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SERIE « CINQUANTENAIRE DES INDEPENDANCES » : ENTRETIEN AVEC ETIENNE BAMBARA, ANCIEN CHAUFFEUR A LA PRESIDENCE DE LA HAUTE-VOLTA

Publié le lundi 8 novembre 2010 à 00h51min

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M. Etienne Bambara

Cet ancien militaire de l’Armée française n’a pas été du tout avare en mots. Celui qui fait partie de la Classe 56, notamment le 13 novembre 1956, revisite ses souvenirs pour nous. Resté militaire jusque dans l’âme, Etienne Bambara n’a pas perdu de sa superbe. Très remonté contre la pagaille qui règne dans l’Armée, il n’hésite pas à asséner ses quatre vérités : la panne des institutions, les produits de première nécessité fluctuants, la Guerre d’Algérie, les indépendances…, rien n’échappe à cet ancien combattant. C’est un Etienne Bambara courtois, très sympathique et assez attachant qui s’ouvre à nous. Suivez plutôt.

SAN FINNA : Quel a été votre parcours dans l’Armée ?

Monsieur Etienne BAMBARA (MEB) : Je fais partie de la classe 56, notamment du 13 novembre 1956. En novembre 1959, on m’a embarqué pour l’Algérie. J’y ai séjourné de 1959 à 1961. Ensuite, je suis rentré en Haute-Volta. L’indépendance était intervenue entre temps.

Avant notre retour, nous savions que notre pays avait accédé à la souveraineté nationale mais nous avions quand même continué avant de regagner en 1961 la Haute-Volta. Au moment de la formation de l’armée nationale, il y a eu trop de laxisme dans le recrutement. Beaucoup ont profité pour placer, qui des amis. Ceux qui n’ont pas eu la chance ont dû quitter l’armée. Et comme je travaillais avant d’embarquer en Algérie, au Gouvernorat, on m’a repris à la présidence au Parc auto. J’y ai travaillé jusqu’à ma retraite en 1985 en voyant passer devant moi les différents régimes.

Et quand Maurice Yaméogo a été libéré après les évènements du 03 janvier 1966, nous avons demandé la permission à Lamizana pour aller rendre visite à notre président. On était nombreux à lui être fidèle. Nous l’estimions beaucoup et c’est ce qui a mobilisé notre déplacement à Koudougou. Un intermède pour dire que la succession de ces régimes a abouti à la révolution que je représente comme un feu de brousse qui consume tout sur son passage. Aujourd’hui, il y a encore des séquelles. Et le pire, c’est que l’armée est devenue indisciplinée. Et dans une famille sans discipline, comment voulez-vous que ça marche ? C’est de la pagaille !

Nous sommes revenus à un ordre constitutionnel presque normal mais ce n’est pas sans difficulté. Nous prions Dieu qu’il y ait la paix dans ce pays.
Il y a eu des sentences prononcées ici et qui ne sont pas normales. Dans la vie, il n’y a que Dieu qui a le droit d’ôter une vie. On ne doit pas prendre le pouvoir pour faire ce qu’on veut ni enlever des vies.

SAN FINNA : Comment était la vie dans l’armée française et surtout en Algérie ? Aviez-vous une égalité de traitement avec les Français blancs ?

MEB : D’abord, la France nous a amené inutilement là-bas. Ensuite, non, nous n’avions pas le même traitement. Ce qu’on percevait, c’était dérisoire par rapport aux Français. Avec la carte de combattant, on percevait des broutilles. Mais il y a eu des gens qui se sont battu pour la revalorisation des pensions, notamment un Sénégalais dont je ne me souviens plus du nom. On nous donnait 25.000 fcfa comme pension trimestrielle. Que voulez-vous qu’on fasse avec cette somme ?

La plainte du Sénégalais a payé mais il semble qu’il n’a pas pu bénéficier parce que décédé avant la revalorisation. Ensuite, nous avons reçu 29.000 fcfa et puis c’est passé à 34.000 fcfa et ça a continué à augmenter pour passer à 160.000 fcfa. La dernière fois qu’on a touché, en juillet, c’était 247.000 fcfa. Sans quoi, nous n’étions vraiment pas traités comme les Français alors que c’était la même cartouche qui nous tuait.

SAN FINNA : On a toujours dit que les Africains étaient en première ligne. Etait-ce le cas en Algérie ?

MEB : Bien sûr ! Là où ça chauffe toujours, ce sont les Africains qu’ils envoient. Les seuls non Africains qui se retrouvaient souvent en première ligne, c’étaient les légionnaires. Ils ont été entraînés pour des situations difficiles. Sinon, quand il y avait des problèmes, c’était le bataillon africain qu’on portait à l’avant.

SAN FINNA : Quelle a été votre réaction en apprenant depuis l’Algérie que la Haute-Volta avait pris son indépendance ?

MEB : Nous étions très contents d’avoir notre indépendance parce que ce n’était pas facile. Nous avons fêté en Algérie comme si nous étions au pays. C’était la joie.

SAN FINNA : Et à votre retour, comment avez-vous accueilli le 11 décembre 1961 ?

MEB : En 1961, la fête fut impeccable. Il y avait un monde fou à la fête de l’indépendance. Tous les corps sociaux ont défilé de 09 heures à 14 heures. C’est là que le président Maurice Yaméogo a fait un discours de plus de cinq heures en français et ensuite, en mooré. Maurice Yaméogo était un orateur hors pair. Je ne pense pas qu’on retrouvera quelqu’un comme lui. Ensuite, il a invité tout le monde au Palais.

SAN FINNA : Aviez-vous des rapports particuliers avec lui ?

MEB : C’était un homme bon ; il s’occupait très bien de nous. On était très bien habillé, très bien nourri. C’était le président et on était à son service. Voilà nos rapports.

SAN FINNA : Comment les Voltaïques vivaient au temps des indépendances ?

MEB : Au temps de Maurice, on vivait et les produits de première nécessité ne coûtaient pas cher. Pendant ces années-là, on avait un ministère du Commerce puissant. Aucun commerçant ne pouvait augmenter le prix d’un produit sans que le ministère ne soit au courant. Sinon, il s’exposait à des sanctions.

SAN FINNA : Avez-vous un coup de gueule ?

MEB : Avec tous ces changements, le nom du pays, le drapeau, l’hymne national, etc…, les gens n’ont pas eu le temps de réfléchir et de s’écouter pour améliorer les choses. Ce qu’il faut dans ce pays, c’est la discipline dans l’Armée. Aussi, le ministère du Commerce ne fait pas son travail. Il ne contrôle rien et c’est bien dommage. C’est le commerçant qui fait la loi maintenant dans ce pays. Aujourd’hui, tu peux acheter le sucre à 650 fcfa et demain on te dit que ça coûte 750 fcfa. Si on dit que la locomotive est bien et les wagons ne suivent pas, comment voulez-vous que ça marche ?

Je veux aussi prendre exemple sur le ciment. Si on veut développer ce pays, il faut aussi baisser le prix du ciment. Nous qui sommes pauvres, ne pouvons pas acheter le ciment pour construire.

SAN FINNA : Que pensez-vous de la célébration du cinquantenaire des indépendances le 11 décembre 2010 à Bobo-Dioulasso ?

MEB : C’est une bonne chose de mon avis. La célébration tournante permet de développer le pays et cela est une très bonne chose.

Il y a eu un développement de ce pays quand même ! 50 ans dans la vie d’une nation se fête mais il y a des priorités et il faut aussi très vite s’attaquer à ça.

D.A.O

SAN FINNA

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