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Université de Ouaga : Les étudiants et le scrutin du 21 novembre

Publié le vendredi 12 novembre 2010 à 02h05min

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Combien sont-ils à être inscrits sur les listes électorales ? De ceux qui sont inscrits combien iront-ils voter le 21 novembre 2010 ? Parmi les votants, comment se fera la répartition des voix entre les candidats ? Autant de questions qu’on peut se poser concernant ce temple du savoir. Une enquête réalisée, dans le cadre d’un stage de terrain effectué par un groupe d’étudiants en sociologie, nous donne quelques éléments de réponse dans le texte qui suit. Le stage était encadré par Boureima Ouédraogo.

Contexte de l’étude

Pour introduire, il convient de présenter le contexte de l’étude. Il s’agit d’une enquête réalisée dans le cadre du stage de terrain d’un groupe d’étudiants en sociologie à l’Université de Ouagadougou (le stage de terrain est un module de formation pratique à la recherche intervenant en année de licence). L’enquête portant sur le thème général de la participation politique des étudiants, s’est effectuée en deux temps par les étudiants eux-mêmes :
- fin juin 2010, auprès d’un échantillon visé de 400 étudiants (filles et garçons), cette première phase a vu la participation d’un groupe d’étudiants en sciences politiques de l’Université de Grenoble en visite à l’université de Ouagadougou,

- mi-octobre 2010, auprès d’un échantillon visé de 400 étudiants (filles et garçons), enquête réalisée entièrement par un groupe d’étudiants et étudiantes en 3e année de sociologie. Signalons qu’à la différence de la première phase qui a porté globalement sur les étudiants de l’Université de Ouagadougou, la seconde phase a tenu compte des UFR, ainsi 7 UFR et 1 Institut ont été touchés. Il s’agit des UFR : SEG, SJP, SH, LAC, SVT, SDS, SEA et de l’IBAM. Précisons pour terminer que les deux enquêtes ont bénéficié de l’appui d’étudiants avancés.

Intérêt de l’étude

Plusieurs raisons justifient l’intérêt de cette étude ; tenons-nous en essentiellement à deux : la première a trait à l’importance de la composante sociale et électorale que représente le monde estudiantin, la seconde a trait aux modes d’expression politique de cette composante sociale.

Le monde estudiantin est une composante importante du corps électoral potentiel : d’abord au regard de sa jeunesse, ensuite du fait qu’elle est partie intégrante de l’élite politique et intellectuelle du pays (vivier des futurs responsables politiques de la cité), enfin de par sa diversité, il constitue un microcosme social plus ou moins représentatif de l’espace social burkinabè.

Assistant ces dernières années à la crise de l’Université et à la recrudescence de la violence estudiantine intra et extra muros, interrogeant simultanément le statut de la violence dans les manifestations des étudiants, la période préélectorale offrait une opportunité : observer et tenter de comprendre la position et la prise de position des étudiants par rapport au suffrage universel qui est un espace normalement démocratique et pacifique de l’expression politique.

La problématique générale de la recherche est construite autour de la participation politique des étudiants ; elle prend en compte la question des inscriptions sur la liste électorale, les intentions de vote déclarées (les préférences électorales), les intentions d’abstention.

Il s’agissait de voir si le faible taux d’inscription sur la liste électorale constaté au niveau de la population globale se répétait au niveau de la population estudiantine, et si d’une manière générale cette dernière s’intéressait davantage à la vie politique du pays. L’hypothèse générale était que le faible taux d’inscription sur la liste électorale au niveau de la population globale était probablement identique au niveau étudiant.

En outre, nous pensions que l’univers estudiantin était plutôt animé par des intentions abstentionnistes au sujet du scrutin à venir. Ce qui nous paraissait inquiétant pour l’avenir de la démocratie : l’abstention pouvant être considérée comme le non-exercice du droit de vote, du droit d’exercice de la citoyenneté, finalement le déclinement d’une invitation démocratique. Les résultats obtenus sont heureusement différents des pronostics, mais avant de les livrer il convient de s’arrêter sur quelques considérations méthodologiques.

