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Des démocraties sans démocrates. Des révolutions sans révolutionnaires. Des régimes totalitaires sans dictateurs… Où va l’Afrique du XXIème siècle ? (2/2)

Publié le lundi 11 avril 2011 à 14h29min

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L’incohérence du monde dans lequel nous vivons conduit à l’irresponsabilité des leaders politiques. Et à force de galvauder les concepts, on ne sait plus où on en est. Le philosophe Yves-Charles Zarka, professeur à la Sorbonne, le disait récemment dans Le Monde (daté du 30-31 janvier 2011) : « La politique, comme la nature, a horreur du vide. C’est pourquoi le déficit idéologique est compensé par un bricolage intellectuel réalisé par détournement de concepts philosophiques, historiques, économiques ou autres. Il serait légitime que ces concepts soient utilisés selon la logique qui leur est propre. Mais ces temps-ci, ils sont instrumentalisés hors du contexte où ils prennent sens pour devenir des formules incantatoires, des slogans de propagande, quand ce ne sont pas des signes d’identification et de reconnaissance ».

Dès lors, il est difficile de s’y retrouver dans la chaos idéologique que le monde « sur-informé » qui est le nôtre nous propose. La prise de décision devient quasi impossible : on ne met pas les mêmes mots sur les mêmes choses. Zarka souligne que « le détournement intellectuel et la recherche d’effets d’annonce et d’effets de communication se sont substitués à toute réflexion en profondeur sur les besoin du pays, sur la recherche des solutions aux injustices les plus dramatiques, sur la place de la France en Europe et dans le monde ». Et ce qu’il dit de la France s’applique à chacun des pays, y compris africains.

On peut bien s’insurger contre l’intervention « occidentale » en Libye et en Côte d’Ivoire. Mais jusqu’alors qui, dans le monde « occidental » comme en Afrique disait ce qu’il fallait dire de la situation libyenne et de la situation ivoirienne ? Chacun s’est accommodé d’un fonctionnement pervers et a cherché à « ménager la chèvre et le choux » au gré de ses intérêts immédiats. Il ne fallait pas être un géopoliticien surdoué pour qualifier le régime libyen de « dictature » et son leader de « dictateur » ; mais ni l’Union européenne ni l’Union africaine ni les Etats-Unis ne s’y sont résolus. Même chose en ce qui concerne Laurent Gbagbo. Il suffisait d’avoir observé son comportement de 1990 à 2000 pour savoir que ce qui pouvait se passer au cours de la décennie suivante, dès lors qu’il prenait le pouvoir, serait un désastre politique, économique et humain. Mais ni l’Union européenne ni l’Union africaine ni les Etats-Unis ont entrepris de dire ce qu’il fallait dire : Gbagbo, minoritaire socialement en Côte d’Ivoire, ne pouvait gouverner qu’en excluant la « majorité », autrement dit les « étrangers ».

Dès lors que ceux-ci se rebellaient, l’affrontement était inévitable et toute solution « conciliatoire » était condamnée à l’échec. Il fallait dire les choses telles qu’elles sont ; et telles qu’elles ont été dites par Blaise Compaoré dans Le Figaro Magazine du samedi 16 novembre 2002 : « Ce conflit est purement politique. Il couve depuis deux ans sur fond de crise économique. En 2000, Laurent Gbagbo a remporté les élections en excluant de la compétition ses principaux concurrents, qui représentaient 80 % de la population […] Pour conserver le pouvoir Laurent Gbagbo joue la déstabilisation interne et tente d’exporter ses problèmes, quitte à torpiller l’unité ouest-africaine ». Il promettait même à Gbagbo le Tribunal pénal international (TPI) !

C’est que si les révolutions se font sans révolutionnaires, les démocraties manquent de démocrates tandis que les régimes totalitaires ne sauraient être, bien sûr, le fait de dictateurs. Je m’étonne que, aujourd’hui encore, il y ait des chefs d’Etat africains pour tergiverser sur la « solution finale » à employer pour extirper Gbagbo de son bunker. Après un premier mandat dont le bilan était désastreux, il a confisqué le pouvoir pendant cinq autres années sans jamais être mis au ban des communautés africaine et internationale, développant un discours dont la seule cohérence était « j’y suis, j’y reste ». Battu au deuxième tour de la présidentielle 2010, sans que cela puisse être une surprise compte tenu des scores de ses deux principaux adversaires au premier tour et de leur alliance électorale, il s’incruste et réaffirme : « j’y suis, j’y reste », tandis que ses milices répandent la terreur. Et il y a encore des chefs d’Etat pour penser qu’on peut discuter, palabrer, négocier… avec lui ? Et quand il est avéré que les pro-Gbagbo emploient des mercenaires, trafiquent les fournitures d’armement, utilisent des armes lourdes contre des femmes désarmées, il est des chefs d’Etat (parmi ceux qui restent les bras croisés) pour s’offusquer que les Nations unies demandent à la force Licorne (présente sur le terrain depuis 2002 !) d’intervenir pour sécuriser la capitale (économique) ivoirienne.

