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SERGE THEOPHILE BALIMA, DIRECTEUR DE L’IPERMIC : "Lorsque le confidentiel devient accessible, il cesse d’être confidentiel"

Publié le jeudi 9 décembre 2010 à 01h51min

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Le célèbre site d’Internet Wikileaks, créé en 2006 et qui publie des fuites d’informations concernant des gouvernements, des entreprises et des administrations, a jeté un pavé dans la mare en divulguant des informations secrètes, notamment des télégrammes confidentiels des diplomates américains concernant tous les pays. En portant ces informations secrètes à la connaissance du public, Wikileaks renforce ainsi sa notoriété mais embarrasse l’administration du président Barack Obama.

Pour savoir ce que pensent les spécialistes de l’information sur le phénomène Wikileaks, l’intérêt qu’il y a en divulguant de telles informations, etc., nous avons rencontré Serge Théophile Balima, enseignant de journalisme, des sciences de l’information et de la communication à l’université de Ouagadougou, et directeur de l’IPERMIC (Institut panafricain d’études et de recherches sur les médias, l’information et la communication).

"Le Pays" : Que pensez- vous du phénomène Wikileaks ?

Serge Théophile Balima : Je pense qu’il faut que, de plus en plus le monde s’habitue à ce phénomène qui va se répandre.

Une nouvelle forme de liberté

Pourquoi ? Parce qu’il y a, à l’heure actuelle, une multiplication de sites qui est considérée comme une nouvelle forme de liberté dans le monde. Cette liberté est vraiment difficile à réguler. Nous sommes dans un monde aussi où le secret est de plus en plus combattu. Le secret est de plus en plus considéré comme quelque chose qui est contraire à la démocratie. Le maître-mot aujourd’hui, c’est la transparence et cette conception de la transparence a évidement des abus, mais ce sont des abus auxquels il faut s’habituer parce que nous sommes dans une nouvelle humanité qui a des valeurs qui vont de pair avec la transparence. La démocratie seule ne suffit plus. Il faut que la transparence s’ajoute à la démocratie et c’est cela le problème. Nous sommes dans un nouveau tournant et le débat est engagé. Il est ouvert et il ne sera pas facile de trouver des solutions pour réguler ces genres de choses.

Comment qualifiez-vous l’acte de Wikileaks ? S’agit-il de journalisme ou non ?

Si on se réfère aux habitudes classiques, ce n’est pas du journalisme parce que cela apparaît comme une violation d’un certain nombre de secrets professionnels.

La recherche de l’information n’a plus de limite sérieuse

Mais, si on se met dans la perspective de ce nouveau siècle débutant, il faut se dire que la recherche de l’information n’a plus de limite sérieuse. Tout ce qui est confidentiel intéresse de plus en plus les acteurs de l’ensemble des sociétés civiles. Cela fait qu’aujourd’hui, par rapport au monde en évolution, en mutation, ce que Wikileaks a fait est tout à fait dans la perspective de demain. Mais aujourd’hui, je comprends qu’à cette phase de mutation et de transition, les esprits ont du mal à s’accommoder de ces genres de choses. Mais il faut qu’on s’habitue à ne plus travailler avec le secret.

Wikileaks est-il en train de révolutionner l’information et le journalisme d’investigation ?

Oui, certainement. C’est dire que les journalistes ont désormais de nouvelles sources d’information si bien que la manière de pratiquer le journalisme va changer et les journalistes sont obligés aussi d’adapter leur façon de travailler au fait qu’aujourd’hui, il y a plusieurs offres d’information au niveau de la planète. Ce que les journalistes doivent faire, c’est de travailler à labéliser les informations qu’ils diffusent. Autrement, il va y avoir des individus qui vont aussi se proclamer diffuseurs d’information. Cela peut créer un désordre dans un premier temps mais croyez moi, ce désordre sera réajusté par la force des choses.

Wikileaks a-t-il dépassé les bornes en divulguant ces télégrammes confidentiels ?

Je pense que si on reste classique évidemment, Wikileaks outrepasse ses compétences ou si vous voulez, les normes en vigueur. Mais les normes sont en train de changer justement. Je crois qu’il faut qu’on comprenne que tout ce qui est écrit n’est jamais confidentiel parce que l’Internet laisse des traces et tout ce qui contient des traces ne sera plus confidentiel. Cette nouvelle mentalité, nous avons du mal à y entrer. Mais il faut qu’on comprenne qu’il faut désormais travailler avec l’idée que la transparence est devenue une nouvelle valeur.

Ce qui comporte des inconvénients comme la révélation de tant de messages confidentiels envoyés par des ambassadeurs américains à leur pays. Mais il faut que les gens s’assument de plus en plus. Il y a que l’homme dans la société a toujours voulu et veut percer le mystère. Aujourd’hui, nous sommes dans une civilisation immatérielle qui donne les moyens aux acteurs de pouvoir percer les secrets. Donc, il faut se mettre dans cette dynamique pour ne pas avoir des surprises désagréables. Tout ce que nous faisons, nos communications, nos messages (SMS) est enregistré dans le système satellitaire mondial.

Nous devons contrôler de plus en plus nos messages

Donc, il faut se mettre à l’idée que nous devons contrôler de plus en plus nos messages et nous assumer avec beaucoup de transparence.

