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A un mois de la présidentielle béninoise, la position électorale du docteur Boni Yayi est jugée « très préoccupante » par son entourage.

Publié le lundi 31 janvier 2011 à 13h29min

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Difficile de croire que nous sommes à moins d’un mois, désormais, de la prochaine présidentielle béninoise dont le premier tour se déroulera le 27 février 2011 (le second tour étant programmé quinze jours plus tard et les élections législatives le 27 avril 2011). Et tout s’organise (enfin, c’est un bien grand mot pour qualifier un des plus grands cafouillages électoraux de l’histoire du Bénin d’ores et déjà annoncé) dans la précipitation. Liste électorale permanente informatisée (LEPI), Commission électorale nationale autonome (CENA), recensement, enrôlement, campagne… tout cela se fait dans un désordre indescriptible dont nul ne sait à qui il profitera.

Sûrement pas aux Béninois qui voient leur situation sociale se dégrader tandis que les « hommes d’affaires » et les « hommes d’église » (les uns se confondant de plus en plus avec les autres) font collusion avec les « hommes politiques » pour s’enrichir d’autant plus rapidement que la confusion économique est à son comble. S’ajoute à cela une situation sous-régionale fortement dégradée (non seulement du fait de la « crise ivoirienne » mais également d’une perspective électorale nigériane délicate) tandis que ce qui se passe à Tunis et au Caire n’est pas sans solliciter l’imaginaire des jeunes Béninois.

« Nous sommes dans une situation politique très difficile aussi bien dans le dialogue entre le parlement et l’exécutif, qu’entre le parlement et la Cour constitutionnelle, dans le dialogue entre la société civile et l’exécutif […] On a des difficultés importantes en matière de gouvernance ; la presse s’estime relativement bâillonnée. Au plan économique et financier, la situation n’est pas reluisante, loin s’en faut. Le pays traverse, depuis deux ans, une situation préoccupante qui s’est aggravée l’année dernière, en 2010, où l’exécution du budget a été partielle pour ne pas dire qu’elle a été arrêtée ». Ce diagnostic est celui du président de la BOAD, candidat à la présidentielle : Abdoulaye Bio Tchané (entretien accordé au quotidien L’Indépendant, le 10 janvier 2011, en marge de la 79ème session du conseil d’administration de la BOAD). C’est, dit-il, d’ailleurs, cette dégradation de la situation qui le « motive » à se présenter contre les deux poids lourds de la vie politique béninoise : le président sortant, le docteur Boni Yayi et l’éternel challenger, candidat de l’opposition unie, Adrien Houngbédji.

Dans l’entourage du chef de l’Etat, ce n’est pas la situation du pays que l’on juge « préoccupante », c’est celle du président-candidat ; dans un de ses courriels, un de ses plus proches collaborateurs évoque carrément « une situation très préoccupante ». C’est que l’entourage du chef de l’Etat, sa garde rapprochée politico-diplomatique, celle qui a une vision « extérieure » de la situation du pays et de l’image du chef de l’Etat, se pose la question de savoir si au palais de la Marina les « griots » de service qui gravitent toute la journée (et une partie de la nuit) autour de Boni Yayi ont conscience que quelques replâtrages de dernière minute ne pourront pas endiguer le flot du mécontentement populaire. En Afrique, aujourd’hui, les prévaricateurs et les prédicateurs n’ont pas bonne presse ; au Bénin, les uns ne vont pas sans les autres ; c’est d’ailleurs ce qui pose bien des problèmes à Boni Yayi.

Le problème de Boni Yayi, c’est surtout qu’il semble toujours porter plus d’intérêt a ses réseaux religieux qu’à ses réseaux politiques et sociaux. Et que le lobbying en faveur des « born again » occupe son temps. A la suite d’une « dépêche » sur le Bénin, un de mes interlocuteurs m’a rétorqué : « Plus que l’affaire « ICC Services », c’est l’emprisonnement sans cause de Simon-Pierre Adovèlandé, de la seule responsabilité de Yayi Boni, qui entraînera sa perte. Les évangélistes ne le lui pardonneront jamais ». Après 312 jours « dans les geôles de la prison civile de Cotonou », l’ex-coordonnateur du Millenium Challenge Account (MCA), le fonds US de lutte contre la pauvreté, a été mis en liberté provisoire par la Cour de cassation le vendredi 5 novembre 2010.