Si les chefs d’Etat africains, si les organisations régionales, si l’Union africaine étaient capables de faire quelque chose pour empêcher le pire pourquoi cela n’est-il pas fait ? Combien de médiateurs se sont succédés au chevet de la Côte d’Ivoire ? Un président nouvellement élu, « ghettoïsé » après avoir été « ostracisé » pendant deux décennies, a-t-il les moyens militaires d’agir contre une dictature - il faut dire les mots tels qu’ils sont et ceux qui ne sont pas convaincus que la Côte d’Ivoire de Gbagbo était une dictature doivent lire ses journaux, écouter ses radios et regarder ses télés ! - qui a passé dix années à renforcer ses moyens militaires humains et matériels (on a déjà oublié qu’à la veille de la présidentielle, Gbagbo n’a cessé de caresser les officiers supérieurs ivoiriens dans le sens du poil, autrement dit dans le sens de leur intérêt financier). Recourir aux Forces nouvelles, réclamer l’assistance des Nations unies et de Licorne étaient sans doute la pire des choses ; sauf à penser, ce que je pense, que la pire des choses c’est la lâcheté de certains chefs d’Etat africains et, du même coup, de l’Union africaine qui, sachant qui est Gbagbo, ont refusé, au nom de principes qu’ils n’appliquent jamais chez eux, de lui casser définitivement les reins. Jusqu’où faut-il aller pour qu’ils bougent ?

The Elders, ce groupe de personnalités fondé par Nelson Mandela (cf. LDD Côte d’Ivoire 0305/Mercredi 30 mars 2011) a dit, dans un communiqué publié le mardi 5 avril 2011, ce qu’il fallait dire : « L’ancien président Laurent Gbagbo est le premier responsable de la violence, qu’il a déclenchée, en rejetant les résultats de l’élection, en refusant de quitter le pouvoir ». Un drame humanitaire se joue à Abidjan et il est encore des personnalités pour penser que l’on doit ménager Gbagbo et critiquer l’implication onusienne. Ce matin, dans L’Observateur Paalga, Jean-Claude Kongo, écrivait fort justement : « La France ne souhaite pas forcément se salir les mains dans cette crise ivoirienne, critiquée qu’elle est déjà par une bonne frange d’observateurs, tout comme on comprend que l’Elysée entende user de la circonspection qui sied en pareille occasion […] Mais au point où elle en est, la France ne devrait peut-être pas s’embarrasser de si triviales considérations […] De toute façon, à supposer que la même France se désengage de la crise ivoirienne, au stade où elle se trouve, ses contempteurs du moment ne retireront pas ce qu’ils auront déjà dit d’elle ».

Des centaines voire des milliers d’Ivoiriens sont morts et la Côte d’Ivoire agonise. Alors oui : que la France se salisse les mains tandis que Laurent et Simone prient et que les dictateurs africains qui hurlent à la violation de la souveraineté ivoirienne se soucient de ce qui se passe chez eux. L’Afrique n’a aucune fierté à avoir permis l’éclosion d’hommes tels que Kadhafi et Gbagbo. Les Africains, eux, le savent. Il conviendrait que les chefs d’Etat du continent - et en tout premier lieu l’Union africaine - le disent haut et fort. C’est qu’il peut y avoir des révolutions menées par des révolutionnaires ! Cohérents et responsables.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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Vos commentaires

  • Le 11 avril 2011 à 14:50 En réponse à : Des démocraties sans démocrates. Des révolutions sans révolutionnaires. Des régimes totalitaires sans dictateurs… Où va l’Afrique du XXIème siècle ? (2/2)

    "Qu’ils soient grands ou petits, faibles ou puissants, riches ou pauvres, les Etats sont des monstres froids dont l’action n’est motivée ni par la morale, ni par la philanthropie, mais par le seul calcul utilitariste de son propre interet". Robert Dussey dans l’Afrique malade de ses hommes politiques p 186 Vous comprenez l’interet de l’Occident pour les Africains ? Non ? "...Et en aucun cas, les puissances industrielles n’accepteraient un quelconque reamenagement de la carte politique africaine dans le sens de l’unité et de la puissance". Id p 175.
    Regardons froidement les cas de la Cote d’Ivoire : c’est la France par sa Licorne, et relayez par RFI qui lutte pour le café, le cacao et le petrole. Resultat : le peuple en patit. Pareil en Libye.

  • Le 19 avril 2011 à 22:47, par LE JUSTE En réponse à : Des démocraties sans démocrates. Des révolutions sans révolutionnaires. Des régimes totalitaires sans dictateurs… Où va l’Afrique du XXIème siècle ? (2/2)

    J’avais esperé que vous citerez quelques Dictateurs qui sont encore au pouvoir en Afrique,mais hélas vous attendez,comme ces Chefs d’Etat dont vous taisez par peur les noms, pour le momment venu dire qu’ils sont ceci,qu’ils sont cela !
    Ayez le courage aujourd’hui de dire que Blaise Compaoré ,Sassou N’Guesso,Déby,Bozizé,Bya,N’Guéma,sont des dictateur et qu’ils doivent quitté le pouvoir au terme de leur mandat respectif.Car beaucoup d’entre eux sont parvenus sur les cadavres de leur prédecesseur et ou par des rebellion !
    Quoi qu’on dise,Gbagbo a manqué de tac et n’a pas su rassurer les français sinon les aboiements du chien n’allais pas arreté la caravane. LE JUSTE

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