LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Côte d’Ivoire : Les étonnantes pérégrinations ivoiriennes d’une jolie pétroleuse entre « intelligence économique » et big bazar politique

Publié le vendredi 12 novembre 2010 à 02h06min

PARTAGER :                          

Belle gueule. Cheveux courts. Yeux bleus. Sourire avenant. Mature et déterminée. Impossible de jeter un coup d’œil sur ce que le net dit du premier ministre ivoirien sans tomber sur la photo de celle que la presse, à Abidjan, a baptisé « La « Blanche » de Guillaume Soro ». J’envisageais de faire l’impasse sur Anne Imbert-Block de Friberg quand je me suis dit que si son ramage se rapportait à son plumage, j’allais passer à côté du phénix des hôtes du bois sacré des Senoufo (adaptation libre de Jean de La Fontaine).

Je ne sais de cette jeune femme apparemment d’origine belge que ce qu’en disent les commentateurs ivoiriens : « journaliste spécialisée dans le bâtiment » ; se ferait appeler « La Louve » ; revendiquerait d’être le « risk profiler de Guillaume Soro » ; affirmerait se trouver « à l’origine d’un certain nombre de décisions de l’actuel Premier ministre de Côte d’Ivoire […] sa mission étant de conduire Soro là où le réseau [les services secrets français] souhaitait ».

Muette sur son parcours intellectuel, elle revendique un parcours professionnel dont l’Afrique semble cependant absente : directrice du développement de Base d’information légale (BIL) - « gestion du risque économique et financier » (1988-1992) -, directeur développement de ICD Caution - gestion des grands comptes assurance/banque (1992-1996) -, créatrice et fondatrice de Batiweb SAS, « premier moteur de recherche créé en France, spécialisé dans le BTP ». Actuellement, écrit « La Louve », elle assure une « mission de conseil stratégique et économique en Côte d’Ivoire à partir de la zone rebelle depuis 2004, dans le but d’emmener puis de pérenniser le processus de paix, en tant que risk profiler directement auprès de Guillaume Soro, actuel Premier ministre ». Ses « hobbies » ? voile, plongée, photographie « en zone de risque », peinture, jazz et Night Wish (groupe « métal » finlandais).

Si vous n’avez pas tout compris, ne vous inquiétez pas ; moi non plus. Pour ajouter au caractère abscons de la jeune femme, j’ajoute qu’elle affirme que « contrairement à une idée reçue, c’est la culture qui crée la morale et non l’inverse. Comprendre la culture d’un groupe, d’une société ou d’un pays permet de comprendre la morale qui l’habite, donc le mode de fonctionnement de ses entités. C’est seulement à partir de cette démarche que nous pouvons proposer et adapter à leur problématique la solution la plus pérenne ».

Anne I. (comme elle aime à se présenter) nous affirme que l’Afrique est le devenir de l’Europe et que le développement de ce marché « qui regorge de matières premières » permettra de « balancer [sic] la perte inéluctable de nos marchés intérieurs… ». Bolloré, lui, l’a compris : « il tirerait près de 23 % de son chiffre d’affaires de ses affaires africaines en 2008 ». L’Inde et la Chine aussi, c’est pour cela que nous devons éviter qu’ils puissent « en prendre le contrôle ».

« Comprendre les besoins de développement en Afrique, ajoute-t-elle, ce n’est pas seulement vouloir importer une aide formatée, mais c’est avant tout faire comprendre la culture, la morale et la modification nécessaire des pratiques et des résultats qui en ont découlés et la première grande mutation qu’elle aura à assumer sera son informatisation et celle de son administration ». « Accompagner les sociétés dans ce changement est ma spécialité » souligne-t-elle enfin !

Je n’ai rien contre ce genre de discours estampillé IE (intelligence économique). Mais je ne vois pas où se trouve la connexion entre Anne I, « conseil en ingénierie spécialisée, analyse comportementale et IE » et ce positionnement revendiqué de « risk profiler directement auprès de Guillaume Soro ». Que Anne I. ait des relations fortes avec des « rebelles », cela ne fait pas de doute. Qu’elle ait acquis, dans je ne sais quel contexte, un savoir-faire en matière d’intelligence économique et d’analyse de risque, je ne le conteste pas. Mais j’ai un mal fou à comprendre le passage brutal, en 2004, de Batiweb.com (commercialisation de produits pour le BTP sur le net) à la « zone rebelle ». Sauf à penser qu’il y ait, quelque part, une « manip » d’un groupe d’influence.

