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Mais que diable est allé faire François Loncle, président du groupe d’amitié France-Burkina Faso à l’Assemblée nationale française, dans la galère des « gbagboïstes » ?

Publié le samedi 8 janvier 2011 à 19h23min

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Dans les relations que la France entretient avec l’Afrique il y a, bien sûr, le poids du passé. Une langue commune, une histoire (partiellement) commune, une formation (souvent) commune. Les élites françaises et africaines sont donc, généralement, du même coup, en étroite connexion. Qui pourrait s’en étonner ? Ajoutons à cela que la diaspora africaine en France n’est pas négligeable et que la proximité culturelle et sociale entre le continent noir et l’Hexagone est bien plus prégnante aujourd’hui qu’elle ne l’était lors des indépendances.

Ce n’est pas pour autant que l’Afrique passionne la France et que les Français ne confondent pas le tout (l’Afrique) avec les parties (une cinquantaine de pays africains) ! Dès lors, il serait déraisonnable que nous nous désintéressions de ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée. Alors, bien sûr, chaque fois que l’Afrique éternue, nous voyons une cohorte de Français bien intentionnés pour préconiser un traitement spécifique ou proposer sa boîte de Kleenex. Au sein de cette cohorte, il y a toutes sortes de gens ; les biens intentionnés, les mal intentionnés, les motivés, les gens de cœur et les arnaqueurs…

La « crise ivoiro-ivoirienne », depuis une quinzaine d’années, est un pôle d’ancrage pour tous ceux qui pensent être à même de donner (ou, plus encore, de « vendre ») des conseils ; ou entendent instrumentaliser cette « crise » dans une perspective politique franco-française ; ou encore pour régler quelques comptes avec leurs « bêtes noires ». On s’est donc habitué à voir débarquer en Afrique une flopée de « charlots », des éminences grises pas toujours blanches et toutes sortes de missionnaires dont les prises de position sont parfois acrobatiques.

La nouvelle « crise ivoiro-ivoirienne » est l’illustration de ce tsunami médiatique qui permet à tout à chacun de discutailler des affaires des autres, sans en connaître, bien souvent, ni les tenants ni les aboutissants. Presse, radio, télé sans oublier le net, c’est un déferlement de « points de vue » de personnalités qui, manifestement, n’ont pas vu grand-chose mais entendent le faire savoir. On me rétorquera que je participe à ce mouvement. Sauf que, pour moi, c’est un job. Et que, dès 1967, j’ai fait le choix de consacrer la totalité de mes activités d’économiste et de politiste à ce secteur géographique qu’est l’Afrique dans le monde ; choix qui m’a conduit à suivre des études spécialisées et à fréquenter ce continent de façon permanente. J’en ai retenu une leçon : il oblige à l’humilité. On pense savoir ; on ne sait rien ; on découvre jour après jour et, parfois, on s’étonne de redécouvrir ce que l’on avait oublié et on en tire d’autres conclusions.

Aujourd’hui, j’assiste avec effarement aux certitudes des uns et des autres. Je m’efforce de comprendre ; ils savent déjà. Et l’affirment péremptoirement. J’ai voyagé sur des vols long courrier plus d’un millier de fois ; ce n’est pas pour autant que je prétends m’y connaître pour ce qui est du pilotage des avions ou de leur maintenance. Des personnalités, dont l’essentiel de l’activité est consacré à autre chose que l’Afrique ou même les relations internationales, parce qu’elles ont séjourné quelques fois sur le continent et rencontré des personnalités africaines, pensent tout savoir de ce continent et entendent nous dire ce qu’il faut en penser. Cela m’agace. Et cela exaspère les Africains ; même si, par correction, ils n’osent pas trop l’affirmer.

Le 3 décembre 2010, au lendemain du deuxième tour de la présidentielle, François Loncle, député PS de l’Eure, membre de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, a publié un communiqué dans lequel il dénonçait « une campagne de suspicion et de dénigrement à sens unique dirigé contre les autorités ivoiriennes » par « la majorité des médias français, relayés, hélas, par un certain nombre de personnalités politiques ». Il ajoutait : « Dès qu’il s’agit de l’Afrique, ils sont, une fois de plus, les champions des donneurs de leçons », précisant qu’il s’agissait là d’une « certaine forme de néo-colonialisme [qui tient] lieu de discours aux bien-pensants et au politiquement correct ».

