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Inoussa Ouédraogo, directeur industriel de : « Les vrais exploiteurs des paysans ne sont pas ceux qu’on croit »

Publié le jeudi 3 février 2011 à 02h24min

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Cette année le cours du coton sur le marché international a atteint un niveau historique, à 1,70 dollar la livre la semaine dernière. Qu’est-ce qui explique cela ?

Il semble que de grands producteurs comme la Chine, l’Inde, le Pakistan et la Russie ont connu des inondations et d’incendies, contraignant ces pays a reconstituer d’abord leurs stocks céréaliers avant de s’intéresser aux productions de spéculation. C’est pour cette raison que nous sommes plus ou moins rassurés que le cours du coton va se maintenir à un certain niveau pendant un certain temps. Il y a aussi un grand pays producteur de coton, le Brésil, qui a entrepris une politique de diversification et qui produit d’autres matières agricoles comme le soja et le maïs dans un contexte où le marché du coton traversait une période difficile.

A la différence du Burkina qui s’accroche au coton, le Brésil a la capacité de changer de produits de spéculation. Tous ces éléments nous amènent à penser que le cours de l’or blanc va se maintenir à un niveau intéressant mais, il faut éviter tout optimisme excessif car il n’est pas exclu qu’on ait une forte quantité de coton et que l’offre rattrape la demande, ce qui ramènerait le cours à un niveau plus ou moins raisonnable.

Avec le cours actuel, c’est quand même une bonne affaire pour vous, sociétés cotonnières…

Sans doute ! Mais il faut savoir que nous plaçons le coton une année à l’avance à un prix qui nous permet de rentrer dans notre prix de revient et nous met à l’abri d’une éventuelle dégringolade du cours. Nous avons opté pour cette politique commerciale afin d’éviter les risques d’autant que nous perdons de l’argent depuis six ans et ça ne pouvait pas continuer ainsi. Le prix en vigueur sur le marché international qui, il est vrai, est bon nous intéresse certes, mais c’est un prix que nous ne pouvions pas prévoir.

Les paysans qui avaient vendu leurs productions à l’avance, profitent-ils de cette embellie du cours ?

Evidemment ! Et c’est l’occasion pour moi d’apporter un éclairage sur la réalité de nos rapports avec les producteurs. On entend souvent ça et là des commentaires disant que nous réalisons de larges marges bénéficiaires sur le dos des paysans surtout quand le cours atteint son niveau actuel. Ce n’est pas exact. Je peux vous dire que dans notre zone, les producteurs de coton sont sereins ; le prix d’achat a été fixé à 180 F/kg et avant même que nous commençons à les payer, le cours est monté à 200F/kg et si la situation s’améliore encore au plan international, ils auront des ristournes. Vous savez, la filière cotonnière est sans doute la mieux organisée du Burkina et tout est clair dans le fonctionnement. Avant d’aller à la production, on connait déjà les prix du coton, en tenant compte du coût des intrants. A 200F/kg et avec la variété de coton que nous avons ici, je pense que c’est rentable.

Ce qui peut parfois susciter le décourageant, c’est quand nous ne parvenons pas à payer les producteurs à temps, au moment où ils ont besoin de leur argent pour payer la scolarité des enfants, organiser les cérémonies religieuses ou faire les fêtes de fin d’année. S’ils n’ont pas l’argent à cette période là, beaucoup peuvent se laisser aller au découragement.

Comment expliquez-vous le fait que l’opinion voit en vous, sociétés cotonnières, des exploiteurs des paysans ?

Il y a peut-être un déficit de communication de notre part, mais il faut nous comprendre. Dans le passé, quand nous étions encore à la Sofitex, nous avons dû faire face à des détracteurs, et la société a été obligée d’organiser des journées portes ouvertes pour les journalistes afin qu’ils s’imprègnent de la réalité et relaient la vrai information auprès de l’opinion et surtout des parlementaires avec qui nous n’avons pas la possibilité d’échanger directement et régulièrement.

Quand on entend par exemple qu’un pool bancaire a financé la Sofitex à hauteur de 50 milliards de F CFA, le commun des mortels se dit que la société a de l’argent et ne comprend pas pourquoi elle paie le kg de coton à 180 au lieu de 200 F CFA, voire plus ! Mais en réalité, les frais de campagne, qui sont incompressibles (intrants, transport, égrenage) coûtent chers et grèvent le budget de la société.

