministre de la Culture, de la Communication et du Tourisme dans le gouvernement de Tertius Zongo dont il était, par ailleurs, le porte-parole).

A Paris, malgré un emploi du temps chargé (au-delà de la gestion des affaires burkinabè, il faut prendre en compte, aussi, le suivi par la France des médiations du « patron », notamment dans le dossier ivoirien, et les multiples déplacements en province dans le cadre de la coopération décentralisée sans compter les agréments auprès d’autres capitales européennes), Tiao va s’atteler à la rédaction d’un ouvrage consacré aux médiations de Compaoré. L’occasion de mettre le doigt sur trois aspects du Burkina Faso contemporain : un Etat stable ; une démocratie apaisée ; une image internationale positive. Trois aspects majeurs qui donnaient une image claire et nette du « pays des hommes intègres » qui, par ailleurs, grâce au travail de Filippe Savadogo, avait « pris du poids » sur le plan culturel et touristique.

Tertius Zongo, « l’Américain », crédibilisait la démarche économique « mondialiste » de Ouaga ; certes, on pouvait juger qu’il se situait au-dessus (ou, plus justement, au-delà) des préoccupations quotidiennes des Burkinabè, mais c’est qu’il avait conscience qu’il fallait franchir une étape : de la complaisance au sous-développement au volontarisme de la croissance. Trop vite, trop loin ? Il est un moment où les peuples s’essoufflent à vouloir suivre le rythme que leur imposent les gouvernants même s’ils sont convaincus du bien fondé de l’objectif à atteindre. Ils s’essoufflent d’autant plus vite que les gouvernants ont de plus en plus de moyens pour aller plus vite plus loin tandis que les peuples voient bien les contraintes auxquelles les oblige la modernité mais les perçoivent, effectivement, comme des… contraintes (que, par ailleurs, ils sont rares à pouvoir satisfaire correctement).

Soixante jours ont suffit pour ravaler le Burkina Faso au niveau de l’Afrique commune : celle des Etats mous, de la gouvernance clientéliste, des armées en vadrouille, des morts en douce, des exactions, de la violence ordinaire… La faute au gouvernement dit Blaise ; la faute aux « corps habillés » dit la population qui trouve Blaise trop cool avec ses « bidasses ». Le gouvernement de Zongo, quant à lui, estime avoir fait ce qu’il devait faire avec les moyens qui sont les siens en matière de gestion des « militaires », tandis que les commerçants mettent en cause, en vrac, les « corps habillés », le gouvernement et la présidence du Faso. « Le pays des hommes intègres » a l’air, aujourd’hui, quelque peu désintégré médiatiquement et plus personne ne s’y retrouve.

Jugeant sans doute Zongo trop rigoureux et trop peu pédagogue, le PF a choisi de confier le gouvernement (dont on ne sait rien encore) à un « communicateur ». Est-ce l’amorce d’une prise de conscience qu’en la matière le Burkina Faso ne fait pas ce qu’il faut comme il le faut et quand il le faut ? Sauf, bien sûr, que s’il est une « institution » qui semble, en cette matière comme en d’autres, un cadre vide, c’est bien Kosyam où ceux qui ont vocation a être des interlocuteurs et des interfaces vaquent trop souvent à d’autres occupations que celles pour lesquelles ils sont payés et, du même coup, le PF se trouve isolé et, plus encore, « vulnérabilisé ».

Le principe de base est connu : les conseilleurs, y compris à Kosyam, ne sont pas les payeurs ! Cela se confirme une fois encore. Reste enfin à espérer que Tiao n’a pas été embauché pour être « l’attaché de presse » du PF mais bel et bien le chef du gouvernement.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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