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Le jour de la chute du leader… (3/3)

Publié le dimanche 17 avril 2011 à 11h44min

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La diagnostic est le même depuis plus de dix ans : en menant une politique « d’exclusion », Laurent Gbagbo allait dans le mur. Minoritaire socialement, il entendait ainsi être majoritaire politiquement. Mais la réalité ivoirienne - un pays qui s’est peuplé de l’extérieur - s’est imposée à tous et les prières de Simone Gbagbo, son ostracisme exacerbé à l’égard d’Alassane Ouattara présenté comme l’homme de l’étranger, l’homme de la France, etc., n’y ont rien changé (il convient de relire son livre « Paroles d’honneur » pour prendre conscience de la haine qu’elle était capable de véhiculer tout en se drapant dans un mysticisme sectaire).

Cette même réalité ivoirienne s’est imposée le dimanche 31 octobre 2010 : plus de 80 % d’électeurs au premier tour de la présidentielle et Alassane Ouattara devenu le challenger de Gbagbo pour un second tour qu’il a remporté, nettement, le dimanche 28 novembre 2010. Mais ce qui était vrai au début de la première décennie du XXIème siècle l’était tout autant au début de la deuxième décennie. L’obstacle à la paix en Côte d’Ivoire n’avait besoin que de quatre lettres pour qu’on écrive un seul mot : Gbagbo ! Et le peuple qui avait voté était bien incapable de renverser cet obstacle. L’opposition tout autant qui, il faut le dire, ne s’était pas préparée à cette victoire, habituée qu’elle était à « gérer » ses défaites.

On peut ne pas aimer le ton que l’on emploie aujourd’hui pour saluer le départ (forcé) de Gbagbo (« Gbagbo déchu, une victoire pour la France et l’ONU », titrait Le Figaro le mardi 12 avril 2011 tandis que dans Libération du 13 avril 2011, l’humoriste Willem représentait Ouattara se faisant décorer par Nicolas Sarkozy : « Vous avez désormais droit au titre d’homme de Sarkozy », ce qui ne manque pas d’avoir une connotation péjorative, tandis que ADO rétorque : « C’est un honneur immense, mais… »), mais il faut bien reconnaître que l’essentiel est fait : les Gbagbo sont « out ». Et, dans le même temps, on prend conscience de l’immense solitude dans laquelle se trouvait l’ex-chef de l’Etat et son épouse : parmi la centaine de personnes « terrées dans les sous-sols de la résidence de Cocody », écrivait ce matin, jeudi 14 avril 2011, Thomas Hofnung dans Libération, se trouvaient majoritairement le « clan familial élargi » et le petit-personnel : cuisiniers, agents d’entretien, moniteur de sports, etc.

Rien de glorieux dans tout cela ; rien de redoutable non plus. Et « l’assaut final », pour spectaculaire qu’il ait été, a été un assaut sans risques, Laurent et Simone ayant tout naturellement été lâchés par ceux qui, pendant une décennie, ont fait fortune dans leur sillage. La liste est longue et on se demande ce qu’il restera du FPI - le parti fondé par Gbagbo - quand le ménage aura été fait au sein de la classe dirigeante ivoirienne et que les « reclassements » auront été opérés (combien seront-ils à venir quémander un job assurant la nouvelle équipe au pouvoir qu’ils n’ont fait qu’obéir ?).

J’ai assisté à la chute de Mobutu et à la mort de Savimbi (deux leaders qui manipulaient beaucoup, vraiment beaucoup d’argent) ; je n’ai pas le souvenir d’avoir connu, par la suite, dans la détresse ceux qui avaient été des « barons » de leurs régimes. Où sont passés ceux qui, le 4 décembre 2010, avaient assistés, ravis, à la cérémonie d’investiture organisée par le couple Gbagbo quand ils pensaient que le « j’y suis, j’y reste » et le « on gagne ou on gagne » de Laurent était parole… d’évangile ?

Dans cette mauvaise affaire ivoirienne, il n’y a que des perdants. Les Ivoiriens d’abord ; les populations d’Afrique de l’Ouest ensuite (combien de ressortissants des pays voisins ont trouvé la mort ou la désolation ou la ruine au cours des dix dernières années). La Cédéao et l’Union africaine ont, dans ce contexte, fait la preuve, une fois encore, de leurs limites (pour ne pas dire de leur incapacité d’action ; et de concertation en ce qui concerne l’UA).

