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Mali : Un ministre des Affaires étrangères à poigne pour remettre de l’ordre dans les affaires… intérieures en connexion avec « l’étranger »

Publié le mardi 12 avril 2011 à 19h29min

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Dans son premier discours en tant que premier ministre, Madame Cissé Mariam Kaïdama Sidibé (cf. LDD Mali 009/mardi 5 avril 2011), n’a pas manqué de souligner que le nouveau gouvernement mis en place - « gouvernement de mission et d’action » - était confronté à « un environnement sous-régional et international particulièrement difficile ». C’est le moins que l’on puisse dire.

Si la situation en Libye et en Côte d’Ivoire a, ces dernières semaines, occulté la présence prégnante de AQMI dans le Nord du Mali où les otages français de AREVA sont encore détenus, il n’en demeure pas moins que, pour Bamako, cette affaire « intérieure » est une composante majeure des relations internationales, non seulement avec la France et les Etats-Unis, très préoccupés par le « terrorisme islamique », mais également avec les pays de la sous-région.

L’effondrement de la Libye de Kadhafi et la guerre en Côte d’Ivoire facilitent tous les trafics d’armes et on peut craindre la résurgence de mouvements rebelles bien équipés dans la zone sahélo-saharienne. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner que Amadou Toumani Touré ait confié les Affaires étrangères à Soumeylou Boubèye Maïga, un véritable personnage de polar, journaliste de formation, révolutionnaire de vocation, sportif passionné, fan de basket-ball et spectateur attentif du championnat du monde de formule 1, qui écoute les Pink Floyd et roule en 4 x 4, patron de la Sécurité d’Etat sous Alpha Oumar Konaré, ancien ministre des Forces armées, un des meilleurs connaisseurs de la situation qui prévaut dans le Nord-Mali.

SBM, alias « le Tigre », est né le 8 juin 1954 à Gao ; il est diplômé du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, et de l’Institut international d’administration publique (IIAP) de Paris ; il est aussi titulaire d’un DESS en diplomatie et administration des organisations internationales de l’université Paris-Sud. En France, il a collaboré à Afrique-Asie et, de retour au Mali, a été journaliste au quotidien national L’Essor avant de prendre la rédaction en chef du magazine Soundjata qui ne survivra pas à la tonalité quelque peu subversive qu’il lui donnera.

Membre du Conseil économique et social, directeur technique de l’équipe nationale de basket, il s’est engagé politiquement, dès 1972, au sein du Parti malien du travail (PMT), groupuscule marxiste-léniniste, prenant en charge la publication et la diffusion du journal Le Bulletin du peuple avant de devenir troisième vice-président de l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA) lors de sa création en 1990.

Au contact avec ATT depuis 1979, il assurera, au sein de l’ADEMA, la liaison avec les militaires opposés à Moussa Traoré. Conseiller spécial de ATT en 1991 et 1992, pendant la période de transition, il sera nommé chef de cabinet de Alpha Oumar Konaré à la suite de son élection à la présidence de la République ; Konaré en fera le patron de la Sécurité d’Etat en janvier 1993.

Après avoir été pendant huit ans « l’homme le plus craint de la scène politique malienne », il sera ministre des Forces armées et des Anciens combattants (2000-2002). En 2002, il a été candidat à la candidature de l’ADEMA/PASJ pour la présidentielle, mais c’est Soumaïla Cissé qui affrontera ATT et les autres, se hissant au deuxième tour avant de perdre face au candidat « indépendant ».

L’accession de ATT au pouvoir va reléguer « Boubeye » dans les coulisses de la vie politique ; mais depuis son fief de Gao (berceau de l’empire des Songhaï puis de la dynastie des Askia), il demeurera incontournable. Ayant rejoint le Front pour la démocratie et la République (FDR), il se présentera à la présidentielle du 29 avril 2007 mais ne rassemblera que 1,46 % des voix ; son « ami » ATT avait dit à la veille de la présidentielle (Jeune Afrique du 15 avril 2007) : « Je mettrais la candidature de « Boubeye » sur le compte d’un désamour plutôt que sur celui de véritables motivations politiques ». Il n’était plus sur le devant de la scène mais on n’est pas « l’ami » de ATT et de Alpha Oumar Konaré - les deux personnalités politiques majeures des vingt dernières années au Mali - sans que tout le monde vienne picorer au creux de vos mains ; plus encore quand, pendant huit ans, elles ont été celles du patron de la Sécurité d’Etat.

