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Laurent Gbagbo a oublié le vieil adage : « élections, pièges à cons »

Publié le mardi 2 novembre 2010 à 19h44min

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Les cadres politiques ivoiriens ont été longtemps prompts à donner des leçons à tout le reste de l’Afrique de l’Ouest (et à mépriser, comme il se doit, l’Afrique centrale). Après vingt années d’échecs ininterrompus (la première élection présidentielle pluraliste a eu lieu le 28 octobre 1990 - cf. LDD 0263/Vendredi 29 octobre 2010), on pouvait penser qu’il y aurait un peu plus de retenue dans le discours. Ce n’est pas le cas. Et l’image de la République de Côte d’Ivoire ne sortira pas grandie de cette mascarade démocratique que veut être la présidentielle 2010.

Quelques lignes résument la situation. Elles sont signées Venance Konan dans La Croix du vendredi 29 octobre 2010 : « Les Forces nouvelles n’ont pas désarmé, les milices de l’Ouest non plus, le problème du foncier rural reste entier. L’économie est à redresser, l’administration et l’armée à reprendre en main. Même la question de la nationalité reste pendante […] On a assisté depuis huit ans à une perte de valeurs terrible. Les jeunes sont désabusés et manipulables. Les diplômes et les concours ont été vendus à l’encan, la pratique du viol s’est répandue dans certaines régions, la corruption est omniprésente. Il faudrait dé-ethniciser la politique ». L’auteur de Nègrerie se positionne « résolument » comme un opposant à Laurent Gbagbo mais ne manque jamais de souligner que « l’opposition ivoirienne, par son incompétence et sa corruption, est tout autant responsable que M. Gbagbo des malheurs de mon pays » (Afrique-Asie, juillet-août 2008).

On peut ne pas s’enthousiasmer pour le parcours personnel de Konan, ni certaines prises de position, mais il est incontestable qu’à la veille de la présidentielle 2005/2010, il a fait la bonne analyse. En Côte d’Ivoire, quel que soit le résultat électoral, le pire est à venir. Que Gbagbo gagne ou perde. Le reste, finalement, n’a guère d’importance.

Ce n’est d’ailleurs pas moi qui le dit, mais Gbagbo lui-même. Dans un des entretiens les plus cyniques qu’il ait jamais accordé à la presse française. Mais il faut bien reconnaître que, depuis que l’on est entré dans la dernière ligne droite de la présidentielle 2005/2010, sans doute moins confiant qu’il n’affirme l’être, il a adopté un ton qui n’a rien de… présidentiel. Qui n’honore ni l’homme, ni la fonction, ni le pays. Ce qui pouvait être concevable au lendemain du coup d’Etat (foireux et raté) du 18-19 septembre 2002 et de la mise en place de la « table ronde de Marcoussis », n’est plus dans l’air du temps à la veille d’une consultation électorale. Il y avait eu, déjà, voici quelques jours, ses attaques frontales lors d’un entretien avec François Picard (France 24) et Norbert Navarro (RFI) ; Alassane Ouattara est un « menteur » ne cessera-t-il de répéter mais aussi un « candidat de l’étranger » tout comme son co-listier « houphouëtiste » Henri Konan Bédié : l’un et l’autre n’auraient cessé de jouer contre les intérêts de la Côte d’Ivoire pour livrer le pays à « l’étranger » (sous-entendu la France, mais Gbagbo, au mieux avec les « sarkozystes » n’entend pas se mettre à dos l’Elysée ; quand il fustige la politique ivoirienne de la France, c’est la France de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin, les instigateurs de « Licorne » et de « Marcoussis »). Ce week-end, dans Le Journal du Dimanche (31 octobre 2010), la retenue n’est pas plus de mise. Et le fond est pire encore que le ton.

Entretien avec Antoine Malo. Edifiant. Inquiétant. Et vraiment préoccupant. « L’important, dit-il, est qu’au final je remporte cette élection ». S’accrochera-t-il au pouvoir s’il perd ? « Je ne promets rien à personne ». Il laisse clairement entendre d’ailleurs que cet échec ne pourrait être que le résultat d’un tripatouillage électoral puisque « nous avons fait depuis un an et demi huit sondages et je suis toujours en tête ». La meilleure preuve que sa victoire est attendue, y compris par Paris, c’est qu’il a « déjà commencé à discuter avec Claude Guéant [pour redéfinir un nouveau partenariat avec Paris]. C’était une discussion encourageante entre gens civilisés ». Autrement dit : Paris, comme Abidjan, ne douterait pas de la victoire de Gbagbo !

