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Sénégal : La fin des délestages électriques avec Cheikh Tidiane Mbaye ?

Publié le mercredi 24 novembre 2010 à 01h28min

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Lénine l’affirmait : « Le communisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification du pays ». Je ne sais ce qu’est le capitalisme puisque ce mode de production affirme être, historiquement, le plus en adéquation avec la nature humaine ; mais il est incontestable que sans « électrification du pays », c’est un « vrai bordel ».

Il n’est pas un Sénégalais (le Sénégal n’est pas le seul pays d’Afrique, ou d’ailleurs, confronté à ce problème) qui dira le contraire. Les « délestages » sont une plaie économique, sociale, politique. Celui qui parviendra à en guérir le pays sera assuré d’un avenir radieux. C’est que le « délestage » n’est pas nouveau au Sénégal. C’est le premier mot qu’apprennent les enfants dans les familles quand la télé ne marche plus.

Le premier contrat de « production et de distribution d’énergie électrique dans la commune de Dakar » a été signé avec M. De Traz le 18 juin 1907 ; il sera à l’origine de la création, voici un siècle (4 janvier 1910), de la Compagnie d’électricité du Sénégal (CES) qui construira la centrale thermique à Bel Air. La CES, déjà, se plaignait qu’il n’y avait pas « adéquation entre le prix de revient et le prix de vente de l’électricité ». Ce n’est qu’en 1971 que les installations de production et de distribution d’électricité seront nationalisées : « Il n’est pas pensable, dans un pays indépendant, que ce secteur soit laissé à une entreprise privée », affirmait-on alors. Electricité du Sénégal (EDS) deviendra propriétaire des installations et responsable des investissements, la Société sénégalaise de distribution d’énergie électrique (Senelec) étant en charge de l’exploitation et de la distribution.

En 1983, Senelec absorbera EDS. Depuis quarante ans que je « bosse » sur l’Afrique, j’ai toujours entendu parler des problèmes techniques et/ou financiers des EEOA, EDS ou Senelec. Ibrahima Ndao, directeur général de Senelec, m’affirmait, au début de la décennie 1990, son ambition d’utiliser la centrale de… sous-marins nucléaires désarmés pour produire de l’électricité ! C’est dire que cela fait un bout de temps que le Sénégal cherche la solution à son problème. Ndao avait même mis en place une « stratégie d’ajustement structurel » de la Senelec, dont le sigle « SAS » signifierait « défi » en wolof.

Les présidents de la République, les ministres de tutelle, les directeurs généraux de la Senelec ont tous été confrontés au « délestage ». Le journaliste Mamadou Seye, dans Le Soleil du mercredi 21 juillet 1993 (je dis bien 1993 !), écoutant Abdourahmane Ndir, qui venait d’être nommé DG de la Senelec, lui expliquer que, du fait de l’obsolescence des équipements, « on est obligé de délester », ajoutant : « et pour éviter de délester tout le monde, on a mis au point un programme de délestage tournant », avait rétorqué : « Mais ça ne va pas continuer comme ça tout de même ? », Ndir avait répondu : « Non ». Je ne sais ce qu’est devenu Ndir (il doit être à la retraite), mais le délestage, lui, « tournant » ou pas, est toujours là.

Confronté à son tour à ce problème qu’il ne savait pas comment l’affronter, Samuel Sarr, ministre de l’Energie, a été promu à l’automne 2010 ministre d’Etat et conseiller financier d’Abdoulaye Wade ; Karim Wade a hérité de sa charge. Sarr avait été auparavant directeur général de la Senelec. Il voulait en faire « une société attrayante au service du développement économique et social de notre pays et du personnel ». Là, déjà, c’était le ratage !