Accusé de malversations, Adovèlandé est une personnalité « pentecôtiste » ; mais, dans ce milieu, il aurait animé une fraction « rebelle » au chef de l’Etat et à son ex-ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Armand Zinzindohoué (viré à la suite de « l’affaire ICC Services »). Cerise sur le gâteau, Adovèlandé était présenté comme un postulant à la présidentielle 2011. Or, le « dossier Aldovèlandé » revient à la « une » à l’issue de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UEMOA (Bamako - 22 janvier 2011). Tchané étant candidat à la présidentielle, il fallait lui trouver un successeur à la tête de la BOAD. Le job est confié à Christian… Adovèlandé ; il va achever le mandat de ABT au titre du Bénin. Commentaire de la presse : « On se demande la logique à laquelle répond la promotion de Christian Adovèlandé, le frère de l’autre. Cet autre, nommé Simon-Pierre Adovèlandé, venait en effet d’être élargi par la justice après avoir passé un peu moins d’un an à la prison civile de Cotonou […] L’opinion se demande si Boni Yayi ne pose pas, en la matière, un acte de rachat, lui dont on croit voir la main derrière la mise au « gnouf » [de Christian Adovèlandé] ».

Au Bénin, rien n’est simple. Ce n’est pas du côté de la « politique politicienne » qu’il faut chercher des réponses aux questions, mais dans les connexions familiales, religieuses, affairistes qui sont le fondement de la classe dirigeante. C’est pourquoi, depuis que le régime de Mathieu Kérékou a été mis par terre (il y a vingt ans, le 2 décembre 2010, a été adoptée la Constitution qui a mis fin officiellement à dix-sept années de régime militaro-stalinien), les « nouveaux » présidents, Nicéphore Soglo et Boni Yayi, sont des « extérieurs ». Mais Soglo n’accomplira qu’un seul mandat avant que Kérékou ne revienne au pouvoir (pour deux mandats). C’est dire que le Bénin est devenu un désert politique ; il n’est plus un seul parti qui soit représentatif de quoi que ce soit, il n’y a que des « nébuleuses » formées de groupes hétérogènes, crypto-tribalistes, familiaux, religieux, affairistes… La crédibilité des acteurs politiques béninois est proche du zéro absolu et c’est « ailleurs » que les électeurs vont chercher, désespérément, les opérateurs de l’alternance ; sauf que les « technocrates », peu enclins à jouer un jeu « politico-politicien » classique sont à la recherche de formes d’organisation différentes. Soglo (qui fondera, après son accession au pouvoir, la Renaissance du Bénin), Yayi (lui aussi fondera, après sa victoire, les Forces cauris pour un Bénin émergent), Tchané ont joué ou jouent la carte du « candidat indépendant ».

Tchané revendique aujourd’hui le soutien de l’Alliance des partis politiques (APP) qui regrouperait une « trentaine de partis » ; c’est une vraie rigolade : ce ne sont même pas des groupuscules ; il compte d’ailleurs bien plus sur « une coalition de personnalités » (ABT 2011) et l’activisme d’autres « personnalités importantes de la société civile ». Adrien Houngbédji a fourré au fond de sa poche le drapeau du Parti du renouveau démocratique (PRD) qu’il avait créé en 1990 ; il est le candidat de l’Union fait la Nation (UN), ramassis de groupuscules dont aucun ne mérite le nom de parti. C’est dire le côté « sable mouvant » de la scène politique béninoise. Où rien n’est impossible ; mais où, jamais, rien non plus n’est possible. Surtout pas d’avoir un programme soutenu par un parti (et pas des groupes de lobbying distributeurs de prébendes et de billets, groupes ouverts à toutes les dérives) afin de mener une politique publique cohérente. Quand les Béninois auront usé leurs élites de « l’extérieur », il faudra qu’ils songent aux choses sérieuses. Se prendre eux-mêmes, politiquement, en main.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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