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Le jour de la chute du leader… (2/3)

Publié le vendredi 15 avril 2011 à 16h37min

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Les « leçons de l’Histoire » sont un mythe. Jamais, les responsables politiques ne les prennent en compte ; il faut qu’ils aillent au bout des processus pour se convaincre que le choix qu’ils avaient fait était le mauvais. Il était probant, pourtant, que Henri Konan Bédié allait dans le mur en 1995, que Robert Gueï l’y suivrait en 1999-2000 et que la victoire de Laurent Gbagbo à la présidentielle 2000 serait « calamiteuse ». Il l’avait dit ; on aurait pu le croire.

Au coup d’Etat foireux (mais réussi) de 1999 allait donc succéder celui de 2002. Tout autant foireux et qui échouera ; enfin presque. En voulant empêcher la « guerre civile », la force « Licorne » n’a sans doute pas permis que l’abcès crève (un abcès que la France avait largement contribué à susciter en fermant les yeux sur les dérives des régimes institués par Bédié, Gueï et Gbagbo). L’analyse que l’on pouvait faire alors est toujours valable près de dix ans plus tard. J’en veux pour preuve l’entretien que j’avais eu, à Paris, avec Djibril Bassolé, alors ministre burkinabè de la Sécurité. Je reprends in extenso le texte publié alors (cf. LDD Burkina Faso 007/Mercredi 18 décembre 2002). Dans ce texte, il y a tous les éléments qui vont, par la suite, conduire à la succession de « crises ivoiro-ivoiriennes » à laquelle il vient d’être mis un terme.

« Le ministre de la Sécurité exprime pleinement son inquiétude. Pour aujourd’hui et pour demain ! « Les uns et les autres, me dit-il, ont été trop loin pour s’arrêter en chemin ». Il n’entend pas choisir entre Gbagbo et les « mutins ». Il constate que le chef de l’Etat veut se maintenir au pouvoir « sans pour autant tirer les leçons des événements qui viennent de se dérouler ». Or, souligne-t-il, la victoire de Gbagbo, dans ces conditions, serait « la victoire de l’ivoirité ». Autant dire que ce serait, pour Ouagadougou, Bamako et quelques autres capitales de la sous-région, inacceptable. « La Côte d’Ivoire est ce qu’elle est grâce au Burkina Faso. C’est un pays qui s’est formé par le peuplement extérieur et dont la mise en valeur des richesses a été assurée par les Burkinabè. Qui n’est pas burkinabè en Côte d’Ivoire dès lors que l’on visite les plantations de café et de cacao ? »

« Une victoire des « mutins » serait porteuse d’incertitudes. « Qu’en serait-il de la nécessaire période de transition permettant la réinstauration d’un régime réellement démocratique ? ». Soulignant que « maintenant tout est possible », Djibril Bassolé appelle de ses vœux un « homme nouveau avec des espoirs nouveaux, bannissant l’ivoirité, instaurant un régime de stabilisation du pays, de pacification dans la concorde nationale ». Or, souligne-t-il, la Côte d’Ivoire risque fort de sombrer dans le « ni guerre-ni paix », une « situation de méfiance » au cours de laquelle « aucun investissement et aucune action de développement ne pourront être entrepris ».

Ayant rappelé que l’intégration Côte d’Ivoire-Burkina Faso est essentielle à la sous-région, il souligne que c’est dans cette voie qu’il faut avancer. « Il faut arrêter le processus de désintégration de l’axe Abidjan-Ouagadougou. C’est cela qui est, fondamentalement, notre préoccupation. Ce n’est pas un problème de personne. Le débat qui doit être engagé, c’est celui qui porte sur l’intégration entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Et il se situe bien au-delà du dossier Alassane Ouattara dont Gbagbo a fait une pomme de discorde ».

