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"Dissolution de la CENI" : Mauvais prétexte pour absoudre une vraie cacophonie générale

Publié le vendredi 18 février 2011 à 01h36min

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À quelque 12 mois de la tenue des élections législatives et municipales couplées, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) fait l’objet de tirs croisés qui font monter prématurément le mercure politique. Après les « Organisations de la société civile (OSC) des droits humains », c’est le chef de file de l’opposition qui monte au créneau pour demander une « dissolution » de l’équipe présidée par Moussa Michel Tapsoba (MMT). Le cafouillage des cartes d’électeurs « illégales » de la présidentielle du 21 novembre 2010 a certainement fragilisé cette Ceni-là.

Mais de là à en faire le bouc émissaire d’une cacophonie généralisée où tous les acteurs politiques ont leur part de responsabilité, ne court-on pas le risque de choisir entre la peste et le choléra ?

Où est passée l’indépendance de la Ceni ?

Aussi passionnée (voire passionnelle) qu’est la polémique sur les errements ou les insuffisances de l’actuelle Ceni, celle-ci n’ouvre pas moins la brèche sur la pertinence de ce genre d’institution taillée sur mesure pour être à la mode démocratique et qui se révèle aujourd’hui comme un couteau à double tranchant entre les mains de gens qui n’en mesurent toujours pas l’enjeu. On a vite fait de se gargariser de sa soi-disant « indépendance » pour lui conférer une mission pour laquelle elle n’a jamais eu les moyens d’être à la hauteur. Sinon, comment continuer à la proclamer « indépendante » alors qu’elle doit trop souvent pleurnicher pour que l’Exécutif consente à lui donner les moyens de travailler ?

Hormis cette aliénation matérielle et financière, force est de reconnaître que notre pauvre Ceni n’est qu’une institution d’exécution et non de conception, encore moins d’orientation. La preuve ? Les tergiversations et autres bégaiements du Parlement (et du gouvernement) qui ont abouti aux fameuses cartes d’électeurs « illégales ». À ce qu’on sache, c’est bien les députés, à travers la Commission des affaires générales, institutionnelles et des droits humains qui ont été à l’origine des différentes failles du Code électorale que la Ceni était chargée de mettre en œuvre. A qui la faute si le législateur n’a pas pris en compte des donnes aussi élémentaires comme le lieu de naissance et la filiation sur la carte d’électeur ?

Pourquoi le gouvernement (et sa majorité à l’Assemblée nationale) a-t-il opté pour la Carte nationale d’identité comme principal document électoral alors qu’il ne s’est pas donné les moyens de mettre cette pièce à la disposition de tous les citoyens en âge de voter ? Pour ne citer que ces dysfonctionnements, force est de constater que la Commission électorale ne peut porter à elle seule l’inconséquence dans laquelle la présidentielle du 21 novembre a été organisée.

Cafouillage généralisé

En revanche, on peut retenir à la charge de l’équipe de Moussa Michel Tapsoba, son impuissance ou son incapacité (c’est selon) à exiger, ne serait-ce qu’une seule fois, le respect des conditions d’exercice de sa mission. Au lieu de taper du poing sur la table quand il le fallait, elle s’est plutôt contentée d’avaliser les incohérences du Parlement et du gouvernement telles qu’elles sont légion dans les multiples modifications de la Loi électorale. Tout s’est passé comme si la Ceni était prête à accepter tout et n’importe quoi. Conséquence, MMT a été obligé de balbutier grave pour renoncer finalement au croisement du fichier électoral avec la base de données de l’Office national d’identification (ONI).

À la vérité, il a préféré « sauver » un fichier électoral mal ficelé et qui risquait d’être des plus faibles que le Burkina aura connus. Au nom de son « indépendance », la Ceni aurait saisi cette occasion pour mettre le gouvernement devant ses responsabilités. Mais hélas. N’est-ce pour avoir toujours voulu être plus royaliste que le roi que l’équipe actuelle est présentée comme la seule responsable du cafouillage généralisé ?
L’autre hic dans le fonctionnement de la Ceni est que ses pourfendeurs la ramènent trop facilement à son seul président. Certes, MMT s’est trop souvent donné la liberté de faire des déclarations compromettantes qui ont fini par rendre son dos large. Mais de là à oublier que l’institution est aussi composée de personnalités de l’opposition, de la société civile, il y a peut-être un raccourci de trop.

La vraie question n’est-elle pas de savoir pourquoi les Commissaires paraissent aussi passifs avant et après d’importants enjeux électoraux ? À quoi sert finalement cette composition tripartite que l’on ne ressent presque jamais en dehors des luttes pour les postes juteux et les perdiems ? Certes, on peut toujours soutenir qu’on n’a pas besoin d’être nécessairement un expert des questions électorales pour être à la Ceni. Mais être membre de cette institution politiquement stratégique juste pour y être, ou y demeurer seulement pour des raisons bassement matérielles, c’est cautionner un laxisme politique certain.

Tout compte fait, une chose est de dissoudre la Ceni actuelle, une autre est d’en faire un véritable instrument de promotion et de consolidation de la démocratie au Burkina Faso. Or, en la matière, les brebis galeuses et les moutons noirs sont tout aussi légion dans le camp de la majorité, de l’opposition que de la société civile. Tous les acteurs politiques sont simplement coupables des suspicions qui pèsent aujourd’hui sur cet instrument « consensuel » d’administration des élections. La solution ne sera certainement pas de changer les hommes, mais de mettre les hommes qu’il faut pour accomplir courageusement et en toute indépendance le boulot qu’il faut.

Choisir entre la peste et choléra

Cet enjeu est d’autant plus crucial que le gouvernement a, une fois encore, pris la délicate option de coupler les élections législatives avec les municipales. C’est un challenge périlleux dans la mesure où il ne s’agira pas seulement de centraliser des résultats aux niveaux national et régional, mais de veiller en même temps que les votes soient libres et transparents et les résultats acceptables et acceptés jusque dans les quartiers et villages du Burkina Faso. Le moindre petit cafouillage de la Ceni et surtout de ses claudicants démembrements peut provoquer un séisme dont les conséquences peuvent être catastrophiques au niveau local et même au niveau national. C’est probablement cela qui explique la méfiance de certains partenaires techniques et financiers à l’égard de cet attelage électoral atypique. Et si l’on doit en rajouter le mauvais prétexte d’une dissolution anticipée de la Ceni - dont le mandat expire officiellement en septembre 2011, il faut craindre une amplification de la cacophonie qui se profile à l’horizon.

F. Quophy

Journal du Jeudi

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Vos commentaires

  • Le 19 février 2011 à 17:40 En réponse à : "Dissolution de la CENI" : Mauvais prétexte pour absoudre une vraie cacophonie générale

    La CENI est nécessairement un instrument de l’exécutif. Une fois que vous avez compris cela, vous comprendrez pourquoi elle devient un enjeu pour l’opposition. Ce qui existe chez mossis, existe chez les peulhs. Et ce sera le même combat politique entre majorité présidentielle et opposition. Et Me Bénéwendé Stanislas SANKARA a parfaitement pigé cela dans sa démarche politique. Et il sera combattu loyalement par la majorité présidentielle. Notre CENI devra être préservée dans sa consistance actuelle.

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