Méthodologie

Nous faisons tout d’abord une mise en garde contre toute extrapolation abusive : la taille restreinte de l’échantillon (moins de 1% de la population-cible) n’autorise pas une extrapolation à l’ensemble des étudiants de l’Université de Ouagadougou. A cela il faut ajouter les limites du mode de tirage aléatoire (échantillonnage sur place : en fin juin comme en mi-octobre seuls les étudiants présents sur le campus ont pu constituer la base de sondage). Enfin, il ne faut pas exclure des biais liés à l’identité de l’objet et du sujet de l’enquête (des étudiants enquêtant sur d’autres étudiants).

Nous faisons également une mise en garde contre toute utilisation à des fins manipulatrices. Le recadrage du titre donné à l’enquête est une prudence que nous-mêmes avons estimée être de mise : en effet, au départ il était question des intentions de vote des étudiants de l’Université de Ouagadougou.

Résultats

1) Répartition des enquêtés en fonction du sexe

L’observation a porté aussi bien sur les garçons que sur les filles. L’enquête de juin a touché 380 étudiants au lieu de 400 visés (20 questionnaires n’étant pas rentrés), sur les 380 étudiants les garçons et les filles représentaient respectivement 67,9% et 32,1%. Cette répartition en fonction du sexe donnant en gros 2/3 de garçons contre 1/3 de filles au niveau global, reste quasiment la même chose partout sauf au niveau des UFR SVT et SEA où le rapport est de 9/10e de garçons contre 1/10e de filles.

2) Inscriptions sur les listes électorales

La première surprise, c’est qu’à la différence de la population globale, les étudiants enquêtés se sont massivement inscrits sur la liste électorale (71,1%, selon l’enquête de juin). Cette tendance se confirme presque partout à l’issue de l’enquête d’octobre. Puisque l’enquête d’octobre révèle que les inscrits sur la liste électorale sont : 70% à l’UFR/SEG, 76% à l’UFR/SJP, 71% à SDS et LAC (réunies), 69% à SVT et SEA (réunies), 73% à SH et IBAM (réunies).

3) Intérêt pour la politique

Deuxième surprise : on s’attendait à ce que les étudiants manifestent un désintérêt pour la chose politique ; la réalité telle qu’elle sort de l’enquête est tout autre. L’enquête de juin révèle que les étudiants enquêtés se disent :
- « être concernés par la politique » à 31,6%
- « être très concernés par la politique » à 60,0% En outre, ils considèrent à plus de 92% que « les citoyens doivent être plus actifs dans la remise en cause des actes de leurs dirigeants ». Sur les 324 inscrits : 37% ne sont pas membres d’un parti politique et 37,9% ne trouvent pas d’intérêt à la vie politique.

Cette dernière mention mérite un commentaire : il y a manifestement ici un amalgame entre, d’une part, le sévère jugement porté sur les hommes politiques par la majorité des enquêtés (comme on le verra plus loin) - chose qui les conduit à déconsidérer la vie politique - et, d’autre part, le rejet du politique. Bien au contraire, tout montre que la majorité des enquêtés restent attachés aux enjeux sociétaux et aux questions de gouvernance ; d’ailleurs ils présentent le vote dans leur immense majorité comme un droit et un devoir de citoyenneté qu’ils entendent exercer.

4) Intention d’aller voter

Troisième surprise : on prêtait aux étudiants des intentions abstentionnistes ; ce n’est point le cas pour ceux qui se sont inscrits sur la liste électorale : 92,6% de ceux qui se sont inscrits déclarent qu’ils iront voter (donc pas d’intentions abstentionnistes). Cette tendance se confirme au niveau de toutes les UFR où les taux d’intentions abstentionnistes sont partout inférieurs à 5% ; à l’instar des UFR SVT et SEA où 4% seulement des inscrits ne comptent pas aller voter.

5) jugements portés sur les hommes politiques

A plus de 43%, les étudiants enquêtés trouvent que les partis en présence manquent de crédibilité. Au niveau des UFR SVT et SEA par exemple, ils sont 58% à ne pas avoir confiance aux hommes politiques. Concernant l’état de la démocratie au Burkina Faso, ils sont 53% à le trouver « passable » et 47% à le trouver « mauvais ». Le jugement est encore plus sévère au niveau des UFR SEG et SJP,où les étudiants déclarent, à une forte majorité, n’avoir pas confiance aux hommes politiques (25% ont « peu confiance » et 44 % n’ont « pas du tout confiance »).