« Djibril Bassolé m’affirme que la migration des Burkinabè de Côte d’Ivoire vers le Burkina Faso est très limitée. « L’intégration des Burkinabè au sein de la communauté ivoirienne et telle que bien peu sont dans un schéma de retour ». C’est un point positif même si Ouagadougou a d’ores et déjà réfléchi à ce que devrait être leur réintégration. Il m’affirme également que l’opposition burkinabè, « lucidement, n’exploite pas la question ivoirienne pour mettre en cause la politique gouvernementale. Il y a une quasi unanimité en la matière. La crise ivoirienne consolide la cohésion nationale. Mais si le président Compaoré, qui s’efforce de temporiser, se décidait à être plus agressif, il serait applaudi par les Burkinabè. C’est que la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo en fait un peu trop contre le Burkina Faso. Mais le chef de l’Etat a choisi d’avoir une gestion rationnelle de la crise ivoirienne et d’agir de façon graduée ».

Ce qui préoccupe Djibril Bassolé, ce sont les actions de déstabilisation qui pourraient se multiplier dans le sillage de la crise ivoirienne. Certes, en la matière, il ne confie pas totalement le fond de sa pensée. Mais Gbagbo n’ayant plus « aucune autorité », toutes les aventures (y compris les pires) sont possibles. Il craint moins « les Etats » que des « groupes d’intérêt » qui pourraient trouver dans la déstabilisation profonde de l’Afrique de l’Ouest de nouveaux gisements d’enrichissements frauduleux ».

Cet entretien a eu lieu le jeudi 5 décembre 2002. Bassolé dit là tout ce qu’il fallait dire (et faire) concernant la « crise ivoiro-ivoirienne ». Quelques semaines plus tard, Paris, sous la férule de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, et avec le concours des chefs d’Etat africains et des institutions internationales, va mettre en place l’opération qui conduira à la signature des « accords de Marcoussis ». Il s’agissait, ouvertement, de marginaliser Gbagbo en choisissant un premier ministre « d’union nationale » qui mettrait en place une politique de réconciliation et de désarmement. Mais le processus n’a pas été mené à son terme.

A Paris, Jacques Chirac, alors président de la République, a tergiversé et accepté de recevoir Gbagbo et de le traiter comme un chef d’Etat « responsable », tandis qu’à Abidjan Simone Gbagbo et Charles Blé Goudé ont pris l’ascendant sur Laurent qui a vu, dès lors, tout l’intérêt qu’il y avait à jouer la carte du combattant « anti-impérialiste » face à la France et « résistant » à une force « Licorne » qui ne savait pas trop jusqu’où elle pouvait aller et pour qui elle « roulait ».

En 2002, chacun savait que Gbagbo avait failli ; et de la pire manière : en instrumentalisant la xénophobie et en répandant la terreur dans la population « étrangère », celle des « porteurs de boubou ». Le sachant mais se refusant à prendre la décision qui convenait (Compaoré l’avait dit alors : le seul obstacle à la paix en Côte d’Ivoire est la présence de Gbagbo à la tête de l’Etat), la classe politique ivoirienne : le parti présidentiel (le FPI qui n’était pas encore dans l’état de déliquescence politique - pour ne pas dire d’anéantissement - dans lequel il se trouve aujourd’hui) mais également les partis d’opposition, PDCI et RDR principalement, incapables d’aller au-delà de leurs querelles de personnes, ainsi que la France et les institutions internationales vont s’efforcer de trouver des « aménagements » qui seront autant d’opportunités pour le clan Gbagbo d’imposer son mode de production politique : ce n’était pas la « révolution permanente », c’était l’arnaque permanente. Et à ce jeu-là, Simone Gbagbo, dépourvue de tous scrupules et de tout sens de l’Etat, ancrée dans ses convictions ésotériques et mystiques, va s’avérer bien plus performante que quiconque, faisant « tourner en bourrique » les interlocuteurs de son époux.

Huit longues années se sont écoulées entre les événements du 18-19 septembre 2002 et le second tour de la présidentielle du 28 novembre 2010 ! Huit années pendant lesquelles non seulement la Côte d’Ivoire a été mise par terre mais les relations sous-régionales et continentales ont été remises en question par le « cancer » ivoirien. Aujourd’hui, ses métastases se sont répandues partout en Afrique de l’Ouest et personne ne sortira intact de cette agression. Pas même les relations entre la communauté internationale et l’Afrique et, tout particulièrement, la France et l’Afrique.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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