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Burkina Faso : 2011, année des fameuses réformes ?

Publié le vendredi 31 décembre 2010 à 02h26min

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Dans quelques heures, c’en sera fini pour 2010, happé, à son tour, par l’irrésistible loi du temps. De ses cendres naîtra, pour tous ceux qui ont l’ère chrétienne comme repère chronologique, le nouvel an 2011. Comme nous l’impose l’usage, le passage d’une année à une autre est marqué par deux symboliques : une rétrospective du cycle solaire qui s’achève et une projection, à grands renforts de vœux, sur celui qui point à l’horizon.

Sacrifions donc à la tradition. Brève rétrospective d’abord. A l’échelle mondiale, 2010 s’éclipse, lesté des effets de la crise financière de 2008 : le chômage continue d’exploser même dans les pays riches nonobstant les politiques volontaristes de relance économique ; le pouvoir d’achat des ménages poursuit sa dégringolade ; et la solidarité internationale va decrescendo, comme en attestent les coupes claires sur l’aide au développement. Alors que sur le plan des libertés d’opinion et d’expression des peuples se sont libérés des bâillons que leur imposaient des régimes autoritaires, dans le domaine de la liberté de conscience par contre, 2010 a été marqué par un regain d’intolérance religieuse.

Pour preuve, cette flambée de christianophobie en Asie et en Orient, parfois sous le regard approbateur des pouvoirs publics. En Europe, avec la percée de l’extrême droite dans plusieurs Etats, la lutte contre l’immigration, les menaces terroristes et le péril de l’intégrisme musulman commencent à déborder du cadre des valeurs républicaines et des principes d’humanisme. En Afrique, plus particulièrement au Nigeria, l’absurde guerre qui ensanglante cycliquement certains Etats vient rappeler la survivance du fossé de sang entre musulmans et chrétiens.

« Je tue, donc je crois » semble désormais, là-bas, le credo sur fond de loi du Talion. Sur le plan du bien-être matériel, le continent noir sort de 2010 économiquement et socialement prostré. Le pouvoir d’achat des travailleurs s’effiloche, le panier de la ménagère s’étiole et le désoeuvrement, véritable lèpre sociale, affecte gravement la jeunesse. Au plan politique, deux événements majeurs retiennent cette année l’attention : l’aboutissement de la transition guinéenne et l’enlisement de la crise postélectorale ivoirienne.

Après cinquante ans de galère sous la férule « sékoutouréenne » puis « lassanacontéenne », la Guinée est enfin parvenue, au terme d’élections plus ou moins équitables, à s’offrir son premier certificat d’honorabilité démocratique. Maintenant qu’elle a réussi, avec l’aide de la Communauté internationale, son atterrissage dans la cour des Etats de droit, reste aux Guinéens de créer les conditions de l’ancrage de la démocratie. En Côte d’Ivoire par contre, le processus de sortie de crise, le plus cher jamais connu dans le monde, a accouché d’un monstre : un Etat, deux chefs d’Etat et deux gouvernements.

Alors qu’on croyait que l’an 2010 emporterait avec lui les vieux démons de la politique, son dernier trimestre semble plutôt les avoir rendus plus maléfiques. Dans cette chienlit, peut-être la plus grave dans l’histoire politique du pays d’Houphouët-Boigny, née des résultats contestés du second tour de la présidentielle du 28 novembre dernier, les scénarii les plus apocalyptiques hantent tous les esprits. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) va-t-elle mettre à exécution sa menace d’intervention militaire contre le président Laurent Gbagbo qui n’entend rien céder sur la « légalité constitutionnelle » de sa victoire ?

Ce duel fratricide entre le « président légal », Laurent Gbagbo et le « président légitime », Alassane Ouattara, bien malin qui prédira le prix à payer pour en sortir une Côte d’Ivoire réconciliée avec elle-même. Une épreuve dont les répercussions atteindront les pays voisins, comme le Burkina Faso où l’année 2010 s’est écoulée, jusque-là, comme un long fleuve tranquille. Alors, qu’est-ce qui aurait marqué la mémoire collective des Burkinabé ? La célébration tambour battant du Cinquantenaire le 11-Décembre dernier à Bobo-Dioulasso ? La présidentielle de novembre qui a consacré, sans surprise, la victoire du président sortant, Blaise Compaoré, à hauteur de 80,15% ? Ou quoi d’autre ?

Ah oui, il y a ces réformes politiques et institutionnelles dont on entend parler. A commencer par le chef de l’Etat lui-même qui, à chaque occasion, en fait le leitmotiv de ses discours. Pour ne considérer que les plus récents, on retiendra son discours à la nation à l’occasion de la célébration du 49e anniversaire de l’Indépendance à Ouahigouya. Rebelote, à la veille du Cinquantenaire à Bobo-Dioulasso. « Tribelote » A sa prestation de serment le 20 décembre dernier au Palais des Sports de Ouaga 2000.

