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Côte d’Ivoire : Quand les « rois mages » de la Cédéao, Boni, Koroma et Pires, sont les messagers d’une mauvaise nouvelle pour Laurent Gbagbo (2/2)

Publié le mercredi 29 décembre 2010 à 11h04min

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La Côte d’Ivoire est, actuellement, avec AQMI, le facteur le plus déstabilisant en Afrique de l’Ouest. Des rives de l’Atlantique jusqu’au golfe de Guinée. Le putsch électoral de Laurent Gbagbo, s’il réussissait, serait la porte ouverte à toutes les dérives. Mais, plus encore, ce serait la reconfiguration de l’économie ivoirienne au profit du centre « gbagboïste » et au détriment de la périphérie : Burkina Faso, Mali, Sénégal, etc. (les pays qui y ont la diaspora la plus visible).

Le problème n’est pas tant l’usurpation du pouvoir par Gbagbo que la détérioration constante de la gouvernance du pays. L’insupportable, c’est cela. Une économie ivoirienne en bonne santé est une condition vitale pour les pays de la sous-région afin de permettre la survivance des systèmes en place, quel que soit leur degré d’hégémonie ! Le sommet extraordinaire organisé à Abuja (Nigeria) par la Cédéao, le vendredi 24 décembre 2010, a été explicite en la matière : le problème c’est « la volatilité de la situation sécuritaire ». D’où cette action commune, ouest-africaine, qui est une grande première en matière de diplomatie africaine dans la mesure où elle se veut plus préventive (empêcher le pire) que curative. Et vise surtout à laisser penser que l’Afrique est en mesure de régler, elle-même, les problèmes qui la concerne.

Qui peut le croire ? Gbagbo est au pouvoir depuis dix ans (dont cinq ans hors du cadre constitutionnel) et, pour reprendre l’expression du quotidien burkinabè L’Observateur Paalga, la Cédéao n’est qu’un « Rambo de pacotille ». L’hôtel du Golf sera un champ de ruines avant que le premier soldat de l’Ecomog ait mis un pied à Abidjan ! Trois « rois mages » sont donc les messagers d’une mauvaise nouvelle pour Gbagbo : il est urgent qu’il dégage. Le Béninois Thomas Boni Yayi, le Sierra-Leonais Ernest Bai Koroma et le Cap-Verdien Pedro Pires. Ce sont des « petits frères », récemment élus et qui représentent les trois zones linguistiques (francophone, lusophone, anglophone), trois démocrates qui sont en bons rapports avec Gbagbo.

Après le Sud-Africain Thabo Mbeki et le Gabonais Jean Ping, président de la commission de l’Union africaine (qui vient de confier au premier ministre kenyan Raila Odinga le « suivi de la situation en Côte d’Ivoire »), ils sont la « voix de l’Afrique » qui entend s’exprimer sur la « crise ivoiro-ivoirienne » et faire oublier celle de la « communauté internationale » dont la tonitruance exaspère tout le monde. Bénin, Sierra Leone et Cap-Vert, trois petits poucets de la Cédéao dont la voix ne porte pas bien loin. Mais qui exprimeront sa détermination « diplomatique ».

Gbagbo saura ainsi jusqu’où il peut aller avant de s’engager trop avant dans une démarche suicidaire mais qui lui convient : il ambitionne de figurer dans le martyrologe de l’Afrique indépendante aux côtés des grandes figures de l’histoire du continent ! « La question du compromis n’est pas sur la table » a souligné le ministre nigérian des Affaires étrangères, Odein Ajumogobia, avant que ne débute le sommet d’Abuja. Compréhensible. La situation du Nigeria est, à la puissance dix, comparable - au niveau des risques - à celle de la Côte d’Ivoire : un vice-président qui accède au pouvoir à la suite de la mort du président et un pays toujours tenté par les sécessions sur des bases ethniques et/ou religieuses !

Les têtes d’affiche de la Cédéao (Jonathan Ebele Goodluck, le Nigerian ; John Evans Atta-Mills, le Ghanéen ; Blaise Compaoré, le Burkinabè ; Abdoulaye Wade, le Sénégalais) laissent donc le devant de la scène à des hommes qui, jusqu’à présent, n’avaient pas affirmé de position particulière sur la question de la « crise ivoiro-ivoirienne ».

