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Centrafrique : Candidat à la présidentielle centrafricaine 2011, Ange Félix Patassé vient de mourir brutalement

Publié le vendredi 8 avril 2011 à 02h45min

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Il avait été président de la République centrafricaine (1993-2003). Il rêvait de l’être à nouveau. On le savait diabétique ; mais pas mourant. Il avait demandé, le 2 avril 2011, à quitter Bangui pour Malabo, la capitale de Guinée équatoriale, afin d’y subir des examens. Le président Obiang Nguema Mbasogo avait dépêché son avion pour son transfert mais celui-ci n’avait pas été autorisé à atterrir. Finalement, c’est à l’hôpital général de Douala (Cameroun), où il était en transit pour Malabo, que Ange-Félix Patassé est mort le mardi 5 avril 2011, aux environs de 18 heures.

Barthélémy Boganda (mort en 1959), premier ministre en 1958-1959, David Dacko (mort en 2003), premier président de la République, Jean-Bedel Bokassa (mort en 1996), tombeur de Dacko avant que celui-ci ne revienne au pouvoir à la suite de l’intervention de Paris, sans oublier Abel Goumba (mort en 2009) - auquel Dacko a été préféré par la France en 1960 - et éphémère premier ministre de l’actuel chef de l’Etat, enfin André Kolingba (mort le 7 février 2010), tombeur de Dacko en 1981 et battu dès le premier tour de la présidentielle du 22 août 1993. Avec la mort de Patassé, la classe politique centrafricaine voit ses rangs s’éclaircir : il ne reste désormais, parmi les « survivants », que François Bozizé, tombeur de Patassé et récemment réélu à la présidence de la République.

Patassé était né à Paoua, dans le Nord-Ouest de l’Oubangui-Chari, le 25 janvier 1937. Diplômé de l’Ecole supérieure d’agronomie de Nogent-sur-Marne, en région parisienne, il débutera sa carrière au cabinet du ministre de l’Agriculture et du Développement en 1965. Quelques mois plus tard, le président David Dacko était renversé par Jean-Bedel Bokassa. Patassé se retrouvera ministre - il n’a pas encore trente ans - puis premier ministre (8 décembre 1976) avant d’être limogé en juillet 1978 au lendemain du sacre (4 décembre 1977) de… l’empereur Bokassa.

Le 20 septembre 1979 c’est l’opération « Barracuda ». David Dacko est ramené au pouvoir par la France et son armée. Patassé créé le Mouvement pour la libération du peuple centrafricain (MPLC) et participe à ce titre à la « Table ronde » des différents mouvements politiques avant d’être assigné à résidence par le nouveau pouvoir. Il tentera de se réfugier au Tchad, sera repris et emprisonné à Ngaraba.

En 1980, il est libéré de prison pour « raisons de santé ». Il se lance alors dans la campagne présidentielle mais sera battu, lors du scrutin de mars 1981, par Dacko qui ne remporte, officiellement, que 50,23 % des suffrages. Patassé va alors mobiliser la rue contre le chef de l’Etat qui, finalement, préférera céder le pouvoir au général André Kolingba, le patron de l’armée. Patassé, dans le collimateur du pouvoir pour tentative de coup d’Etat, va filer à l’étranger et réunir autour de lui, en Afrique et en Europe, une véritable « cour des miracles » de tous les arnaqueurs et autres prédateurs de la planète « amis de l’Afrique et des Africains ». Dans des affaires jamais très claires, son avocat sera Jean-Jacques Demafouth (par la suite ministre de la Défense de Patassé, puis président de l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie et candidat à la présidentielle).

Le 19 septembre 1993, Patassé va être élu président à la suite de l’élection organisée par Kolingba (qui n’est pas qualifié pour le second tour) ; il l’emporte avec près de 54 % des voix, devançant Abel Goumba. Le 18 avril 1996, éclate la première mutinerie ; de nouveaux affrontements auront lieu en 1997. Une Mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui (MISAB) va être mise en place, puis une Mission des Nations unies en RCA (Minurca) ; un Pacte de réconciliation nationale sera signé le 5 mars 1998. Mais le limogeage, le 26 octobre 2001, du chef d’état-major, le général François Bozizé, mettra, à nouveau, le feu aux poudres. Il faudra que les troupes libyennes s’investissent massivement pour que Patassé sauve son job tandis que Bozizé s’enfuira au Tchad pour y préparer une nouvelle offensive.