Ailleurs, car Loncle a beaucoup fréquenté les « plateaux » de télé, il n’a pas manqué de souligner que le problème n’était pas d’être « pro ou anti-Gbagbo » mais d’affirmer des « principes ». O.K. ! Mais la question qui se pose est de savoir à partir de quel moment on applique ces principes. Je n’ai pas entendu Loncle s’exprimer sur les conditions dans lesquelles Laurent Gbagbo a accédé au pouvoir en 2000, ni sur son mode de production politique, encore moins sur ses connexions économiques mafieuses, les « escadrons de la mort », l’affaire du Probo Koala, l’assassinat de journalistes français, le recrutement de mercenaires, ses délires « évangéliques ». Plus récemment, je n’ai pas entendu Loncle s’exprimer sur le « je ne serai pas battu. J’y suis, j’y reste » ou, encore, « on gagne ou on gagne » du « camarade » Gbagbo ; pas des bruits de couloir : des paroles publiques prononcées avant le premier tour de la présidentielle. Alors d’accord pour les « principes », mais encore faut-il qu’ils ne soient pas à géométrie variable.

Il y a pas loin de dix ans, au lendemain d’importantes manifestations contre le pouvoir en Algérie, Loncle, alors président de la Commission de affaires étrangères de l’Assemblée nationale (Jacques Chirac était à l’Elysée et Lionel Jospin à Matignon et Paris n’aimait pas Alger), avait glorifié un « peuple algérien [qui] manifeste son ras-le-bol, se révolte contre un Etat jugé inefficace et corrompu qui n’offre aucune perspective ». Il ajoutait : « Il faut que l’Union européenne et la communauté internationale accompagnent les efforts en direction de l’Algérie pour qu’elle surmonte ses difficultés » tout en soulignant que Paris (où le PS était au pouvoir) devait agir avec « beaucoup de prudence et de savoir faire et ne pas donner de leçon ». Je n’ai sans doute pas perçu l’évolution qui fait que la « communauté internationale » était une bonne chose en 2001 et une mauvaise chose en 2011.

Loncle est un élu « normand ». Et un blog d’un collectif normand, le mercredi 29 décembre 2010, titrait « François Loncle ou la voix de la raison ! », affirmant que Gbagbo « n’est pas homme à se laisser rouler dans la farine », qu’il « est clair que les puissants de ce monde veulent s’emparer des formidables réserves de pétrole et de gaz du golfe de Guinée » et que « tout laisse à penser qu’Alassane Ouattara est l’homme de la finance internationale ». Cerise sur le gâteau, ces « commentateurs » ne manquaient pas de nous avertir : « Après les assassinats de Patrice Lumumba, Thomas Sankara et autres leaders Africains, méfions-nous des remake sanglants. Méfions-nous des génocides répétitifs avec notre complicité ! ».

Loncle, président du groupe d’amitié France-Burkina appréciera la référence à « l’assassinat de Sankara ». Mais il n’y a pas que les Normands pour surfer sur le communiqué de Loncle. La RTI (qui, elle, n’a pas les états d’âme de Loncle : elle est « pro-Gbagbo » et « anti-Ouattara ») a repris en boucle son communiqué. Loncle n’est pas un débutant, ni politiquement ni médiatiquement. C’est un journaliste de profession (issu du Centre de formation des journalistes à Paris) qui a travaillé à Paris-Normandie (1963) puis à l’ORTF (1964-1968) ; venu des rangs de la CFDT, il a été le cofondateur puis le secrétaire national du Mouvement des radicaux de gauche (MRG) de 1971 à 1980 avant de rejoindre le PS en 1980 et d’être élu député de l’Eure dès 1981. En 2001, il stigmatisait en Silvio Berlusconi, alors candidat au poste de président du conseil italien, un « carnassier vindicatif ». C’était bien vu. Dommage qu’il n’ait pas la même acuité visuelle, aujourd’hui, pour voir qui est véritablement Gbagbo.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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