Non, les vrais exploiteurs des paysans ne sont pas ceux que l’on croit. Nous payons le coton graine autour de 180-200 F/kg et celui qui a un ha ne gagne pas moins de 200 000 F. En comparaison, si le même paysan cultive un champ de maïs, il vend le vend à 7000 F le sac au commerçant qui le revendra très cher aux fonctionnaires autour de 12 000F. L’expérience a montré que celui qui a fait du coton gagne mieux que celui qui cultive le maïs et ce n’est pas un hasard si les paysans s’orientent de plus vers le coton. Il ne faut pas se voiler la face ; si le consommateur achetait le maïs à son juste prix auprès du paysan, peut-être que la majeure partie des paysans aura l’embarras du choix entre le coton et le maïs. Mais ce n’est pas le cas !

A vous écouter, le coton est une bonne affaire dans laquelle on peut investir sans trop de risques…

Tout récemment, des banques ont accordé d’importants crédits à la Sofitex [NDLR : La signature de « Sofitex 20 » entre la Sofitex et un Pool bancaire national et international pour un montant de 50 milliards de F CFA a eu lieu le 12 janvier dernier à Paris.], preuve qu’elles y trouvent leurs comptes puisqu’elles ne sont pas des sociétés philanthropiques. Mais au-delà de ce cas, il faut voir les choses dans leur globalité : si la filière cotonnière va mal, c’est toute l’économie du pays qui en prend un coup. Rappelez-vous, la fermeture de la Société industrielle du Faso (Sifa) est intervenue exactement au moment où les sociétés cotonnières ont commencé à connaitre des difficultés financières et la Sifa ne parvenait plus à écouler les motos auprès des paysans, ces dernies ayant d’autres priorités.

J’ai vécu dans des zones où en fin de campagne, les paysans invitaient les autorités à discuter avec eux pour voir s’il fallait utiliser les ristournes qu’ils ont eues pour construire des écoles, des maternités ou des logements d’enseignants. Celui qui ne voit pas tous ces aspects et qui se contente d’une analyse superficielle des rapports entre les sociétés cotonnières et les paysans peut croire, à tort, que nous les exploitions. C’est ignorer que les paysans d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’y a 50 ans ; ce sont souvent des fonctionnaires en activité ou en retraite, qui ne se laissent pas faire

Il semble que vous encouragez la production de cultures céréalières. A priori ce n’est pourtant pas dans votre intérêt…

Effectivement nous encourageons la culture de produits céréaliers et les paysans utilisent d’ailleurs les engrais que nous leur vendons pour cultiver le maïs. Nous le faisons pour une raison simple : les paysans doivent réaliser l’autosuffisance alimentaire d’abord avant de chercher à faire une culture de rente. Si le cultivateur commence en fin de saison à acheter du maïs, c’est mal parti pour lui et pour nous. L’année où les greniers sont presque vides, les producteurs n’écoutent même pas ce que nous leur disons à propos du coton, leur objectif étant de reconstituer leurs stocks en céréales avant de chercher à faire la spéculation. Quand les prix des céréales sont bas, cela veut signifie qu’il y a du stock dans les greniers et l’année qui suit, nous savons qu’il y a aura plus de production de coton. Dans le cas contraire, ils vont s’investir plus dans les céréales que dans le coton.

Sachez aussi que lorsque nous exprimons nos besoins en intrants, nous prenons en même temps en compte les besoins des producteurs en engrais dont une partie est subventionnée par nous et l’autre partie par l’Etat, car nous savons qu’ils les utilisent aussi pour les céréales

Mieux, la SOCOMA est en train de vulgariser un produit qui n’a rien à voir avec le coton : le tournesol ! Ca peut vous paraitre suicidaire, mais si ça prend, nous, on ferme boutique ! Mais nous vulgarisons le tournesol car nous voulons que le producteur ait une marge de spéculation.

A la différence de la Sofitex, on n’entend jamais parler de votre financement. La Socoma a t-elle des partenaires bancaires ou s’autofinance t-elle toute seule ?

Nous avons un partenaire qui est la Bank of Africa (BOA), et compte tenu de notre taille, elle est capable de supporter seule, l’enveloppe de nos besoins. Elle nous soutien à chaque campagne, mais il peut arriver que nous sollicitons une autre banque selon le niveau de production. Les besoins de financement d’une production de 30 000 tonnes ne sont pas les mêmes qu’une production de 50 à 60 000 tonnes. Nous n’avons donc pas besoin d’un pool bancaire et c’est pour cette raison qu’on ne nous entend pas sur les chaines de télé parler de pool bancaire. A l’inverse, les besoins de la Sofitex ne sont pas supportables par une seule société bancaire.

Quel est l’état de la production dans votre zone ?