Thomas Boni Yayi et Ernest Bai Koroma n’étaient pas au pouvoir lors de la réunion de l’avenue Kléber (janvier 2003), à Paris, qui a fait suite à la table-ronde de Marcoussis et qui visait (déjà) à marginaliser Gbagbo sur la scène politique ivoirienne ; il n’y a que Pedro Pires qui y était présent (il avait été élu pour un premier mandat le 22 mars 2001), mais vétéran de la lutte contre le colonialisme portugais, marxiste puis social-démocrate, il est, à 76 ans, en adéquation avec le leader ivoirien. Pires avait d’ailleurs, avant le sommet d’Abuja, proposé sa médiation via la RTP, la radio-télévision portugaise, dans le cadre de l’UA, considérant que « les positions extrêmes n’aideront pas à trouver une voie pacifique de sortie de crise ».

Koroma, le chef de l’Etat sierra-léonais, est, lui, de la génération de Gbagbo. Elu président le 8 septembre 2007, il vient de la société civile (il a longtemps travaillé dans le secteur de l’assurance) et a toujours milité pour « des relations très fortes, des relations d’amitié, de fraternité et surtout une collaboration continue » avec la Côte d’Ivoire où il s’est rendu en visite d’amitié et de travail, pour la première fois, en mars 2008. A noter que l’ancien premier ministre britannique, Tony Blair, considérait Koroma comme un « président exceptionnel ». Compte tenu du passé violent de son pays, Koroma a toujours souhaité renforcer son ancrage au sein de la Cédéao : « Nous savons que tout ce qui se passe dans un pays aura une incidence sur l’autre. Nous demandons à chacun de prendre les mesures qui permettront de consolider la paix autour des questions liées à la jeunesse, à l’éducation et à l’emploi ». Il a eu l’occasion de souligner que le procès de l’ancien chef de guerre libérien Charles Taylor, à La Haye, était l’assurance que « le cycle de l’impunité touche à sa fin et que personne ne peut se lever et s’installer au pouvoir par des moyens anti-démocratiques ».

La participation de Boni Yayi à cette « mission » est particulièrement délicate. Il a toujours été dans une grande proximité avec Gbagbo. Mais le numéro 2 de son gouvernement, le ministre d’Etat Pascal Koupaki, a été le directeur adjoint de cabinet de Ouattara (quand celui-ci était premier ministre de Félix Houphouët-Boigny) et son homme de confiance à la BCEAO. Gbagbo est leader d’un parti membre de l’Internationale socialiste tout comme son ami Bruno Amoussou, le plus sérieux opposant au régime de Cotonou. Par ailleurs, l’ancrage évangéliste est aussi fort chez Boni Yayi que chez Gbagbo. Simone Gbagbo, au lendemain du second tour de la présidentielle, a séjourné 48 heures à Cotonou pour, dit-on, y acquérir une villa et y prendre des contacts avec la communauté évangéliste du Bénin dont l’implication au sein du pouvoir est forte. C’est dire que Boni Yayi s’est embarqué pour Abidjan sans perdre de vue que « sa » présidentielle devait se dérouler dans moins de trois mois et que sa gestion de cette mission va être décortiquée par la presse béninoise, jamais tendre à son égard, et son opposition (proche, elle, de Gbagbo mais qui, jusqu’à présent, s’est efforcée de ne pas prendre position).

Moins qu’une médiation, et sûrement pas un ultimatum, cette rencontre sera une explication de texte dans une perspective de conciliation : les « rois mages » n’entendent sûrement pas se mettre en travers de Gbagbo et de leur propre opposition qui ne manquera pas d’instrumentaliser, quand il le faudra, leur démarche anti-putchiste. Quant à Gbagbo, il entendra démontrer qu’il est le seul président légal et légitime ; même si ses interlocuteurs s’efforceront de lui expliquer que son entêtement a des limites et que ces limites vont être rapidement franchies. Reste à savoir si Gbagbo est prêt à abandonner le pouvoir en empruntant une issue de secours ; ou s’il entend aller jusqu’au bout du processus dans lequel il s’est engagé voici dix ans : éradiquer totalement les populations « étrangères » de Côte d’Ivoire pour y instaurer une « république gbagboïste ». Au théâtre, cela peut avoir un sens (et un certain succès : Ubu Roi en témoigne) ; en matière de géopolitique, c’est bien plus risqué !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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