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Wend Yida Opportune, l’art musical au féminin

Publié le lundi 11 avril 2011 à 02h37min

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Après avoir occupé le devant de la scène musicale burkinabè dans les années soixante dix et quatre-vingt, Wend Yida Opportune s’est faite discrète depuis plusieurs années. Rencontre à Sevran Beaudottes, dans la banlieue parisienne, avec une pionnière de la musique burkinabè au féminin.

Pour de nombreux invités à la réception offerte le 11 décembre 2010 par l’ambassadeur du Burkina à Paris à l’occasion de la célébration du cinquantenaire de notre pays, ce fut une grande surprise lorsque, pour animer la soirée, le speaker demande d’accueillir, Wend Yida Opportune. Depuis une vingtaine d’années, celle qui a fait danser toute génération dans les années quatre-vingt dans tous les coins du pays, celle dont les tubes étaient diffusés en boucle sur les ondes de la radio nationale du Burkina, avait presque disparu de la scène musicale burkinabè. « Il y a même des gens qui se demandent si je suis encore en vie », s’amuse t-elle, entre deux éclats de rire.

W. Opportune à la fête du cinquantenaire du Burkina à Paris

Sur scène, elle n’a rien perdu de sa superbe et n’a pas eu du mal à faire bouger les 800 convives en interprétant deux titres phares de son répertoire, Foura Yeellé (la question du mariage) et A Kélé Kassambo (la fête à Kélé Kassambo) une chanson de Tiémoko Traoré Pacheco.

« Même si on ne me voit plus sur scène comme avant, ma passion pour la musique reste intacte », rassure t-elle. Première artiste féminine burkinabè à avoir enregistré un disque vinyle 45 tours géant en 1980 comprenant deux morceaux, Solitude et Célélé, Wend Yida Opportune Tapsoba fait partie, avec Adjara Cissé, Nicole Bassinga, Pauline Darga, de celles qui ont imposé la présence des femmes sur la scène musicale burkinabè.

Chez elle, la musique est une affaire de famille. Son père, Prosper, jouait de l’accordéon, du banjo et chantait ; ses deux frères, l’un, Jean dit John Bouzous, a joué dans le groupe Bozambo, le même que le Gandaogo national, Georges Ouédraogo, et l’autre, plus jeune, actuellement cadre à la présidence, s’appelle Achille alias Achille Bass. Il a exercé ses talents dans l’orchestre de l’université de Ouagadougou, aux côtés d’un certain Eugène Kounker, et de celui qui est devenu une des figures du reggae national, Zedess.

« A la maison on chantait et c’est tout naturellement que je suis tombée dès mon enfance dans la musique puisque je côtoyais des musiciens comme To Finley, Zon Boukari, Tiémoko Traoré dit Pacheco », se souvient celle qui n’a jamais ni appris à lire la musique, ni bénéficié d’une formation musicale.

W.Opportune et Georges Ouédraogo à l’occasion des 30 ans de carrière du Gandaogo national

Il faut dire que très tôt, Wend Yida a dû faire face aux vicissitudes de la vie. Suite au soulèvement populaire qui a renversé le régime du président Maurice Yaméogo en janvier 1966, son père, qui était aussi un acteur politique, est arrêté et ses biens saisis. Pour continuer à faire bouillir la marmite et payer les frais de formation en dactylographie de sa fille, sa mère se lance dans le petit commerce, mais son état de santé, très fragile depuis quelque temps, ne s’améliore guère. « Je voyais bien que ma mère avait du mal à s’acquitter les frais de scolarité, alors j’ai fait comme si l’école ne m’intéressait plus et je me suis mise à l’aider ». En 1969, sa mère décède, laissant huit enfants, dont le dernier âgé seulement de dix sept mois.

A 16 ans, armée de son courage, Wend Yida persévère dans le petit commerce. « Nous habitons le quartier Kamboissin et tous les matins, j’allais acheter des fruits (bananes, oranges) au marché de Sankaryaré que je revendais devant notre cour. Il arrivait parfois que j’écoule presque tout le stock avant même d’arriver à la maison ». A cette activité, s’ajoutent les occupations domestiques, un emploi de temps bien rempli qui ne l’empêche cependant pas de s’adonner à sa passion. Régulièrement, elle assiste aux prestations du groupe Dijinaroux dans lequel joue son frère John Bouzous, ce qui n’a pas l’air de lui plaire. « Comme il voulait me protéger contre les garçons, il a tenté de me dissuader de chanter », explique t-elle. En vain.

A 19 ans, elle se lance réellement dans la musique en commençant par les chœurs avant d’interpréter des musiciens étrangers « parfois en anglais sans rien comprendre le sens des paroles ». Le public apprécie. Face au succès, elle crée un orchestre, Le prince et la princesse, rebaptisé plus tard La Bande à l’autre, composé essentiellement d’étudiants. Souvenirs. « On jouait au Ran hôtel, à l’hôtel Silmandé et les week-ends, on faisait des tournées dans les provinces. Je louais les instruments que je transportais sur le véhicule bâché de mon père et on animait très bien les bals.

Ca marchait bien puisqu’en rentrant dimanche soir, chaque musicien n’avait pas moins de 100 000 F CFA. Je connais pratiquement toutes les provinces du Burkina ».