Il y a surtout que Soumeylou Boubeye Maïga est considéré unanimement (enfin presque) comme l’homme « qui connaît le mieux la situation militaire et sécuritaire au Nord du Mali ». Il a été le fondateur, d’ailleurs, en mai 2008, de l’Observatoire sahélo-saharien de géopolitique et de stratégie (OSGS), héritier de l’Espace de recherche et d’études stratégiques (ERES) créé en 2000. Autant dire qu’il sait de quoi il parle quand il parle du Nord. Et Gao, sa ville natale, étant située sur le méridien de Greenwich, « Boubeye » aime mettre les pendules à l’heure. C’est, dit-il, que « l’espace sahélo-saharien » (concept qu’il systématise sous le sigle ESS) présente « un intérêt crucial pour la sécurité et la stabilité régionales et internationales » compte tenu de « l’interconnexion croissante des réseaux mafieux et terroristes qui en font de plus en plus une plateforme logistique vers d’autres régions du monde ».

Commentant l’expérience acquise auprès de Konaré au cours de son mandat présidentiel, « Boubeye » déclarait, voici quelques années, à Continental (n° 39 - juin 2005) : « Il nous fallait, tout en restant fortement liés à nos convictions politiques, faire la preuve que nous pouvions être des hommes d’Etat capables de prendre en compte l’intérêt général. Dans ce foisonnement d’expressions dont certaines pouvaient être déstabilisatrices, nous devions faire la distinction entre ce qui était une menace réelle pour le pays et ce qui était le reflet d’une nouvelle forme d’expression pour une société qui découvrait la liberté. Cela n’a pas été facile. Il a fallu être très ferme sans tomber dans la négation des droits et des libertés. C’est à ce prix-là que nous avons pu laisser un pays globalement en état de marche au sortir d’une difficile phase de consolidation de la démocratie ». J’ai dit, déjà (cf. LDD Mali 006/Mercredi 13 octobre 2011), combien je jugeais cette déclaration essentielle dès lors qu’un homme avait choisi de n’être plus un militant « clandestin » pour devenir un responsable politique national : « être des hommes d’Etat prenant en compte l’intérêt général tout en restant fidèles à nos convictions ».

Dans le journal L’Aube du 16 janvier 2009, « Boubeye » déclarera par ailleurs : « J’ai toujours considéré que nous sommes, certes, une république, unie et indivisible mais plurielle et que dans le respect scrupuleux des principes démocratiques et républicains, notre Constitution actuelle, qui consacre la libre administration des collectivités, nous permet de grandes avancées en matière de déconcentration et de décentralisation réelle. C’est ainsi seulement que, là comme ailleurs, la légitimité de ceux qui prétendent parler ou agir au nom des populations sera fondée et reconduite aussi par leur capacité managériale et que la rénovation de la gestion publique instaurera une nouvelle gouvernance ». Là encore, autre texte essentiel dans le contexte actuel et alors que « Boubeye » devient le patron de la diplomatie.

« Boubeye » va avoir pour tâche de restaurer l’image du Mali qui n’est plus le modèle démocratique, culturel et social, que l’Europe encensait (cf. LDD Mali 003/Vendredi 8 octobre 2010). Il s’agit de retisser les liens avec les capitales d’Afrique de l’Ouest, exaspérées par le comportement (jugé laxiste) de Bamako vis-à-vis de AQMI, mais aussi avec Alger, Washington, Paris… Dans un contexte nouveau du fait de la situation dans laquelle se trouve Kadhafi à Tripoli. Et dans la perspective d’une présidentielle 2012 sans « sortant ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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