Comment pourrait-il en être autrement puisqu’il précise, par ailleurs : « Tous les dirigeants politiques qui ont marqué leur époque ont hérité d’un surnom. Le mien [« le boulanger d’Abidjan »] veut dire qu’au fond je suis plus fort que mes adversaires ». Et pour que les choses soient claires et nettes entre Paris et Abidjan, et expliquer comment les choses doivent se passer si on veut qu’elles se passent bien, Gbagbo va dévoiler sa carte chinoise : « Quant on signe un contrat avec eux, ils ne vont pas voir si on a des gens dans nos prisons ou s’il y a un problème de droits de l’homme ». Si vous n’avez pas bien compris, il n’hésite pas à enfoncer le clou : « On n’a pas de leçons à recevoir de l’extérieur ».

Le juge Ramaël, qui enquête sur la disparition de Guy-André Kieffer, doit « nous ficher la paix » ; quant aux « malversations », « si nous découvrons qu’il y [en] a chez nous, nous sommes assez grands, nous, Ivoiriens, pour nous y attaquer ». Ce qui reste à démontrer, mais on peut donner un coup de main à Gbagbo et dresser une première liste des « mafieux » qui sont, aussi, des hommes-clés de son régime. Elle pourrait compléter utilement la liste que le Synares (Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur auquel appartenait Gbagbo) avait dressée en 1990 pour dénoncer les « 41 milliardaires malhonnêtes » du PDCI et « la politique constante de détournement des biens publics menée par cette bande ».

Gbagbo ajoute : « [Les] violences [post-électorales] viendront de ceux qui perdront. Et comme ce n’est pas moi qui vais perdre… ». Si ce n’est pas la trouille de perdre (Gbagbo prend conscience qu’étant le financier des sondages auxquels il fait référence, les instituts n’avaient pas intérêt à fâcher son « initiateur » et que la réalité peut être bien différente), cela y ressemble. Pour le reste, ce n’est même pas une menace voilée ; c’est une certitude. Sauf à mettre au pas Gbagbo, il n’acceptera pas la défaite. Elu, il ne sera pas, non plus, le président de la réconciliation et de l’apaisement. D’abord, dit-il, « nous payons [la rébellion] pour avoir la paix, la tranquillité, et que l’on puisse aller aux élections ». Les élections une fois gagnée, le mot d’ordre est simple : « Faites vos bagages et foutez le camp ! ». Ce qui laisse penser, que dans l’esprit de Gbagbo la « rébellion » n’est pas ivoirienne mais « étrangère » ; suivez son regard vers Ouattara, le « Burkinabè », ancien directeur général adjoint du FMI, un impérialiste et, pourquoi pas, un mercenaire ou un agent de la CIA.

Il ne faut pas prendre le ton de cet entretien comme anachronique en cette fin de campagne ni écouter Gbagbo quand il « demande pardon » si son discours - que Jean-Philippe Rémy, dans Le Monde (dimanche 31 octobre-lundi 1er novembre 2010), qualifie à juste titre de « populisme d’Etat » - a « blessé ou humilié » ses adversaires. Gbagbo a la trouille et entend « mouiller » tous ceux qui ont laissé faire, pensant qu’il était un moindre mal. « Les enquêtes commandées par la présidence ont un parfum de prophétie auto-réalisatrice » commente Philippe Bernard dans Le Monde (cf. supra) au sujet des sondages d’opinion auxquels Gbagbo ne cesse de faire référence. A la question posée par François Soudan (Jeune Afrique - 17 octobre 2010), : « Que ferez-vous si vous êtes battu ? », Gbagbo a répondu : « Je ne serai pas battu. J’y suis, j’y reste ». Il ajoute : « Mais je ne serai pas éternellement président et, un jour, je transmettrai le flambeau à quelqu’un de plus jeune que moi ». Etonnante conception de la République et du suffrage universel : il « transmettra le flambeau » quand il l’aura décidé à celui qu’il aura choisi ! Il serait temps que l’Internationale socialiste, à laquelle le parti de Gbagbo appartient, fasse le ménage.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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