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Recyclage des emballages de ciment : Du système "D" au "deal"

Publié le mercredi 22 septembre 2004 à 07h29min

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Ce n’est pas de gaieté de cœur que Gérard Kinda dit Soumaïla a embrassé le métier peu connu de recycleur d’emballages de ciment. Soumaïla était jusqu’en 1998, un vendeur de ciment dont les affaires prospéraient. Mais ayant fait faillite, il n’avait d’autre choix que de se rabattre sur n’importe quelle activité susceptible de lui permettre de survivre « en attendant ». Mais jusqu’à présent, il n’a pas trouvé mieux.

« C’est avec un ami togolais que j’ai appris ce métier, » explique-t-il, insistant sur le fait qu’il fut l’un des pionniers, sinon le premier Burkinabè à exercer cette activité au Faso. « Il m’a montré comment je pouvais recycler le papier de ciment afin qu’il puisse être réutilisé. Pour ce faire, il faut une entente entre le briquetier et le recycleur. Le premier ne doit pas déchirer le sac de ciment, mais l’ouvrir suivant le collage initial. Lorsqu’il finit de vider les sacs, il nous revend les emballages vides à 75 FCFA, l’unité. »

Ainsi, le recycleur recolle l’emballage comme s’il contenait toujours du ciment. Pour le remplir de ciment, on tient l’emballage « debout » et on passe par deux petits orifices placés des deux côtés de l’emballage, tout en haut. Toute une technique que le « patron » a inculquée à ses apprentis. Car, lui ne colle plus, ne s’occupant que du « placement » de la marchandise.

Le système « D » à la perfection

Vers la fin des années 90 et antérieures, les emballages neufs provenaient des pays côtiers mais leur prix était assez élevé car l’unité coûtait 500 FCFA. « C’était dur pour les commerçants, » affirme Soumaïla. « Ils avaient pourtant besoin de ces emballages afin de récupérer le ciment en cas de déchirure du contenant initial. Lorsque nous leur proposé nos échantillons, ils les ont tout de suite adoptés car ils étaient bien faits et leur prix -300 FCFA l’unité- était jugé abordable. »

Avec le recul, Soumaïla est fier d’avoir contribué à « sauver » ses ex-collègues avant le déclenchement de la crise ivoirienne le 19 septembre 2002. « La crise ivoirienne nous a donné raison, » se félicite-t-il. « Ce sont ces papiers reconditionnés qui, exclusivement, ravitaillent le marché natioinal aujourd’hui. Du reste, personne ne veut plus ces emballages neufs. »

Ce système « D » a connu ses heures de gloire, comme l’atteste Adama Nikiéma, un autre « patron » du domaine, puisqu’il lui a permis de bâtir et de meubler sa maison en zone non lotie, où il vit avec femme et enfants.

« De nos jours, cette activité me permet difficilement de changer mon pneu arrière, » se plaint-il, un doigt pointé vers la roue arrière de sa « Ninja » noire.

Ce dont Nikiéma se plaint, c’est la multiplication des points de recyclage des emballages de ciment et la chute du prix du papier recyclé qui passé de 300 FCFA à 125 FCFA. « Ceux qui pratiquent ce travail sont devenus trop nombreux et même investi des villages où nous avions des clients. Parmi nos premiers fournisseurs que sont les briquetiers, il y en a qui collent leurs emballages eux-mêmes, » souligne-t-il avec amertume.

Souvent, lorsque Sylvain, un recycleur travaillant avec Nikiéma, revient de la ville, c’est en chantant ou en sifflotant, sans un seul papier sur le porte-bagages de son vélo. Alors tout le monde se met à sourire, sachant que le riz sera mangé avec de la viande en attendant le "dèguè" bien glacée pour compléter la « dose ». Cet après-midi-là, rentré bredouille, il jeta deux gros lots d’emballages recyclés (des « invendus »), puis il alla jeter le vélo au fond de la cour et s’en fut suivre un match de la ligue 2 française qui mettait aux prises Guingamp, l’équipe de Moumouni Dagano, à Lorient.

Ceux à qui Nikiéma et Soumaïla attribuent volontiers le titre de « nos partenaires » sont les commerçants demi-grossistes et détaillants de ciment. Comme la plupart de ses collègues, El Hadj Moussa Kiendrébéogo, au secteur 30, redoute les pertes qu’occasionnent (accidents) le transport du ciment, mais aussi et surtout le trop de zèle des manœuvres, ces « lanceurs de ciment », qui chargent et déchargent le ciment. Un autre « ennemi » du ciment, la pluie, peut elle aussi occasionner des pertes considérables et de surcroît, irréparables.

« Lorsque le papier d’emballage est abîmé, nous avons recours aux emballages recyclés pour y vider le ciment, » explique El hadj Kiendrébéogo avant d’ajouter que son activité marque le pas depuis le sinistre de Rood Woko. Aussi, même si le secteur du ciment enregistre une forte croissance, tous les acteurs n’en jouissent pas des fruits. « Au moment où le marché central battait son plein, les commerçants, grands et petits, construisaient beaucoup de villas et de « célibatériums ». Aujourd’hui, ils ne viennent plus, car nombreux sont ceux ayant mis la clé sous le paillasson. »

Abdoulaye Gandéma


Un sac de ciment à 2500 FCFA TTC ?

Lorsque l’on pénètre dans l’univers invisible du ciment, on s’aperçoit qu’un système mafieux y règne en maître des lieux. Sinon comment comprendre que quelqu’un vous propose un sac de ciment de 50 kg à moitié prix ? Selon Moumouni D., on peut obtenir le nombre de sacs que l’on veut à ce prix pour le ciment du Burkina et 3500 FCFA pour le ciment du Togo (CPA 45) contre 4500 FCFA, prix normal. A ce prix-là, la tonne reviendrait à 70 000 FCFA pour le CPA 45 made in Togo, le ciment le plus prisé de la place.

Ces sacs de ciment vendus au « marché noir » proviendraient des toutes petites quantités de ciment prélevées sur chaque sac, à raison de deux ou trois kg par sac. Ainsi, lorsque vous achetez un sac de ciment chez certains petits détaillants, le plus souvent, il ne vaut guère 50 kg. D’ailleurs, ce trafic ne se limiterait pas au seul ciment. Le riz, le maïs et même votre « beinga » national en seraient des victimes.

« Les dealers de ciment ont une manière de vider le sac de ciment sans l’ouvrir, » explique Moumouni D. « Pour certains petits détaillants, le bénéfice du ciment (évalué par des sources entre 2000 et 2500 FCFA par tonne), est trop insignifiant. Cette méthode leur permettrait de gagner un sac par tonne. »

Bien sûr, il y a également tous ces détournements opérés sur les grands chantiers du bâtiment et des ponts et chaussées qui alimentent un marché en pleine expansion au Burkina Faso et principalement à Ouagadougou. Il n’y a qu’à faire un tour du côté des cités AZIMMO ou de Ouaga 2000, avec ses hôtels et autres infrastructures futuristes, pour s’en convaincre.

A.G.

Sidwaya

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