A l’occasion de son passage à la Senelec, Sarr aura gagné un surnom : « démocrate délestage » ; c’est dire que tous les Sénégalais, riches comme pauvres, entreprises comme abonnés individuels, sont tour à tour « délestés ». Youssou Ndour en fera une chanson à succès : Leep mo lendem (« tout est obscur »). Un Comité national de lutte contre les coupures d’électricité au Sénégal s’est mis en place et a multiplié les « marches » de protestation. Le départ de Sarr et l’arrivée de Karim Wade ne résolvaient pas, pour autant, le problème. Karim, ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et, désormais, de l’Energie, ne saurait être partout. L’irruption de Cheikh Tidiane Mbaye comme PCA de la Senelec, en remplacement de Serigne Babacar Diop, devrait permettre de remotiver les salariés de l’entreprise et de laisser espérer ses abonnés.

CTM n’est pas un nouveau venu dans le secteur industriel. Loin de là. Il a même une sérieuse réputation. Né en 1956 (c‘est un des fils du juriste international Kéba Mbaye, ancien président de la Cour suprême, décédé le jeudi 11 janvier 2007 - cf. LDD Sénégal 073/Vendredi 12 janvier 2007), « prépa » aux grandes écoles à Janson-de-Sailly, dans le XVIème arrondissement parisien, ingénieur de l’Ecole nationale supérieure des télécommunications (ENST-Paris), diplôme de statisticien-économiste de la prestigieuse (mais trop méconnue) Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), il a débuté sa carrière en France où de 1980 à 1982, il sera en charge du développement des systèmes de gestion automatique des stocks chez le premier distributeur français de produits pharmaceutiques.

De retour au Sénégal, en 1983, il rejoindra l’Office des postes et télécommunications (OPT) où il travaillera comme ingénieur avant d’être nommé, très rapidement, à la division des projets et études où il sera chargé de mettre en place le plan de développement des télécommunications du pays. En 1984, il sera nommé directeur des télécommunications à l’OPT, poste qu’il occupera jusqu’en octobre 1985. La Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel) venant d’être créée ; il y débutera comme directeur des études et de la planification avant d’accéder, à 32 ans, à la direction générale de l’entreprise.

Nous nous sommes longuement rencontrés en février 1989, quelques mois après sa nomination à la tête de la Sonatel. Il prônait le « développement d’un nouvel état esprit » afin de démontrer qu’il n’y avait pas de « fatalité de l’échec de l’entreprise d’Etat ». « Investir, me disait-il, ce n’est pas compliqué. C’est après que cela le devient, lorsqu’il faut maintenir ces équipements en état et gérer le développement du réseau […] C’est un des problèmes fondamentaux de l’Afrique ». Il ajoutait : « Nous ne sommes pas une administration mais une entreprise qui vend du service, un service de la meilleure qualité. Ce n’est pas aussi simple qu’on peut le croire et cela impose de nouveaux comportements ». CTM va faire de la Sonatel une entreprise performante, capable d’investir dans l’innovation technologique (on se souvient du réseau national de transmission de données par paquets, Senpac-Sénégal, qui préfigurait le réseau internet) avec du personnel… sénégalais. Il réussira également la privatisation et l’entrée en bourse de Sonatel dont il occupe toujours la direction générale.

Conscient de « la grave crise que connaît la Senelec », CTM est chargé « de proposer un nouveau mode de fonctionnement du conseil d’administration pour assurer une plus grande implication des travailleurs dans la gestion de l’entreprise et renforcer ainsi les performances et l’efficacité de la Senelec ». A noter qu’un comité de restructuration et de relance, composé de personnalités « d’horizons divers », est chargé de dresser l’état des lieux (un désert technologique et managérial) afin d’obtenir « une image fidèle, réelle, chiffrée et transparente ».

Il y a urgence si les responsables politiques sénégalais veulent que le « courant passe » avec une population excédée par le « délestage » et des entreprises qui n’en peuvent plus d’être dépendantes d’une entreprise de service public en situation de monopole dont les responsables ont laissé pensé, jusqu’à présent, qu’ils n’avaient « rien à foutre » des problèmes des Sénégalais.

Jean-pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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