Nous avons eu une évolution ascendante et avons enregistré un pic à 74 000 tonnes aux débutes des années 2000 avant de connaitre une chute, conséquence de la crise qui a affecté le secteur dès 2004. Il faut reconnaitre qu’à l’époque, on avait une bonne quantité de production, mais quand le prix du coton a commencé à dégringoler, la production aussi a considérablement baissé autour de 25 à 27 000 tonnes. Aujourd’hui, nous sommes à nouveau dans une phase ascendante et nous pensons que nous pouvons atteindre 50 000 tonnes, voire plus, l’année prochaine. La réalité est que la production suit le prix d’achat aux producteurs : plus ils gagnent, plus ils font le coton et s’ils sont mal payés, qu’ils n’arrivent pas à couvrir leurs besoins, ils en cultivent moins.

Afin d’atténuer la vulnérabilité du coton sur le marché international, une étude de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) avait recommandé la transformation d’au moins 35% du coton africain. Une recommandation restée sans suite, en raison semble t-il, de la cherté de l’énergie. Quel est votre avis sur cette question ?

Je ne suis peut-être pas bien éclairé sur la question car je n’ai pas tous les éléments du débat. Mais si je me réfère à ce qui s’est passé au Burkina avec Faso Fani, je dis qu’il faut prendre certaines précautions avant de se lancer. Lorsque nous sommes passés de l’appellation Voltex à Faso Fani, il y avait dans le même temps une politique de protection qui avait été mise en place au profit de la société. C’est elle qui habillait par exemple l’armée, certaines institutions et fournissait les tenues scolaires, ce qui lui permettait de fonctionner correctement.

Si on veut créer des sociétés de transformation dans la sous-région, il faudrait d’abord songer à les protéger en suscitant la consommation des produits de l’espace communautaire. Si nous ne sommes pas capables d’absorber cette production, je crains que nous partions perdant si la destination est le marché international. Il faut donc absolument trouver des mécanismes qui vont nous permettre de consommer ce que nous produisons et de produire ce que nous produisons. Si l’Uemoa décide un jour de transformer 35% du coton, c’est qu’elle saura à l’avance où écouler cette production. Elle aura eu certainement assez d’éléments pour décider dans cette direction

Quelle est votre position sur les Organismes génétiquement modifiés (OGM) ?

On dit que là où l’homme pose le pied, il commence à dégrader la nature. Dans cette affaire d’OGM, il faut dire qu’on ne cerne pas pour l’instant la totalité de la question et je me félicite que le Burkina ne soit pas retard sur le sujet. A l’heure actuelle, nous sommes concernés par le coton, notamment via la graine que nous consommons en huile et en aliments pour bétail. Si le gène de la graine ne contient pas de pas risque, tant mieux ! Dans le fond, est-ce que l’homme lui-même n’est pas en train de devenir un OGM ? Nous sommes immunisés contre certaines maladies mais certains médicaments peuvent avoir des conséquences qu’on ignore encore. Dans les boutiques, on voit des inscriptions « OGM » sur les boites de biscuits mais on les consomme quand même ; on émet déjà des déchets dans l’espace avec les satellites qu’on détruit. Qu’est-ce que tout cela va donner dans les années à venir ? Mais l’homme a toujours trouvé des solutions aux problèmes qu’il a créés et il faut confiance à son génie !

Interview réalisée à Fada N’Gourma par Joachim Vokouma

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Vos commentaires

  • Le 3 février 2011 à 13:08, par nakelgsida En réponse à : Inoussa Ouédraogo, directeur industriel de : « Les vrais exploiteurs des paysans ne sont pas ceux qu’on croit »

    Bonjour.
    Cet article est intéressant dans le sens que peut de débats sont initiés dans les cadre de l’économie agricole au Burkina.
    C’est la comparaison qui dégrade l’âne.
    Monsieur le directeur devrait parler de son coton et ne pas faire des comparaisons hasardeuses.
    Le coton et les cotonculteurs sont ceux qui ont reçus le plus de subsides de l’Etat de toute l’histoire agricole du Burkina.(Pourquoi ?).
    Depuis 2008 que le même traitement est entrain de s’appliquer aux cultures de riz, de mais et aux légumes, etc, et il est perceptible que le coton n’est pas la plus rentable pour l’agriculteur.
    Et si on appliquait le principe du pollueur payeur au système cotonnier pour des raisons de protection de l’environnement. je suis surs que les industriels du coton feraient grise mine. A cet effet j’invite Monsieur le directeur d’établir la géographie économique du coton Burkina depuis 1945, il comprendrait bien de choses.

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