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Bénin : La candidature de Abdoulaye Bio Tchané résulte de l’impéritie de l’entourage de Thomas Boni Yayi

Publié le mardi 11 janvier 2011 à 01h00min

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Abdoulaye Bio Tchané

Elle était attendue ; et même espérée par beaucoup qui s’y étaient préparés de longue date. Elle a fait l’objet de toutes les supputations (y compris de pressions exercées par Paris pour qu’il y renonce). Elle est désormais officielle : Abdoulaye Bio Tchané est candidat déclaré à la présidentielle 2011. Et sa déclaration de candidature est sans ambiguïté.

Dans un entretien avec RFI, il l’a dit clairement : ce sont les « dérives mafieuses » que connaît le Bénin qui justifient cette volonté d’être le prochain président de la République du Bénin, « un pays littéralement au bord de la faillite » du fait de l’absence de « résultats » du docteur Thomas Boni Yayi, notamment en matière de « corruption » et d’unité nationale.

ABT avait annoncé la couleur dès ses vœux aux Béninois à l’occasion de la nouvelle année. Après une année 2010 particulièrement difficile pour le « pays », les « entreprises », les « travailleurs », les « familles », les « femmes et les enfants », une année au cours de la laquelle « la cohésion sociale a été mise à mal et où la tension sociale a atteint des niveaux particulièrement préoccupants », 2011 s’annonce, dit-il, comme « une année de défis » : « consolidation de la paix » ; « restauration des valeurs » ; « développement effectif ». ABT évoque même un « désespoir » qui a touché le « fond » dès lors « que nous nous écartons de plus en plus des préoccupations essentielles de nos populations ».

Ces vœux une fois clairement énoncés, il était évident que sa déclaration de candidature allait suivre dans la foulée. Cela a été fait le mardi 4 janvier 2011 dans la salle du Palais des Congrès de Cotonou. Après avoir dénoncé un Bénin « désespéré », il propose « un Bénin triomphant » dont le gouvernement serait dirigé par un premier ministre doté de « pouvoirs réels », créateur d’emplois pour les jeunes (50.000/an) et de croissance (8 % à l’horizon 2015) ; et dont les deux « piliers économiques » seront le secteur rural et les services.

Voilà bien longtemps que ABT est en « réserve de la République ». Lors de la précédente présidentielle, il était trop étiqueté « ancien régime » : celui de Mathieu Kérékou (dont il avait été ministre des Finances de 1998 à 2002). Il fallait un homme de rupture qui ne soit pas un homme de parti : ce sera le docteur Thomas Boni Yayi. Qui réalisera un score exceptionnel au second tour (plus de 74 % des voix). Son élection laissait libre la présidence de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Elle tombera fort à propos dans l’escarcelle de ABT qui venait de passer six années comme directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI).

Lomé (siège de la BOAD), c’est quand même plus proche de Cotonou que Washington (siège du FMI). Très discret de l’autre côté de l’Atlantique, au point de se refuser à médiatiser ses activités, ABT va changer son fusil d’épaule dès lors qu’il sera revenu à quelques encablures de chez lui. A Lomé, il occupait un poste d’observation privilégié (ni trop loin, ni trop près et, surtout, éloigné de tout engagement politique partisan) pour juger des performances du nouveau président de la République du Bénin. Il était illusoire d’en espérer le meilleur ; mais pas au point d’en redouter le pire ! J’étais à Cotonou dès la prise de fonction de Boni Yayi ; j’avais dit alors que la nouvelle équipe risquait fort « l’isolement technocratique ». C’est ce qui est arrivé.

Le deuxième mandat de Kérékou avait laissé le Bénin exsangue. Plus encore, il n’y avait pas un seul placard sans un cadavre dedans. Boni Yayi, qui n’était pas un homme de parti et pensait ne devoir jamais l’être, se voudra en prise directe avec la « société civile » (cf. LDD Bénin 022 à 025/Mardi 18 à Vendredi 21 avril 2006). C’était en ignorer la réalité et ouvrir (largement) la porte à toutes les formes de populisme. Et quand on est Béninois, que l’on s’est longuement adonné au populisme politique (sous la forme d’un marxisme-léninisme tropicalisé), on en revient tout naturellement au populisme religieux (cf. LDD Bénin 032 à 038/Jeudi 29 juillet à Vendredi 6 août 2010).