On sait Anne I. très proche de Chérif Ousmane, ex-jusqu’au boutiste des Forces nouvelles (FN), chef charismatique de la compagnie Guépard, commandant de zone de la IIIème région militaire de Bouaké. « La Louve » et Ousmane tiennent le même discours « politique ». « La reconstruction de la Côte d’Ivoire, dit Ousmane, passe d’abord par la démobilisation et la réinsertion des jeunes qui ont fait de nous ce que nous sommes. Ce sont eux qui vont rebâtir notre pays et réparer le tissu social, s’ils sont en mesure d’agir. On fait comme si c’était la guerre qui était à l’origine de toutes les difficultés que traverse actuellement la Côte d’Ivoire. On se trompe, ou bien on veut nous tromper : ce sont ces difficultés qui ont provoqué la guerre ! Elles sont une cause, pas une conséquence » (Jeune Afrique - 8 juin 2008).

Dans un « commentaire » sur le net, aussi abscons que sa prose habituelle, Anne I, le 6 janvier 2010, écrivait : « A ceux qui accusent les Forces nouvelles de ne pas avoir respecté les droits de l’homme, je réponds que sans un leader comme Guillaume Soro et sans ses hommes qui ont combattu à ses côtés et qui aujourd’hui aspirent à la paix, jamais la Côte d’Ivoire entière et rassemblée ne pourrait être une vraie démocratie ». Elle reprenait là un texte qu’elle avait déjà signé dans un « commentaire » daté du 9 octobre 2009. Mais elle ajoutait alors au sujet de Soro : « Jamais ce jeune leader n’a autant prouvé sa maturité et sa plus grande sagesse devant ses anciens qui auraient dû, eux, refuser ce qui se passait. Oser dire qu’il a trahi ou que ceux qui l’ont suivi dans ce choix l’ont trahi, c’est ne rien avoir compris sur les sources de ce combat, et c’est penser qu’il ne cherchait que les honneurs ». Ouaaafff, c’est chouette d’être risk profiler !

Aujourd’hui, Anne I. est la partenaire de André de Chaillol d’Abonald au sein de C2A Consulting. Cette structure a été créée le 1er septembre 2009 alors que Chaillol prenait sa retraite de l’armée avec le grade de lieutenant-colonel. Implantée en Auvergne, à Blesle, 657 habitants, C2A est en partenariat avec le groupe Fidelia (qui a des connexions dans l’assurance, via Covéa, premier groupe français d’assistance sur le marché des particuliers). Démarche classique de l’intelligence économique en version française, qui s’inscrit dans l’air du temps et les ambitions des lobbyistes des Sociétés militaires privées, les fameuses SMP (cf. LDD Spécial Week-End 0457/Samedi 2-dimanche 3 octobre 2010).

C2A Consulting propose beaucoup : de « la prise d’opportunité » à « l’assistance conseil aux mises en œuvre fonctionnelle et/ou opérationnelle (facilitation, communication, lobbying…) » en passant par la « prospective comportementale ». Pour le reste, « La Louve » et Chaillol tiennent un discours dont la compréhension ne m’est pas évidente dans une publication sur le net, Défis d’Afrique. Ils affirment que « après dix années de crise, la RCI tend à devenir un terrain propice pour l’installation de bases terroristes » mais « regardent avec suspicion et surtout fatalisme cette élection à venir [la présidentielle du 31 octobre 2010] qui ne règlera en rien les problèmes de fond […] Une mauvaise pièce de théâtre, un vaudeville aux lendemains déchanteurs […] Ces élections représentent avant tout le moyen pour la communauté internationale de se désengager d’une crise qu’elle n’a pas pu régler ». Pourquoi ? Parce que « la rébellion, issue de l’armée, est née avant tout d’une revendication « sociétale » et non politique ».

Pas facile de s’y retrouver même si nos commentateurs affirment maîtriser la « cindynique », la « science du danger ». Ce n’est pas mon cas. Il est vrai que je ne me pose qu’une seule question : pour qui roulent « La Louve » et Chaillol ? Et pour aller où ?

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche DIplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Tidjane Thiam en successeur de Henri Konan Bédié. Jusqu’où ?
Côte d’Ivoire : Robert Beugré Mambé nommé Premier ministre
Côte d’Ivoire : L’étrange destin de Marcel Amon Tanoh