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Présidentielle ivoirienne : Guillaume Soro, grand gagnant

Publié le jeudi 11 novembre 2010 à 02h45min

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Soro, Compaoré et Gbagbo

Il n’y a pas photo. Quel que soit le vainqueur de l’élection, le grand gagnant de cette présidentielle ivoirienne 2010, c’est incontestablement Guillaume Soro. « J’ai fondé une rébellion à 29 ans, j’ai été ministre d’Etat à 30 ans, Premier ministre à 35 ans », commentait-il récemment à l’occasion de « confidences » à François Soudan (Jeune Afrique du 24 octobre 2010). Et il a à peine plus de la moitié de l’âge des deux candidats à la présidentielle.

C’est dire qu’il a déjà fait une longue route et que celle-ci n’est pas encore terminée. Il y a huit ans, au lendemain des événements du 18-19 septembre 2002, personne ou presque ne savait qui il était ni d’où il venait. Quant à lui, il n’était pas certain de le savoir non plus. Il n’était encore qu’un agitateur estudiantin, comme il y en avait alors beaucoup en Côte d’Ivoire, et, surtout, un étudiant plus attardé que motivé.

Mais dans le chaos politico-militaire de l’automne 2002, il était la seule personnalité à avoir fait irruption sur la scène ivoirienne. L’ayant rencontré à Ouagadougou, le mardi 18 février 2003, j’avais écrit « qu’il y avait bien longtemps que l’Afrique n’avait permis l’émergence d’un leader qui puisse susciter quelque peu l’enthousiasme ». Il ne manquait pas d’humour, avait le sens de la formule, savait se montrer habile sans vraiment être démagogue. Bref, c’était un authentique « militant politique » quand la politique ivoirienne ne suscitait pas d’autres ambitions que celles d’apparaître comme un « leader politique », autrement dit un nomenklaturiste du régime (existant ou à venir).

Blaise Compaoré, avec qui j’avais alors discuté de la façon d’être de Soro, m’avait raconté que le président nigérian, lors d’une de ces multiples réunions régionales qui tentaient d’éviter le pire en Côte d’Ivoire, s’était exclamé, après avoir entendu discourir Soro : « C’est lui qui doit diriger la Côte d’Ivoire ! ». Compaoré, quant à lui, ne manquait pas de faire remarquer alors à Gbagbo, histoire de le titiller un peu, qu’en contrôlant plus de 50 % du territoire ivoirien, Soro pouvait prétendre à être, au moins, vice-président de la République ivoirienne. L’agitateur estudiantin était devenu un chef rebelle. Personne ne pouvait penser qu’il deviendrait un homme politique et, pourquoi pas, un homme d’Etat.

Les révolutions ratées ont un avantage sur les révolutions qui réussissent. Elles permettent aux révolutionnaires d’acquérir de l’expérience. C’est la même chose en démocratie : il y a le pouvoir et l’opposition ; et être dans l’opposition est la meilleure école pour accéder, durablement, au pouvoir. Sauf qu’en Afrique, il n’y a que le pouvoir qui compte et que tout le monde se contrefout d’être dans l’opposition. Il faut vite, vite, vite être au pouvoir. Comme le disent les Gabonais, c’est celui qui est près du feu qui entend grésiller la marmite.

Blaise Compaoré, qui a su attendre son heure, est le champion des « chronogrammes ». Nulle précipitation dans l’action ; mais de la détermination dès lors qu’il faut agir. Avec un tel coach, Soro était assuré d’aller loin. Les deux hommes, d’ailleurs, ont fait de la route : le « rebelle » est devenu premier ministre ; le « sponsor » de la rébellion (selon Laurent Gbagbo) est devenu le facilitateur. Et quand le facilitateur a, contre toute attente, « inventé » les « accords de Ouagadougou », signés le 4 mars 2007, Soro a été promu Premier ministre de Gbagbo. Scénario totalement inattendu. Et dont les commentateurs n’attendaient pas grand-chose.

Soro, Premier ministre de Gbagbo, c’était deux caïmans dans le même marigot. Il prenait la suite de Seydou Diarra et de Charles Konan Banny qui, ayant exprimé trop tôt leur ambition présidentielle (plus affirmée chez le second que chez le premier), ne résisteront pas au mode de production de Gbagbo. Ils seront laminés ; et personne ne sait où leurs fantômes errent !

En 2007, Soro avait compris beaucoup de choses, mais n’avait pas encore tout compris. Au temps des « mutins » du MPCI, il avait été violent à l’encontre du chef de l’Etat, considérant qu’il « n’était pas légitime » (c’était en 2002 et Gbagbo n’avait pas encore bouclé la deuxième année de son premier mandat). Il utilisera bien des « noms d’oiseau » pour caractériser un chef d’Etat dont il voulait alors la tête affirmant qu’il était dépourvu du reste. En 2007, au lendemain des « accords de Ouagadougou », Soro se voyait vice-président de la République (selon le modèle, disait-il, « à la congolaise »). Il posait la question : « Gbagbo est-il prêt à me supporter ? ». Il affirmait : « Je vais le feinter, le dribler », pronostiquant que le chef de l’Etat allait « se montrer plus souple qu’auparavant ». Pas question de se pavaner au pouvoir ; il ne sera que Premier ministre d’un « gouvernement de transition » dont la mission était de « travailler dans un esprit de concertation permanente, de complémentarité et d’ouverture aux autres forces politiques de Côte d’Ivoire pour aboutir à la réunification de la Côte d’Ivoire, au désarmement et à l’organisation d’élections ouvertes, transparentes et démocratiques ».