Et la créativité béninoise s’est illustrée dans une « gigantesque escroquerie » (Boni Yayi) à la confluence du monde politique, du monde du business et du monde religieux (en l’occurrence évangélique) : « l’affaire ICC-Services ». Elle va disqualifier l’entourage de Boni Yayi au cours de l’année 2010, à la veille des célébrations du cinquantenaire de l’indépendance. Et ABT va, non sans malice, surfer sur cette vague, lui qui se voulait déjà, au temps de Kérékou (mais quelque peu en vain), le champion de la lutte contre la corruption. « Si le moment venu, les circonstances m’imposent d’être candidat à cette présidentielle, je ne me déroberai pas. Rien n’est interdit et rien n’est décidé », affirmera-t-il, dans un entretien avec Stéphane Ballong et Christophe Le Bec (Jeune Afrique - 25 juillet 2010).

Patron de la BOAD en un temps où l’Afrique redevenait crédible sur la scène mondiale, ABT, peu enclin par le passé à se confier aux journalistes, va multiplier les entretiens et les déclarations. Pas un sujet sur lequel il n’exprimera son point de vue. Qu’il s’agisse du rôle de la « communauté internationale », de l’effet « mondialisation », de l’évolution du marché financier africain et international, des questions énergétiques (le Bénin est aussi, en Afrique de l’Ouest, une « capitale » des délestages électriques), de l’intégration régionale, du nouveau traité sur le climat… Il signera plusieurs livres sur la lutte contre la corruption, l’émergence de l’Afrique (avec Paul Biya et… Youssou N’Dour).

Dans le même temps, sur le net, ses supporters vont multiplier les sites (particulièrement bien réalisés à l’exemple de < abt2011.com > tandis que Bio Tchané va développer son propre blog : < abiotchane.org >) appelant à sa candidature pour 2011 (« ABT, seule alternative crédible pour le Bénin en 2011 »). Il va même accepter de raconter son enfance, ses parties de belotte familiale, les prières (il est musulman), sa scolarité, ses amis… La leçon qu’il tirera de tout cela c’est « qu’il y a un temps pour faire chaque chose ; et que chaque chose doit être faite en son temps… ». Autant dire que lorsqu’il a officialisé sa candidature le mardi 4 janvier 2011, Bio Tchané était déjà bien engagé dans la campagne présidentielle, même s’il s’en défendait. Bien sûr, il pouvait ne pas y aller et apporter son soutien à Yayi Boni. Mais, pour cela, il aurait fallu que Boni Yayi soit en meilleure posture électorale.

« L’affaire ICC-Services », la fronde des députés qui ont demandé sa comparution devant la justice, une célébration du « Cinquantenaire » qui n’a pas tenu toutes ses promesses (il est vrai que Boni Yayi avait mis la barre très haut avec son Symposium international de Cotonou et son projet de Manifeste du Cinquantenaire), l’échec (annoncé) de la médiation conduite par Boni Yayi au nom de la Cédéao auprès de Laurent Gbagbo + la distanciation des chefs d’Etat de la sous-région vis-à-vis d’un homme qui les déçoit d’autant plus que beaucoup avaient (trop) espéré en lui, voilà, sans doute, autant d’éléments qui ont poussé ABT a franchir le Rubicon.

D’autant plus que, à Cotonou, où on se complait trop souvent dans les connexions affairo-politiques inextricables, quelques uns affirment que Boni Yayi ne serait pas en mesure de se présenter pour solliciter un second mandat et qu’il pourrait même être amené à démissionner avant la fin du premier ! C’est dire que rien ne garantit une présence du sortant au second tour ; ni même au premier. Ce qui laisse - sur le papier - toutes ses chances à ABT face au candidat « unique » (pour l’instant) de l’opposition (« L’Union fait la nation » = UN) : Adrien Houngbedji.

Sauf qu’au Bénin, plus qu’ailleurs, la politique n’est pas une science. Mais une affaire de réseaux ; et ce sont ces « réseaux » que, justement, ABT ne cesse de dénoncer. Pourra-t-il faire sans eux ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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