Les journaux qui reprennent ces informations sont-ils passibles de poursuites judiciaires ?

A mon avis, c’est difficile dans la mesure où ils citent leurs sources. C’est quand même un site qui les a diffusées et en réalité, ces informations ne sont pas erronées. Ce sont des informations qui ne devraient pas être diffusées parce qu’on leur a donné un caractère confidentiel. Mais lorsque le confidentiel devient accessible, il cesse d’être confidentiel, cela va de soi. C’est vrai que la législation concernant Internet s’inspire aussi du droit de l’information habituel mais il y a des aspects que le droit en vigueur ne peut pas couvrir. Tout simplement parce qu’il y a sur le plan technologique, une évolution tellement rapide de la technologie et des usages que le droit est en retard par rapport aux technologies et aux nouveaux usages qui sont faits.

Si bien que le droit est encore en porte-à-faux avec la pratique de plus en plus dominante. Donc, il va falloir que la législation s’adapte aussi rapidement à l’évolution de la technologie et à l’évolution de nombreux usages et c’est cela qui cause problème dans la conception et la mise en oeuvre d’un droit applicable à l’Internet.

En tant que professionnel de la communication, quel intérêt y a-t-il en divulguant de telles informations secrètes ?

Oui, il y a des intérêts stratégiques. D’abord sur le plus commercial, cela permet à ces sites-là de s’imposer au niveau de la concurrence parce qu’il y a tellement de sites dans le monde, qu’en cherchant l’originalité, c’est un peu en exploitant aussi les critères de sélection de l’information. Vous savez que tout ce qui entraîne une rupture avec la normalité apparaît comme une information d’urgence. Et Wikileaks n’a fait qu’exploiter cette donne pour faire parler de lui, même si aujourd’hui, il a du mal à trouver des pays qui puissent l’accepter. Mais croyez moi qu’il ne peut pas ne pas en trouver. C’est sûr qu’il en trouvera au bout du compte.

Wikileaks n’est-il pas un exemple type de dérive de l’information ?

A mon avis, je n’irai pas jusque-là pour dire cela. Comme je vous l’ai dit, il faut sortir du XXe siècle pour aller au XXIe siècle. Tout ce qui était secret au XXe siècle, ne le sera plus au XXIe siècle parce que la conception du secret est considérée comme contraire à la bonne gouvernance. C’est pourquoi on demande de plus en plus de transparence. L’imputabilité doit être davantage prononcée. Vous voyez que la recherche de la transparence cause problème surtout dans les pays africains. Si vous prenez les élections en Côte d’Ivoire où on a instauré un système de transparence verrouillé parce que les élections sont contrôlées par beaucoup d’acteurs internationaux, cela pose un certain nombre de problèmes. Mais il faut que les pays africains s’habituent à une gouvernance fondée sur la transparence et que les messages diplomatiques que l’on envoie aient un caractère confidentiel.

Mais tout ce qu’on écrit, tout ce qui laisse des traces va cesser d’être confidentiel bientôt parce que c’est un peu une civilisation du voyourisme, c’est-à-dire qu’on veut tout savoir, tout mettre sur la place publique et cela est une nouvelle civilisation dans laquelle nous entrons mais nous devons nous y adapter.

Cette nouvelle civilisation ne comporte-t-elle pas trop de risques ?

Elle comporte des risques comme dans toutes civilisations mais je crois à la sagesse de l’homme et qu’au bout du compte, les gens vont pouvoir s’auto-réguler parce que dans cette société, l’éducation traditionnelle ne pourra plus avoir suffisamment d’emprise sur les individus. Ce qui compte aujourd’hui, ce sont les questions d’éthique, c’est-à-dire, une sorte d’auto- régulation des usagers et c’est pourquoi il est difficile d’élaborer une législation sur cette nouvelle société de l’information. On l’appelle société de l’information parce que justement, c’est une société dans laquelle la circulation des flux est devenue mille fois plus intense et plus diversifiée. L’information ne descend plus de manière verticale.

Elle descend aussi de façon horizontale et à cela, il faut s’habituer parce que la société dans laquelle nous vivons est en train d’entrer et on n’y peut rien. Résister à cela, c’est une peine perdue parce que dans 20 ans, vous verrez que tous ces mythes vont tomber et les journalistes vont s’adapter à la nouvelle donne. Les acteurs politiques et publics vont également s’y adapter parce qu’il y a la traçabilité aujourd’hui qui fait qu’on est dans une société de plus en plus transparente.

Doit-on donc s’attendre à un monde plus transparent dans les années à venir ?

C’est sûr, le monde sera de plus en plus transparent et de plus en plus difficile à gouverner et cela va entraîner aussi un changement de mentalité sinon la façon de faire. Mais l’homme va toujours se battre pour conserver le secret parce que le secret c’est l’homme. Lorsque tous les secrets de l’homme sont étalés à la place publique, cela porte préjudice à son identité et à l’image qu’il veut donner de lui même vis-à-vis du monde extérieur. Mais il faut que nous soyons prudents dans tout ce que nous faisons parce que rien n’empêche que demain, cela soit porté sur la place publique.

Propos recueillis par Dabadi ZOUMBARA

Le Pays

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