Pour autant, Blaise Compaoré ne pipe pas mot ni du contenu ni du calendrier de ces réformes projetées. Silence savamment entretenu qui nourrit toutes les conjectures : dans quel registre le locataire du palais de Kosyam compte-t-il imprimer son aggiornamento politico-institutionnel ? Serait-ce dans le sens proposé par son ex-bras, voire séculier, Salif Diallo, lors de sa mémorable interview parue dans le quotidien « l’Observateur Paalga » du 8 juillet 2009 ?

On se rappelle que dans cet entretien accordé à notre journal depuis son ambassade de Vienne, « Gorba », comme on le désigne dans certains milieux, a suggéré, entre autres, l’érection d’une cinquième République. Avec en toile de fond « un régime parlementaire », c’est-à-dire un système dans lequel le Premier ministre sera président du Conseil des ministres et chef de l’exécutif et le président du Faso incarnant la continuité de l’Etat et inaugurant de temps en temps les chrysanthèmes. Mal lui en prit. Ostracisé avec une rare violence verbale par ses « camarades » de parti, l’auteur de ces propositions n’en finit pas de traverser le désert et un froid glacial s’est abattu depuis sur ses relations avec le chef de l’Etat. Salif aurait-il parlé trop tôt ?

L’autre question que l’on se pose, c’est de savoir si « le grand patron » va emprunter la voie indiquée par ses groupies dévotes qui rivalisent de dithyrambes pour devancer ses désirs, sinon les susciter. Car, après avoir longtemps avancé de biais, le parti présidentiel, lors de la clôture de son troisième congrès extraordinaire tenu les 6 et 7 août 2010 à la maison du Peuple, a fini par afficher ouvertement ses desseins politiques.

Lors de cette rencontre-là, il a plu aux 3800 délégués, convoyés des quatre coins du Burkina, de formuler les propositions de réformes suivantes :
- le renforcement du pouvoir de contrôle de l’Assemblée nationale sur l’exécutif ;
- le renforcement de l’efficacité du Conseil constitutionnel ;
- la création d’un Sénat ;
- la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Ah ! La suppression de la clause limitative du nombre de mandats présidentiels ! La mère de toutes ces réformes !

Et comme pour prévenir que même amère la pilule passera, le président du CDP, Roch Marc Christian Kaboré, lors d’une conférence de presse, s’est dressé sur ses ergots : « N’en déplaise donc aux donneurs de leçons et aux marchands d’illusions, leurs agissements n’entameront en rien notre détermination à doter notre peuple de tout ce qu’il y a de mieux aujourd’hui en matière de démocratie ». Puis de trancher : « N’en déplaise à celles et à ceux qui, consciemment ou inconsciemment, se mettent au service des causes étrangères aux intérêts du peuple burkinabè [sic]. La seule limitation possible à la modification de la Constitution est la Constitution elle-même ».

Ne péchons pas contre l’esprit. Sur ce dernier point, le CDP n’a pas tort, même si l’argumentaire pèche par son réductionnisme constitutionnel. Effectivement, dans sa version actuelle, la loi fondamentale dispose que seules trois de ses dispositions ne sont susceptibles d’aucune révision : la forme républicaine de l’Etat, le multipartisme et l’intégrité territoriale. Le reste est modifiable et malléable à merci.

Si dans la forme donc aucun interdit n’est opposable à la modification de l’article 37, reste que dans le fond, l’éthique politique et un certain impératif moral posent problème à l’initiative des révisionnistes. De quel problème s’agit-il au juste ? De l’objet de la révision. Par essence, la loi est une règle juridique suprême, générale et impersonnelle. Or, pour nombre de Burkinabé, les velléités de suppression de la clause limitative sont sous-tendues par des considérations partisanes et personnelles.

« Il y a donc lieu de se poser la question à qui profiterait un retour en arrière en amendant de nouveau l’article 37 pour y faire sauter la limitation des mandats présidentiels consécutifs. Cela garantirait-il la paix sociale ou nous conduira-t-il devant les mêmes turbulences [NDLR : crise consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo] » ? Interrogation des évêques réunis en assemblée plénière annuelle de la conférence épiscopale Burkina-Niger du 15 au 21 février 2010. Du reste, la réintroduction du verrou constitutionnel en 2000 procède d’un consensus national obtenu par le Collège de sages dans ses recommandations pour un retour à la paix sociale après les graves troubles nés du drame de Sapouy.

Dans le contexte politique qui est aujourd’hui le nôtre, remettre en cause cette disposition consensuelle ne risque-t-il pas d’entraîner des incidents sur cette paix sociale chèrement acquise depuis les recommandations du Collège de sages et de la Journée nationale du pardon (JNP) qui s’est ensuivie ? A mi-chemin entre la présidentielle du 28 novembre 2010 et les législatives et municipales couplées de 2012, l’année 2011 est donc à cet égard une année où on devrait en savoir davantage sur toutes les interrogations.

Alain Saint Robespierre

L’Observateur Paalga

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