Sondés sur la place respective que les hommes politiques accordent à l’intérêt général et à l’intérêt personnel dans la gestion de la chose publique, les étudiants trouvent que les hommes politiques sont « soucieux de leur propre intérêt » (67% des enquêtés) contre 1% seulement qui trouvent qu’ils sont « respectueux de la chose publique ». Un jugement à prendre au sérieux quand on sait qu’il est formulé par ceux-là mêmes dont les objets de recherche - à savoir le droit, le politique et l’économie - les prédestinent aux métiers proches des sanctuaires du pouvoir.

6) Les préférences électorales

En général, les étudiants ne veulent pas se prononcer sur leurs préférences électorales : 35,1% déclarent qu’ils ne savent pas pour qui ils vont voter, tandis que 26,3% considèrent que cela est confidentiel. Toutefois les UFR SEG et SJP se prononcent comme suit : 4% seulement des étudiants inscrits déclarent leur intention de s’abstenir ; 35,65% ont l’intention de voter nul ; 36,38% ont l’intention de voter pour un parti de l’opposition ; 16,43% ont l’intention de voter pour la majorité ; 6,84% déclarent qu’ils ne savent pas encore

7) Appartenances politiques et autres appartenances

Dans leur grande majorité les étudiants interrogés ne sont pas membres d’un parti politique. L’enquête de juin révèle que 88,9 % des étudiants inscrits sur la liste électorale n’appartiennent pas à un parti politique. Le militantisme associatif occupe une place assez importante dans la vie des étudiants, puisqu’ils sont 40,30 % à être membres d’une association de type syndical comme l’ANEB et l’UGEB.

L’enquête d’octobre montre que les étudiants adhèrent à d’autres associations à caractère « régionaliste » ou religieux. D’une manière générale il n’existe pas une concurrence entre le militantisme associatif et l’investissement dans le champ politique.

Le militantisme associatif renforce l’intérêt pour le politique, dans le cas de l’association à caractère syndical (77 % des enquêtés membres d’une association de ce type sont inscrits sur la liste électorale, contre 66 % d’inscrits qui ne sont pas membres d’une association). Curieusement le constat est le même en ce qui concerne le militantisme associatif de type religieux.

Les étudiants qui adhèrent aux groupuscules religieux présents sur le campus et qui sont d’obédience catholique ou musulmane sont également plus nombreux à être inscrits sur la liste électorale. Seuls les étudiants appartenant à de groupuscules d’obédience protestante se démarquent de cette tendance (moins nombreux à être inscrits et plus nombreux à vouloir s’abstenir pour ceux qui sont inscrits).

Conclusion

Pour conclure, revenons sur quelques points saillants qui se dégagent de cette enquête. Le jugement sévère porté sur les hommes politiques par les étudiants n’est pas corrélatif d’un désintérêt pour la chose politique. La faiblesse du militantisme politique chez les étudiants enquêtés (faible adhésion aux partis politiques) semble s’expliquer par la crise du politique (crise de confiance aux hommes politiques, remise en question de leur manière de conduire les affaires publiques).

La déconsidération de la vie politique par les étudiants qui portent un jugement sévère sur les hommes politiques n’entraîne pas pour eux une désertion de la scène politique au profit d’autres espaces comme le militantisme associatif ou religieux. Au contraire, on constate que le taux d’inscription sur la liste électorale est fort élevé parmi les étudiants catholiques et musulmans qui sont par ailleurs adhérents de l’un ou l’autre groupuscule à caractère religieux présent sur le campus.

La démocratie ne veut pas dire le pouvoir du peuple, comme abusivement définie, mais comme le disait un illustre penseur : elle veut dire que « le peuple est à même d’accepter ou d’écarter les hommes appelés à le gouverner ». De ce point de vue toute opinion librement émise sur les gouvernants fait partie du processus démocratique et mérite d’être considérée surtout quand cela est fait de manière pacifique et citoyenne.

SIGLES : UFR (Unité de formation et de recherche), SH : Sciences humaines, SEG : Sciences économiques et de gestions, SJP : Sciences juridiques et politiques, SEA : Sciences exactes et appliquées, SVT : Sciences de la vie et de la terre, SDS : Sciences de la Santé, LAC : Lettre, Arts et Communication, IBAM : Institut burkinabè des arts et métiers.

* Boureima Ouédraogo, enseignant-chercheur avec la collaboration de Hamidou Koussoubé, Haoua Kara et Abdoulaye Ouédraogo

Note : Le titre est du journal

L’Observateur Paalga

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