Patassé avait affirmé, le 18 janvier 1994, lors de la remise des lettres de créance de l’ambassadeur de France, Jean-Paul Angelier, que « l’échec de Patassé et de son gouvernement sera l’échec de Mitterrand et du peuple français ». Patassé, en 1996, se disait « Français ». « Ce n’est pas parce que je suis devenu centrafricain que je dois renier la France ! Je suis gaulliste. La République centrafricaine est un pays gaulliste ». Mais la France quittera militairement la RCA au printemps 1998. Patassé dénoncera alors une « France nostalgique du passé… qui recrute des mercenaires, prépare des coups bas ». La rumeur circulait, dans les milieux français du renseignement, que les bases militaires abandonnées par la France allaient être cédées à la compagnie Executive Outcomes, agence de recrutement de « mercenaires » que le gouvernement sud-africain venait d’expulser.

Les relations entre Paris et Bangui sont alors difficiles et les deux capitales attendront beaucoup de la visite officielle que Patassé devait faire en France au lendemain de sa réélection en 1999. Mais la conjoncture va en décider autrement. Dans la nuit du dimanche 27 au lundi 28 mai 2001, Bangui devra faire face à une tentative de coup d’Etat. L’ex-chef d’Etat, Kolingba, sera présenté comme l’instigateur de cette opération. Il faudra dix jours, le soutien des Libyens et des troupes de Jean-Pierre Bemba (opposant armé au régime de Kinshasa) pour que l’ordre soit rétabli ; les uns et les autres vont, par la suite, assurer la sécurité de la présidence de la République. La résidence de Kolingba étant attenante à l’ambassade de France, Patassé ne manquera pas de mettre en cause Paris accusé d’avoir livré aux rebelles des armes destinées à la gendarmerie centrafricaine.

Patassé n’agace pas que Paris ; la France laisse Mouammar Kadhafi s’installer à Bangui, prenant ainsi le Tchad en tenaille. Ce qui ne saurait convenir à Libreville. Omar Bongo fera l’impossible pour trouver, à Bangui, une solution de remplacement. Jean Ping, alors son ministre des Affaires étrangères (actuel président de la Commission de l’Union africaine), qui a eu à s’investir dans le dossier centrafricain, me disait, début 2003 : « Patassé est encore plus difficile à gérer que l’autre [en l’occurrence Laurent Gbagbo, notre entretien se déroulant dans les coulisses des négociations de Marcousis]. Il rêve beaucoup. Il pense qu’il est aimé par son peuple ». Dans la sous-région, chacun s’exaspérait de voir Bangui être la plaque tournante de tous les trafics (en premier lieu celui des diamants) et le QG de tous les aventuriers.

Après sa tentative avortée de 2001, Bozizé parviendra, le 15 mars 2003, à prendre le contrôle de la capitale. « Une révolution, pas un coup d’Etat », dira-t-on, tant il est vrai que le départ de Patassé soulageait tout à la fois la population, la classe politique, les communautés africaine et internationale.

Pour Patassé, ce sera à nouveau l’exil (au Togo d’où est originaire sa dernière épouse) avant de revenir tenter sa chance à la présidentielle 2011 et de contester la victoire, dès le premier tour, de Bozizé (64,37 % des voix). Patassé avait le sens des formules… à côté de la plaque : « La démocratie, ce n’est pas la campagne électorale permanente » ; « J’ai les choses en main » lors des mutineries de 1996 ; « Notre culture ignore la violence » après trois mutineries pendant les trois premières années de son mandat.

Visage rond, barbe et bouc le faisaient ressembler (en « black ») au docteur Alain Bombard, pionnier de la survie en mer et auteur de « Naufragé volontaire ». C’est aussi l’histoire de la vie de Patassé !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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