Soro sera enthousiaste : « Il est possible de trouver une solution en quelques semaines même si ces problèmes bloquent le système politique depuis des années ». Trois ans plus tard, les blocages existaient toujours et pas grand monde osait espérer qu’une présidentielle aurait lieu le dimanche 31 octobre 2010.

« Les Ivoiriens ont surpris le monde entier », titrait, hier, mardi 9 novembre 2010, Le Parisien, citant Soro. Dans l’entretien que le premier ministre a accordé à Bruno Fanucchi, Soro, qui a pris de la distance par rapport à l’événement, rappelant simplement au passage aux deux candidats que le Premier ministre, chef du gouvernement, c’est lui, affirme : « Il faut laisser le jeu démocratique se dérouler : que celui qui aura gagné dirige le pays et que le vaincu puisse féliciter le vainqueur ». Il ajoute : « C’est de surcroît une satisfaction personnelle, car la question de l’identité - qui était la cause préjudicielle de cette guerre - a été réglée. C’est un pas important et irréversible vers la nécessaire réconciliation entre Ivoiriens ».

Soro aura donc réussi là où les autres ont échoué. Réussite d’autant plus significative que Alassane Ouattara est qualifié pour le second tour. Et si Soro est « pote » avec tout le monde (de feu Omar Bongo à Libreville jusqu’à Abdoulaye Wade à Dakar), nul ne peut douter qu’il ne l’est pas avec l’ancien Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny. Mais c’est une des qualités de Soro : il apprécie tout le monde et tout le monde l’apprécie. Même Gbagbo qui, avant de savoir qu’il serait condamné à un deuxième tour face à Ouattara, disait de Soro qu’il « a été le plus efficace » de ses « quatre premiers ministres, dont trois de crise », ajoutant : « Il nous a amenés jusqu’aux élections. Je dis chapeau et merci » (Le Journal du Dimanche du 31 octobre 2010). Il n’est pas certain que Gbagbo sera dans la même disposition d’esprit au lendemain du deuxième tour ! Mais après tout, Soro voulait, en 2002, que Gbagbo dégage ; il y parviendra peut-être en 2010

L’étudiant empâté et attardé du temps du MPCI est devenu un homme politique soucieux de son image mais conscient de son parcours. Il sait que l’actuelle confrontation électorale est une situation à risques. Il n’est pas partie prenante ; c’est la meilleure des choses pour lui. Il entend rester « un arbitre qui n’aurait pas le droit au carton rouge » (Jeune Afrique du 24 octobre 2010).

Gbagbo, candidat à sa propre succession, est aujourd’hui un président-candidat condamné à un deuxième tour ; ce qui ne manque pas de le diminuer (et plus encore de le préoccuper). Soro a donc, pour un temps, les coudées franches. D’autant plus franches qu’avec un taux de participation de 83 %, « les Ivoiriens ont montré qu’ils savent aller aux élections » (Le Parisien du 9 novembre 2010). Ainsi le premier qui « bougera » sera disqualifié par les Ivoiriens. Soro ressortira ses cartons rouges. Preuve qu’il a conservé son autonomie.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 11 novembre 2010 à 03:03 En réponse à : Présidentielle ivoirienne : Guillaume Soro, grand gagnant

    LE MILITANTISME ESTUDIANTIN est tres formateur.(Soro en est un pur produit)Encouragez vos enfants, vos jeunes freres,a participer activement a de tels mouvements.Leaders conscients et capables et organisateurs responsables
    N’allons pas loin,des etudiants de la carure de Andre Tibiri,Kologo,Bertrand Meda Traore Aly Moyenga Sangla Karfa Cyrille(gens de L’UGEB des annees 2000)Rien ne resiste a leurs analyses meme dans leurs services aujourd’hui.

  • Le 11 novembre 2010 à 14:37, par Goodman En réponse à : Présidentielle ivoirienne : Guillaume Soro, grand gagnant

    Just dire merci et courage à Monsieur Jean-Pierre Bejot, sans oublier bien sur toute l’équipe de Lefaso.net.

  • Le 12 novembre 2010 à 18:24, par Un étudiant En réponse à : Présidentielle ivoirienne : Guillaume Soro, grand gagnant

    Modérez un peu vos propos. Soro a été à la tête de la FESCI pendant plusieurs années. Tous ceux qui étaient étudiants pendant ces années là le connaissent !

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