La flamboyante et orgueilleuse Côte d’Ivoire du temps de Félix Houphouët-Boigny est durablement humiliée et rabaissée au rang d’une quelconque « république bananière » : en douze ans, quelques coups d’Etat, une insurrection, dix années d’occupation étrangère, une économie pillée par ses dirigeants, un régime politique qui s’est illustré dans les pires dérives totalitaires et, pour finir, un coup de boutoir qui n’a été obtenu que grâce à l’intervention de forces étrangères. Pas de quoi être fier ; mais il y a, par contre, de quoi regretter d’avoir laissé faire, de n’avoir pas été assez rigoureux, pas assez intransigeant, pas assez entreprenant. Trop de sourires, trop de caresses, trop de cajoleries… sous le fallacieux prétexte de ne pas sombrer dans une « guerre civile » qui, pour avoir lieu, aurait demandé plus de conviction politique et/ou sociale, plus de détermination, une vision de long terme, du courage ; et pas cette lâcheté qui s’exprime dans les meurtres, les viols et les pillages.

Il y a tout juste vingt ans, jour pour jour (c’était le dimanche 14 avril 1991), j’étais à Abidjan. Un congrès extraordinaire de l’ex-parti unique, le PDCI, s’était achevé ce soir-là, tardivement. Aux alentours de 21 heures, nous avions eu connaissance de la composition du bureau politique : 400 places, 100 pour les « anciens » et 300 pour les « nouveaux ». En tête des 80 membres du comité central venaient Alassane Ouattara, Philippe Yacé, Henri Konan Bédié. A 23 heures, enfin, on connaissait le nom du nouveau secrétaire général : Laurent Dona Fologo. Ayant rapidement regagné ma chambre d’hôtel à l’Inter-Continental Ivoire (le palais des congrès, où se tenait l’assemblée du PDCI, est partie intégrante de ce qui était alors le plus vaste complexe hôtelier d’Afrique noire francophone), j’avais aussitôt noté dans mon carnet de reportage : « C’est un homme du Nord qui devient le patron du parti. Une façon de faire pièce à un Konan Bédié, Baoulé et héritier en titre du président Houphouët-Boigny, et à un Alassane Ouattara de partout et de nulle part, ce qui est son meilleur atout, étant entendu qu’il est, avant tout, une personnalité internationale… Rien d’inattendu au total. Si ce n’est la confirmation que le savoir-faire et l’expérience politique de Houphouët-Boigny sont irremplaçables. Il est, à tout instant, de jour comme de nuit, l’animateur et le catalyseur. Et c’est, malgré tout, inquiétant pour l’avenir de la Côte d’Ivoire, nul n’étant immortel ».

Houphouët est mort une quatrième fois, le lundi 11 avril 2011, lorsque le couple Gbagbo est apparu, dépenaillé, sur les écrans des télévisions du monde entier. Il était mort une deuxième fois le 25 décembre 1999 quand le premier coup d’Etat militaire de l’histoire de la Côte d’Ivoire avait renversé celui qui avait été, d’abord, son « dauphin constitutionnel », puis une fois encore, la troisième, quand Robert Gueï avait été la victime majeure des événements du 18-19 septembre 2002.

La victoire de Alassane Ouattara, qui a fait la démonstration à tous ses détracteurs qu’il avait la détermination pour aller, dans son pays, la Côte d’Ivoire, jusqu’au bout de son engagement politique initial, retentit aujourd’hui comme un retour aux fondamentaux « houphouëtistes ». Il y aura, dans quelques jours, le lundi 18 avril 2011, tout juste vingt et un ans (c’était le mercredi 18 avril 1990) que Ouattara avait été nommé, par Houphouët, président du comité interministériel de coordination du programme de stabilisation et de relance économique. Qui pouvait penser alors que le fonctionnaire international qu’il était (il avait quitté le FMI fin 1988 pour prendre en charge le gouvernorat de la BCEAO) deviendrait un jour président de la République de Côte d’Ivoire après deux décennies particulièrement dramatiques au cours desquelles s’illustreraient, dans des camps différents après avoir été dans le même camp, ses compagnons de l’époque : Bédié et Fologo ?

Jean-Pierre BEJOT

La Dépêche Diplomatique

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