Malheureusement, excepté le 45 tours géant, toute sa production musicale n’a pas été enregistrée sur un support. « Tout mon trésor phonographique est à la radio nationale, parce qu’elle venait enregistrer mes concerts », confie-telle, regrettant de n’avoir pas bénéficié des services d’un producteur et des conseils d’un manager professionnel.

Installée en France depuis 1985 après son mariage, Wend Yida Opportune a préféré consacrer plus son temps à s’occuper de ses trois enfants, deux filles et un garçon, qu’à poursuivre une carrière musicale. « Mais, j’ai quand même animé des spectacles à Paris et en provinces à l’invitation d’associations », nuance t-elle.

Régulièrement présente au Burkina, elle ne comprend pas qu’on ne l’ait jamais invitée, en tant qu’artiste, à participer aux nombreuses manifestations culturelles que le pays organise régulièrement. Elle s’insurge contre le complexe d’infériorité qu’ont les Burkinabè de préférer les étrangers à leurs compatriotes musiciens, alors qu’ils ont aussi du talent. Elle se dit très surprise d’apprendre qu’à l’occasion de ses 50 ans de carrière, Georges Ouédraogo ait invité des artistes étrangers, mais pas elle, alors que « nous avons galéré ensemble à Ouaga et que je lui ai prodigué des conseils pour se tenir sur scène. Quand je vais rentrer, j’aurai une explication avec lui ».

Favorable au métissage, elle estime toutefois qu’on « doit s’appuyer sur notre patrimoine, le riche folklore national au lieu de tout copier. Je suis fière de la musique que je fais dont le fond est le warba, comme d’autres s’inspirent du zouglou ou la rumba ». Coup de gueule partagé par de nombreux artistes burkinabè d’autant plus que, comme le révèlent Ferdinand Kaboret et Oger Kaboré dans leur livre « Histoire de la musique moderne du Burkina Faso », un concours de clips d’or organisé en 2002 par la télévision nationale a consacré, à la grande surprise, trois artistes burkinabè : Idak Bassavé pour le clip Mouzo haouré, Solo Dja Kabako pour Djarabi et Rigobert Kaboré pour Marina.

« En revanche, concède l’auteur de Kiiba Talato, Guénolé et Manè Sougri, il y a un vrai problème de management et d’encadrement des artistes », d’où son souhait de mettre bientôt « mon expérience au profit des jeunes artistes qui se prennent très vite pour des stars alors qu’il faut laisser le public te porter haut ».

Des conseils que sa fille, Laëtitia Wendyam, compte bien en profiter. Bourrée de talents, « sur scène, c’est une puissance exponentielle » d’après sa mère, elle a momentanément arrêté la musique pour se consacrer à ses études en commerce international et rêve de « travailler sur le sol des mes ancêtres ».

« Quand je jouais, j’avais aussi un restaurant, je compte le rouvrir et y programmer régulièrement des artistes » confie Wend Yida, comblée d’avoir des enfants disposés à aller tenter leur chance au Burkina. L’ainé de la famille est cadre dans une banque française et la cadette termine une formation dans l’art de la table.

« C’est décidé, j’ai juste besoin de produire un dernier album que j’ai sous la main, après, je m’occupe d’encadrer les jeunes musiciens au burkinabè ».

Joachim Vokouma

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Vos commentaires

  • Le 11 avril 2011 à 13:14, par Theophile le Grec (dj mc theo), En réponse à : Wend Yida Opportune, l’art musical au féminin

    Merci pour cet article. J’etais vraiment content d’apprendre que cette pionniere de la musique burkinabe est toujours vivante et pleine d’ambition (il faut souvent revenir sur ces artistes et ne pas les "enterres" meme s’il ne font plus officiellement de prestations).

    J’ai connu les chansons de tantie WYO. a travers mon pere qui etait un grand melomane (j’etais gamin), et souvent en temps qu’artiste debutant je me demande ce que sont devenus les anciens du B. F. et quelles sont leurs projets actuellement.

    Elle a souleve plusieurs questions concernant les artistes burkinabe qui suscitent vraiment reflexions (problemes de management, production, refus de donner l’occasion aux nationaux de la part des promoteurs etc)...

    Il faudrait ouvrir ce debat un jour et faire profiter effectivement les plus jeunes (s’ils sont prets bien sur a accepter les conseils des anciens).

    Je lui souhaite du bon vent, et a sa famille aussi et je n’hesiterais pas a faire un tour dans "le resto de tantie" des qu’elle sera rentree et l’aura ouvert.

    « VIVE LA REVOLUTION DES ARTISTES BURKINABE »

  • Le 11 avril 2011 à 17:16, par Rodjar En réponse à : Wend Yida Opportune, l’art musical au féminin

    Je suis heureux d’avoir les nouvelles de Wend Yida Opportune, ça fait vraiment un bail !
    Nous t’attendons un jour au Burkina
    Bon vent à toi !

  • Le 11 avril 2011 à 18:30 En réponse à : Wend Yida Opportune, l’art musical au féminin

    Merci pour cet article. C’est vrai qu’on se demandait ce qu’elle était devenue.

  • Le 13 avril 2011 à 20:31, par zoung’a En réponse à : Wend Yida Opportune, l’art musical au féminin

    Que de bons souvenirs de la grande soeur !!!
    En tout suis très content de l’avoir amie sur facebook !!

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